Les votants ont finalement rendu leur verdict après deux semaines de votes tout en intensité sur Culturaddict, comme le montrent bien les multiples commentaires passionnés rédigés par les membres de la communauté. The Dark Knight est élu meilleur film de Christopher Nolan dans une finale à sens unique face à Interstellar. Pas de finale entre le Joker et Léonardo di Caprio car Inception n’avait pas passé le cap de la demi-finale. Il est grand temps d’en savoir un peu plus sur les raisons du fol amour des votants pour une adaptation de Batman qui laisse surtout une énorme place au super vilain par excellence, le Joker.

Un némesis marquant

Certains se souviendront pour toujours de leur premier visionnage au cinéma de The Dark Knight en 2008, et même des suivants. Dès les premières images, un personnage inquiétant apparait à l’écran pour un effet immédiat sur le spectateur. Grimé de blanc, habillé en violet, cheveux verts au vent et sourire rouge carnassier, un psychopathe fat son entrée. Le Joker interprété par Heath Ledger rentrait immédiatement dans une légende que le décès précoce e l’acteur le 22 janvier 2008 allait contribuer à entretenir. L’acteur avait-il été trop loin dans l’incarnation de ce personnage psychotique jusqu’à en payer le prix fort? La question se pose, les rumeurs parlent d’une impossibilité pour l’acteur de trouver le sommeil avec un abus fatal de somnifères. Son Oscar posthume du meilleur second rôle aux Oscars 2009 reste une maigre consolation par rapport à un rôle qui lui aura voilé sa force vitale pour un résultat inoubliable à l’écran. Tout donner pour rentrer dans un personnage, Robert de Niro et Christian Bale en savent quelque chose mais Heath Ledger pousse le bouchon encore un peu plus loin. Jusqu’à voler la vedette à la chauve-souris et donner envie à l’audience de le voir encore un peu plus sur l’écran.

Un double inquiétant

Le film de Nolan ne cesse de clamer que Batman et le Joker se ressemblent, dans de nombreuses scènes et dans quelques dialogues devenus cultes. Tous les deux un peu barrés, il faut bien l’admettre, revêtir une costume noir avec des oreilles au sommet du crâne et une cape est-il un signe de bonne santé mentale? Le Joker admet sa propre folie, tentant dans la scène sur la photo juste au dessus de convaincre Batman de la sienne. Et autant le cape crusader reste imperturbablement monolithique (ou presque), autant son ennemi rivalise de truculence et de phrases chocs. Le Joker se sent toujours en représentation, jouant son rôle avec un naturel confondant dans le seul but selon lui d’avoir du fun, devenant un personnage qui n’a rien à perdre. Ce méchant est dans le lâcher prise complet, échafaudant des plans kamikazes sans anticiper une quelconque issue fatale. Un peu comme Bruce Wayne qui tentera le saut dans le vide sur le mur de la prison sans corde pour le retenir en cas de chute, dans The Dark Knight Rises, le Joker n’a pas de filet. Et c’est peut être cela qui le rend si hypnotique, insaisissable, imprévisible. Le scénario de Christopher et Jonathan Nolan entretiennent le manque, l’absence du Joker sur l’écran et donne surtout envie de le revoir à nouveau, et encore, et encore.

Un blockbuster loin du grand spectacle habituel

Christopher Nolan a eu le bon gout de ne pas surcharger son film de scènes inutiles. Pas d’explosions sans justification, pas de combats longuets juste pour le plaisir de la castagne. Tout a une raison scénaristique et le spectacle est pourtant bien là. Les agissements du Joker créent le chaos dans Gotham City mais surtout contribuent au déroulement d’un plan machiavélique que Batman parviendra tout de même à déjouer. Nolan ne transige pas avec le mythe du héros irrésistible mais lui donne du fil à retordre. Son choix de mettre le Joker le plus en avant possible tout en ne le laissant pas prendre toute la place à l’écran est d’une pertinence maximale. Il apparait toujours comme le diable sorti de sa boite, sans jamais avoir été invité ou presque. Il s’introduit dans une banque avec ses acolytes, débarque à un meeting de la pègre, force la porte d’une surprise party, surprend un gangster en pleine partie de billard. Ses introductions sont magistrales de surprise et de tension. Et comme il manie parfaitement l’humour et la rhétorique, il habille ses apparitions en cérémonial finement étudié. Il devient un personnage de théâtre, tel un Cyrano ou un Tartuffe. Il donne l’illusion de l’improvisation mais tout est millimétré, forcément préparé, se montrant en magicien là où il y a surtout un grand tacticien.

L’art du réalisateur

Peut être connaitra-t-on un jour la teneur des échanges entre Christopher Nolan et Heath Ledger. On ne peut qu’imaginer l’acteur débarquer sur le plateau tel un ange tombé du ciel pour jouer ses scènes. Alors que non, il était tout autant présent sur le plateau que Michael Caine, Aaron Eckhart ou Maggie Gyllenhaal, tous dirigés par le réalisateur. Quelle est la part de celui-ci dans la magie opérée par l’acteur à l’écran? La question reste toujours posée mais au vu de la filmographie du génial britannique, il y a fort à parier que sa contribution ne soit pas nulle. Il existe des images, des photos, un documentaire mais rien de si précis que les échanges entre réalisateur et acteur ne deviennent enfin concrets. Car l’acteur a livré une prestation d’une telle intensité qu’il marquera à jamais l’histoire du cinéma, jusqu’à éclipser la prestation déjà remarquée de Jack Nicholson dans un précédent Batman. L’humour du Joker dans The Dark Knight n’est ni léger ni pince sans rire, il est cynique et adapté à notre époque de pessimisme généralisé. Il ne tient pas tant à faire rire qu’à effrayer. D’aucune diront que Batman et lui incarnent 2 faces opposées du capitalisme, celle rassurante du justicier qui ne veut que votre bien et celle plus angoissante d’un clown qui en veut à votre intégrité. Alors que sort Ca sur les écrans, la fascination du public se répète pour un personnage qui ne lui veut pas du bien mais continue tout de même à lui sourire. Non pas pour le tranquilliser mais pour lui faire accepter son sort funeste. Ce qui n’en est que plus effrayant.

La victoire du Dark Knight dans la Battle Nolan organisée sur Culturaddict confirme la fascination que le personnage du Joker exerce encore aujourd’hui sur le public. Le décès d’Heath Ledger a fait rentrer encore un peu plus son Joker dans la légende, confirmant qu’une mort garantit l’immortalité, comme pour tous les mythes…