Je souhaite brièvement évoquer à travers cet article quatre performances oubliées du cru 2020 qui a été servi à la cérémonie des Oscars de l’année dernière.
Deux hommes, deux femmes. Une liste non exhaustive et très personnelle, qui reflète à la fois mes goûts en matière de cinéma et mon ressenti sur ces cérémonies qui se ressemblent toutes, ces récompenses qui ciblent souvent les mêmes rôles et qui représentent parfois un cinéma assez mainstream, faisant la part belle aux biopics, oubliant le cinéma indépendant ou laissant de côté des productions plus confidentielles.
Fort heureusement, nous n’avons pas besoin de ces cérémonies interminables et qui se ressemblent toutes pour nous forger des goûts, ressentir des coups de cœur, aimer ou détester.
Lupita Nyong’o dans Us (Jordan Peele)
Nul besoin de présenter cette jeune et brillante actrice mexico-kenyane, révélée en 2014 dans Twelve Years a Slave, qui lui avait d’ailleurs valu une nomination à l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle. Elle poursuit une carrière irréprochable entre superproductions (Star Wars, Black Panther) et films indépendants, notamment le très beau Queen of Katwe de Mira Nair, biopic d’une jeune ougandaise prodige des échecs.
Dans Us, Lupita Nyong’o livre une double interprétation mémorable, celle d’une mère de famille aimante et prête à tout pour défendre les siens contre une terrible menace, et celle de son doppelgänger, double maléfique aux sombres intentions dont le passé est révélé au compte-goutte au fil de l’histoire. Il est très surprenant que l’Académie des Oscars ait boudé une performance complexe qui aurait largement mérité sa nomination.
Adam Sandler dans Uncut Gems (Benny & Josh Safdie)
Adam Sandler est une personnalité controversée. Humoriste très reconnu et apprécié aux USA, sa carrière d’acteur fait l’oscilloscope, alternant entre de nombres comédies potaches et vulgaires sans intérêt et plusieurs films marquants dans lesquels Sandler a montré à chaque fois une impressionnante palette de jeux montrant à ses détracteurs qu’il sait faire autre chose que le pitre dans des comédies lourdingues. Citons notamment Punch-Drunk Love de Paul Thomas Anderson (2002), Funny People de Judd Apatow (2009) ou The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach (2017).
Dans Uncut Gems, il interprète Howard Ratner, un diamantaire new-yorkais magouilleur, personnage désagréable, logorrhéique, ringard, infidèle, sujet à la polypose colique, et surtout parieur invétéré, ce qui lui vaut de nombreuses dettes. Il porte de bout en bout un film explosif, tour à tour puant, touchant, tête à claques dont les diatribes sans fin et les incessants coups de téléphone donnent le tournis. Un rôle brillant, un personnage pétaradant à la mesure d’un grand acteur trop sous-estimé, qui aurait largement mérité une nomination à l’Oscar. Parions que ce grand empêcheur de tourner en rond n’a pas fini de faire parler de lui !
Florence Pugh dans Midsommar (Ari Aster)
La très jeune actrice britannique (24 ans) a été révélée en 2016 grâce à The Young Lady, dans lequel elle interprète une jeune femme suffoquant dans un mariage sans amour avec un homme deux fois plus vieux qu’elle, l’intrigue se situant dans la campagne anglaise au milieu du XIXème siècle. Florence Pugh développe actuellement une carrière très solide : Outlaw King : Le Roi hors-la-loi de David Mackenzie (2018) beau film historique dans lequel elle incarne la première reine d’Ecosse après la guerre d’indépendance menée par Robert de Brus au XIVème siècle, Les Filles du docteur March de Greta Gerwig (2019) et Midsommar.
Dans Midsommar, dernier trip horrifique d’Ari Aster, elle interprète une jeune femme victime d’un terrible drame familial, qui accompagne son petit ami et les amis de ce dernier dans un voyage au nord de la Suède afin de participer à un rite du solstice d’été ne se déroulant que tous les 90 ans. Véritable cauchemar en plein jour, film d’horreur folk ponctué d’images choc difficiles à effacer de la rétine, distillant un malaise inoubliable, Midsommar est porté par l’interprétation lumineuse de Florence Pugh. Son rôle d’une jeune femme brisée par une tragédie, tentant de se reconstruire auprès d’un conjoint qui ne l’aime plus guère, est merveilleuse de subtilité. Le personnage passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel au sens propre et figuré, pris au cœur d’une tornade émotionnelle, devenant objet de culte d’un rituel païen psychédélique. Nul doute que Florence Pugh est promise à une belle carrière que l’on ne peut avoir que très hâte de découvrir tant ses choix artistiques sont pour l’heure irréprochables.
Willem Dafoe dans The Lighthouse (Robert Eggers)
Doyen de cette courte liste de quatre personnalités du haut de ses 64 ans, Willem Dafoe est une légende vivante avec une filmographie hors pair que je ne détaillerai ici. Il cumule un nombre impressionnant de récompenses, notamment celle du meilleur acteur à la Mostra de Venise en 2018 pour son interprétation torturée de Vincent Van Gogh dans At Eternity’s Gate de Julian Schnabel. Avec quatre nominations aux Oscars, il n’a jamais remporté de statuette.
Dans The Lighthouse, il interprète un orageux gardien de phare sombrant peu à peu dans la folie, aux côtés de son apprenti interprété par Robert Pattinson. Il livre une prestation immense, certainement l’une des plus percutantes de sa carrière, si ce n’est la plus habitée. Son personnage sombre et tourmenté semble bouillonner, pouvant exploser de violence à tout instant. Mention spéciale à son formidable monologue dans lequel Dafoe, tel un sosie déchainé du Capitaine Achab, lance une malédiction déchaînée aux accents mythologiques et maritimes au cours d’une scène d’altercation mémorable entre nos deux gardiens. Cette prestation habitée surpasse à mon avis celle de tous les autres acteurs nommés dans la catégorie meilleur acteur dans un second rôle. Un rôle taillé sur mesure pour Willem Dafoe, qui aurait largement pu lui valoir une statuette si méritée, dans un film fou qui fut mon préféré de l’année 2019.