Un film sur la tauromachie en 2025, cela peut paraitre incongru. Le réalisateur de Pacifiction, Albert Serra, offre pourtant un tableau fascinant, au plus près des coulisses de la tauromachie. Discussions, habillement, préparation, et donc corrida. Le torero Andrés Roca Rey est filmé sous toutes les coutures, pris sur le vif, impressionnant de maitrise et pourtant pas loin de se faire occire plusieurs fois par les taureaux. Taiseux, regard déterminé, courageux et pourtant rempli de peur, il apparait profondément humains et donc imparfait.

L’homme contre la nature

La corrida est une excroissance du passé. Un homme qui risque sa vie, pour rien, en combattant un taureau. Puissant, mobile, armé de ses cornes, ce dernier peut à chaque instant modifier sa trajectoire et se mouvoir de manière impromptue, faisant mentir la lecture du torero et en profitant pour l’encorner. Les images sont hyper réalistes, crues, presque macabres. Les taureaux dégoulinent de sang, le costume du torero en est parfois maculé, parfois même son visage. Le sang est omniprésent, un vrai sang, pas un maquillage de film d’horreur. La caméra suit le jeune hidalgo, son regard halluciné, ses manières de danseuse étoile sur le sable de l’arène, et son savoir faire pour mener à bien les passes avec sa muleta. Le film est difficile à regarder pour les âmes sensibles, il ne met pas en valeur mais s’ingénie à déchiffrer l’esprit de ceux qui s’adonnent à cette passion. Le vocabulaire dans l’arène est somme toute vulgaire (« toi tu as des c*******! », charmant), reflet d’une bestialité aussi bien naturelle chez le taureau que de circonstances chez le torero et ses assistants. La petite troupe s’encourage, se harangue, s’invective, tout est bon pour ne pas penser à la possible fatale issue. Le torero est blessé de partout, il souffre mais ne faiblit pas. Le film est une vraie expérience de cinéma, pareille à ce que peut être Cannibal Holocauste ou le Silence des Agneaux. Et pendant ce temps là, les chevaux se prennent de coups de corne dans la cuirasse et les taureaux son mis à mort, c’est le sinistre reflet de cette réalité archaïque, le torero gagne parce que le taureau perd.

Cette après-midi de solitude est un film hypnotisant, d’une beauté chaude et inconfortable. Pacification était déjà un film clivant, le réalisateur continue sur la même voie.

Synopsis: A travers le portrait du jeune Andrés Roca Rey, star incontournable de la corrida contemporaine, Albert Serra dépeint la détermination et la solitude qui distinguent la vie d’un torero. Par cette expérience intime, le réalisateur de PACIFICTION livre une exploration spirituelle de la tauromachie, il en révèle autant la beauté éphémère et anachronique que la brutalité primitive. Quelle forme d’idéal peut amener un homme à poursuivre ce choc dangereux et inutile, plaçant cette lutte au-dessus de tout autre désir de possession ?