Adam McKay est devenu un spécialiste de la critique de l’Amérique contemporaine. Après une première partie de carrière résolument comique avec un Will Ferrell constamment en roue libre, le réalisateur s’est recyclé dans des scénarios beaucoup plus sérieux visant directement les excès d’un système économique américain qui privilégie ostensiblement les puissants et envoie de la poudre aux yeux de ceux qui ne voient pas le piège. A l’aide d’un casting encore une fois grandiose, il se laisse aller à une propagande anti-républicaine qui interroge parfois sur la justesse de ses intentions. The Big Short traitait d’un sujet sérieux avec humour, Vice place un sinistre personnage au milieu d’une cour de grotesques personnages en oubliant trop souvent la nuance.

Un film qui se prend trop au sérieux…

Vice raconte le parcours haut en couleur d’un personnage de l’ombre de la politique américaine des 50 dernières années. Dick Cheney a arpenté les couloirs de la maison blanche, du Sénat et de la Chambre des Représentants sans chercher les projecteurs, tirant les ficelles dans l’ombre des stars de la scène politique. Derrière Nixon, Ford, Bush père et Bush fils, le personnage ancien alcoolique et recalé de Yale s’est taillé une place de choix sur la scène US par la grâce d’une femme éminence grise et véritable démiurge instigatrice d’une carrière hors norme. Le film montre l’ascension à l’aide d’une voix off qui narre autant qu’elle commente les frasques d’un personnage venu de nulle part et résolu à s’imposer. Plus taciturne que dans l’esbroufe, il a suivi les sillons de personnages déjà installés pour tailler des croupières et prendre toute la place, sans bruit mais pas sans détermination. Christian Bale se livre à un encore grand numéro d’acteur avec une nouvelle transformation physique effarante. Double menton, ventre proéminent, tête éternellement penchée sur le côté, il devient littéralement Dick Cheney. Mais un des problèmes du film est que justement ce personnage n’est pas du tout cinématographique. A force de silences et de mines compassées, il se terre dans un rôle ingrat qu’il entretient pour bien montrer le paradoxe de la politique américaine. Car derrière les têtes d’affiche, ce sont bien les hommes de l’ombre qui décident les guerres, allouent les budgets et en retirent de généreux subsides. Le réalisateur tente de faire passer Dick Cheney pour un Méphisto omnipotent, mais c’est surtout le système américain qui en prend pour son grade. En décrivant autant l’emprise péremptoire de médias hypocrites que la crédulité d’un public attisé dans la haine de l’autre, le film montre l’intérêt pris par les politiques dans un pays résolument à droite, va-t-en guerre et n’hésitant pas sacrifier les populations sur l’autel de son intérêt. Le film devient ainsi un spot de propagande qui décrit dans le détail un personnage placé au centre d’une machinerie sans scrupules. C’est bien fait mais tellement orienté que le spectateur peut se poser la question de la subjectivité du film. Parce que les personnages sont décrits comme tellement machiavéliques que le doute survient. Est-ce donc si visiblement horrible?

Vice est un film délibérément polémique, jusqu’à la caricature. Le spectateur sourit, se questionne, se terre dans l’effroi. Mais ce n’est pas un film à redécouvrir plusieurs fois. Tout est dit, jeté à la tête du spectateur avec rage. Un tel ton interroge sur les intentions du réalisateur. Le film est-il jouissif? Pas vraiment, c’est plutôt un film à charge avec tout ce que cela revêt de parti pris. Et si Christian Bale livre une belle prestation d’acteur, son rôle reste tout de même assez aride, surtout face à une Amy Adams charismatique, un Steve Carell jubilatoire et un Sam Rockwell bluffant en George W. Bush.