Le personnage de Pinocchio est né de la plume du journaliste et polémiste toscan Carlo Collodi (1826-1890). Quand on prend connaissance de la vie de l’auteur, fervent défenseur de la liberté de la presse, aux écrits satiriques modernes puis au regard volontiers aigri et désabusé qu’il porta sur la vie politique italienne, il peut paraître étonnant qu’il ait créé Les Aventures de Pinocchio. Surprenant, tant ce conte de fées semble ancré dans la tradition chrétienne et peut s’avérer à la première lecture sinon moralisateur, au moins rigide et conformiste, jusqu’à friser la caricature. L’enfant-pantin qui désobéit se voit puni de mille maux : enrôlé de force par un marionnettiste tyrannique, abusé par d’impitoyables filous voleurs et profiteurs, son nez s’allonge quand il ment, transformé en âne, ingéré par une créature monstrueuse tel Jonas et sa baleine. Guidé par un ange-gardien sous forme de grillon et par une bonne fée, l’enfant-pantin s’assagit et aide son prochain, se voyant ainsi ramené sur le chemin de la rédemption. L’influence culturelle est considérable : « si tu mens, ton nez va s’allonger », « si tu travailles mal à l’école, des oreilles d’âne vont te pousser sur la tête ».
De nombreuses adaptations ont été tirées du conte de Carlo Collodi. Au cinéma, citons les plus réussies. Le légendaire film d’animation de Walt Disney (1940), très fidèle et indispensable par ses personnages haut en couleurs et ses graphismes merveilleux pour l’époque fait toujours référence dans l’univers du film d’animation. Autre incontournable, Les Aventures de Pinocchio de Luigi Comencini (1972) également développé en mini-série télévisuelle, avec les légendes Nino Manfredi (Geppetto) et Gina Lollobrigida (la fée), proposait un univers visuel inédit et une vision du merveilleux accessible à toutes les générations, à découvrir impérativement.
On peut de prime abord s’étonner de la volonté du jeune Matteo Garrone de proposer une nouvelle interprétation des aventures de Pinocchio. Le cinéaste, devenu célèbre pour son adaptation du sulfureux roman-enquête Gomorra de Roberto Saviano, ne cesse de surprendre par la diversité incroyable de son oeuvre : drame sur le milieu de la télé-réalité (Reality), film satirique d’heroic-fantasy (le très sous-estimé Tale of Tales), film noir (Dogman), il n’est peut être pas si surprenant de le voir s’attaquer au conte familial.
Suite à la pandémie actuelle, Pinocchio est hélas privé d’une sortie en salle et se retrouve en vulgaire VOD sur Amazon Prime (un choix bien discutable, mais ce n’est pas l’objet de cet article).

Une adaptation fidèle du conte de fées, magnifiée par un univers visuel très riche

Tant au niveau du scénario que des décors et des costumes, Matteo Garrone propose une transposition très fidèle de l’ouvrage de Carlo Collodi, dont il ne dévie presque jamais. Ainsi, cette nouvelle version de Pinocchio est assez éloignée de l’univers noir et sans tendresse auquel Garrone nous a habitué. Pinocchio est un film familial, qui s’adresse aussi bien aux enfants qu’aux parents.
Néanmoins, le film est sublimé par un univers visuel d’une grande richesse qui n’est pas sans rappeler Tale of Tales et démontre l’étendue du talent de Garrone, cinéaste, conteur et peintre. En effet, sa vision de Pinocchio est très personnelle et propose une immersion dans un monde atypique peuplé de créatures magiques, fantasme d’une Toscane d’un autre temps proposée sous forme de grands tableaux parfois assez grandioses, dont le rendu sur petit écran est impeccable grâce à une photographie sublime.

Une galerie de personnages étranges et cocasses

Le choix de Roberto Benigni pour interpréter Geppetto, personnage sensible et touchant, pouvait paraître risqué, tant il est habitué aux pitreries et au cabotinage parfois jusqu’à l’excès. Pourtant, le créateur et interprète de La Vie est belle compose ici un Geppetto nuancé, tragi-comique, fantaisiste et d’une grande douceur qui nous fait oublier sans peine son insupportable Pinocchio (2002) dans lequel il interprétait un insupportable pantin tête à claques, tout en grimaces et gesticulations. Le jeune Federico Ielapi compose subtilement un pantin touchant et jamais agaçant et semble promis à une carrière prometteuse.
Le film propose une galerie de personnages truculents, de trognes rappelant les classiques de Federico Fellini et Sergio Leone, à l’image du Renard et du Chat qui tourmentent et abusent notre petit pantin, du marionnettiste torturé Mangiafuoco, du ravisseur de garçonnets ou encore d’un duo burlesque d’artistes de cirque composé d’un géant et d’un nain. Plusieurs créatures magiques font une incursion remarquée : un grillon bougon et moralisateur, un juge simiesque aux méthodes expéditives, une nourrice gastéropode… Je ne vous en dis pas plus afin de ne pas vous gâcher le plaisir.
Enfin, la partition irréprochable de Dario Marianelli sublime le film avec douceur et sans emphase.

Un conte initiatique qui manque de noirceur et de profondeur

Si le rendu visuel est impérial, l’histoire est belle et les personnages passionnants, Pinocchio propose cependant une vision très fidèle au conte de Collodi et manque d’épaisseur. Garrone illustre (certes brillamment) un conte pour enfants et n’en dévie jamais, quitte à friser l’académisme. Jamais il n’atteint l’ampleur de son illustre aîné, l’adaptation de Comencini proposant une incursion dans le merveilleux avec tant de poésie et de philosophie que l’égaler semblait un challenge insurmontable, que ne parvient pas à relever Garrone. Il n’existe aucune noirceur dans ce beau film classique et formaté pour plaire aux petits comme aux grands, le spectacle est trop léger et superficiel et résonne parfois comme une coquille vide.

Un beau film graphique pour toute la famille

S’il manque ce soupçon de noirceur et de finesse pour faire de Pinocchio un grand film, il n’en reste pas moins un très joli spectacle qu’il serait dommage de louper. Un film qui semble tout adapté aux vacances de Noël dont la galerie de personnages et de créatures étranges agrémente agréablement de beaux décors et quelques plans marquants. Néanmoins, s’il devait n’en rester qu’une, la version de 1972 réalisée par Comencini est bien plus subtile et inoubliable, la sortie de cette nouvelle version étant l’occasion parfaite pour découvrir ou redécouvrir ce classique.