Plus de 45 ans se sont écoulés depuis que Pong a été commercialisé, lançant ainsi l’industrie du jeu vidéo. Pendant tout ce temps, nombreuses ont été les sources d’inquiétudes et de critiques envers cette nouvelle activité, entre addiction, violence et abrutissement supposés. Au fur et à mesure des années, ces débats ont plus ou moins disparus. Mais après toutes ces années, le temps est venu de se poser la question : quelle place revêtent désormais les jeux vidéo dans l’imaginaire collectif ?

 

Une reconnaissance difficile

 

Ce qu’il est important de se demander ici, c’est ce que le jeu vidéo représente aux yeux de la société. Objectivement, le jeu vidéo pourrait être considéré comme un art. Mais ne nous méprenons pas quant au type d’art dont nous parlons ici : le jeu vidéo se rapproche bien plus des arts que l’on peut qualifier de « populaires » tels que le cinéma ou la musique que des arts « élitistes » comme la sculpture et la peinture. En effet, il ne faut pas oublier qu’il est avant tout un produit destiné à la consommation de masse, comme le sont les albums ou les films, ce qui est loin d’être le cas des tableaux ou autres sculptures.

 

King Kong et Donkey Kong

Le jeu vidéo s’est beaucoup inspiré du cinéma

 

Il est également à noter que, tout comme le cinéma et la musique, le jeu vidéo sert avant tout un but de divertissement. Cependant, pour une raison obscure, il semble que le grand public ait du mal à accepter que l’on puisse concilier art et divertissement dans le cas du jeu vidéo, alors que c’est exactement le but du cinéma par exemple. De même, on entendra souvent qu’un film moyen peut être « un bon moyen de poser son cerveau de côté », alors que si un jeu a un aspect défouloir trop prononcé, on entendra les medias généralistes crier au scandale et les parents dire que leurs charmants bambins « s’abrutissent » devant ce loisir bien trop « stupide ». Malgré ses nombreux points communs avec le cinéma et la musique, le grand public a du mal à considérer le jeu vidéo comme un art.

Mais pourquoi une telle différence entre le jeu vidéo et les autres formes d’art populaire ? L’un des facteurs est que le jeu vidéo est très jeune. Si l’on considère que Pong est le premier de ce domaine (ce qui n’est pas tout à fait le cas, mais c’est l’un des premiers à être commercialisé en masse), on peut dater la naissance des jeux vidéo à 1972. C’est très récent si l’on compare cela à la bande dessinée ou au cinéma, respectivement 9ème et 7ème arts. On peut donc considérer qu’il en est encore à ses balbutiements, et n’a donc pas encore eu le temps d’acquérir la reconnaissance du grand public.

L’autre raison, c’est la vision qu’ont longtemps donné les médias au jeu vidéo. Souvent diabolisateurs et rarement bienveillants, les chaînes publiques se plaisaient à dépeindre cette nouvelle forme de distraction comme un loisir violent pour dégénérés, s’attardant bien plus souvent sur des polémiques futiles que sur des œuvres intelligentes. Cependant, ce genre de « reportages » bourrés de clichés se font heureusement de plus en plus rares …

Un respect progressif

En effet, la tendance est en train de s’inverser. Si le jeu vidéo a longtemps été réservé à un public de niche, il est aujourd’hui une industrie florissante. Bien évidemment, ce succès lui permet également d’acquérir une nouvelle reconnaissance aux yeux du grand public.

De nombreux événements et institutions ont par exemple été créés pour valoriser les jeux vidéo. On peut par exemple noter la multiplication des cérémonies de récompenses telles que les Pixel Awards ou les Game Awards, à l’instar des Oscars pour le cinéma ou des Grammy pour la musique. De même, beaucoup de salons du jeu vidéo gagnent en importance d’année en année : l’E3, avec ses 83 000 visisteurs en 2017, mais également la Paris Games Week en France qui gagne beaucoup d’importance avec le temps, ou la Gamescom à Cologne.

 

Exemple de foule à la Paris Games Week

Exemple de foule à la Paris Games Week

 

Le jeu vidéo a également grandement gagné en prestige ces dernières années. En effet, certains événements ont permis de donner une aura particulière aux jeux vidéo. Le célèbre orchestre philarmonique de Londres a par exemple repris de nombreux thèmes de jeux marquants sur l’album The Greatest Video Game Music, démontrant ainsi la qualité de beaucoup de compositions et prouvant la popularité de ces dernières (l’album est arrivé directement en 23ème position du Billboard 200). De même, de nombreuses institutions spécialisées, souvent considérées comme prestigieuses et culturellement importantes, ont été créées, que ce soient des musées (Pixel Museum en France, The National Videogame Arcade à Nottingham …) ou la fameuse Academy of Interactive Arts and Sciences et son Hall of Fame récompensant les grandes figures de la profession, à l’instar du Rock and Roll Hall of Fame pour la musique par exemple.

 

Pochette du Greatest Video Game Music

 

La presse spécialisée a également beaucoup changé avec le temps. Si les premiers magazines ressemblaient finalement à des catalogues d’astuces et de tests, certains magazines récents proposent de véritables articles de fond, et proposent de s’interroger sur le médium vidéoludique en lui-même. Citons en vrac le génial JV, mélange habile de réflexion et d’humour, Canard PC, ou encore le regretté IG au contenu colossal (plus de 250 pages par numéro !). Tous ces magazines ont en commun d’avoir gagné en maturité et en intérêt aux yeux des joueurs. De même, plusieurs chaînes spécialisées ont été créées, dont certaines plus axées grand public, comme Game One, et d’autres gagnant l’intérêt d’un public plus fidèle, comme No Life.

 

Couverture JV

JV propose énormément d’articles pertinents

 

Enfin, le jeu vidéo sait s’entourer, faisant participer beaucoup de célébrités issues de domaines différents. Que ce soit pour endosser des rôles comme David Bowie dans Nomad’s Soul, Phil Collins dans GTA : Vice City ou tout le casting de Brütal Legend, ou bien pour composer des musiques comme Megadeth pour Duke Nukem et Nine Inch Nails pour la B.O de Quake. Beaucoup de personnalités d’horizons différents se sont prêtées à l’exercice, offrant ainsi au jeu vidéo une meilleure visibilité aux yeux du grand public.

David Bowie dans The Nomad Soul

David Bowie dans The Nomad Soul

 

Le jeu vidéo en a donc fini d’être un loisir de niche réservé aux initiés. Devenu économiquement prépondérant dans beaucoup de pays (dont la France avec Ubisoft, l’un des développeurs/éditeurs les plus importants du monde) en quelques années, il en a profité pour s’offrir une nouvelle notoriété. S’il continue sur cette lancée, il se pourrait bien qu’il surpasse un jour le cinéma … Affaire à suivre.