Le cinéma est un divertissement qui plait au plus grand nombre, de ceux qui font voguer sur les flots de l’imagination et apportent une détente réconfortante. Les comédies font rire, les films d’aventures font voyager, les films de science fiction font rêver. Les héros imposent leur charisme et les belles héroïnes attirent les regards. Il existe également des films alambiqués aux scénarios retors et aux intrigues absconses. Je les appelle films philosophiques. Ils font plisser les yeux, se creuser les méninges et réfléchir très fort, sous peine de n’y rien comprendre. Pas forcément les films les plus appréciés mais il s’agit d’une catégorie cinématographique que j’affectionne. Car ils tentent la plongée en apnée dans des profondeurs insondables pour en ramener des oeuvres fascinantes.
La ligne rouge
La bataille de Guadalcanal durant la WWII opposa des troupes américaines en pleine reconquête et des soldats japonais décidés à opposer une résistance acharnée. Loin de l’image habituelle du soldat résolu et déterminé à libérer le monde de la tyrannie, Terence Malick imagine plutôt des soldats hantés par le doute, rongés par leur faiblesse et perdus au milieu d’une nature omniprésente et spectatrice de leurs tourments. Le film exhibe pendant 2h50 une belle galerie de soldats perdus en eux-mêmes. Le casting est au diapason avec Sean Penn, Jim Caviezel, John Travolta et Adrien Brody, entre autres. Le film peut se regarder comme un classique film de guerre ou bien comme un pensum pacifiste et philosophique. Au choix.
Solaris
Le cinéma d’Andreï Tarkovski est un exemple parfait d’ambition philosophique. La mise en scène minimaliste place les personnages dans d’insondables tourments intérieurs. Solaris en est un parfait exemple. Un équipage vogue à proximité d’une planète aux pouvoirs obscurs. Elle semble instiller une douce folie dans l’esprit des équipes spatiales. Le film débute sur une pesante mélodie de Bach tout à fait dans le ton du film. Pas un personnage sans regrets ou illusions, la folie semble plus induite que provoquée par une mystérieuse planète. Qu’y a-t-il à comprendre d’un équipage souffrant tout entier du mal de l’espace et de la solitude? Un film onirique qui fascine.
La dernière tentation du Christ
Martin Scorsese adapte la thèse iconoclaste du livre de Nikos Kazantzakis. Loin de l’imagerie sacrée traditionnelle, il fait de Jésus un homme tourmenté par la chaire et longtemps séparé de toute visée spirituelle. Le rôle de Judas est bien éloigné de celui habituellement décrit dans les évangiles. Si les studios ont accepté de produire le film, ils ont donné à Scorsese l’obligation de réaliser par la suite un film commercial, ce sera Les Nerfs à Vif. La photo du film est d’un dépouillement complet et si l’intrigue suit dans les grands lignes le déroulé traditionnel, le réalisateur y adjoint les arguments révolutionnaires de l’ouvrage. Pour un film qui bouscule…
Eyes Wide Shut
Stanley Kubrick adapte l’ouvrage d’Arthur Schnitzler Rien qu’un rêve dans le New York de la fin du XXe siècle. Un couple heureux en amour traverse une crise de couple qui bouscule le mari blessé dans sa virilité. Quand son épouse évoque ses fantasmes cachés, il se décide à réaliser les siens… Nicole Kidman et surtout Tom Cruise interprètent ce couple à la croisée des chemins. Kubrick ajoute des personnages mystérieux et des situations ambiguës. Pour un résultat fascinant qui transporte le spectateur 2h39 durant. Le film ne se résume pas à la célébrissime scène du miroir avec la musique de Chris Isaak. Il trifouille dans les méninges de l’inconscient…
Kagemusha, l’ombre du guerrier
La filmographie d’Akira Kurosawa regorge de films passionnants, son Kagemusha en est un parfait exemple. Un rustre doit prendre la place du roi défunt pour assurer la continuité du royaume. Sa ressemblance frappante lui permet de faire illusion auprès de tous les humains mais pas avec le cheval du trépassé. Le film contient des scènes plastiquement éblouissantes et une analyse des comportements humains saisissante. Les jalousies, la flagornerie, la persévérance, tous ces sentiments sont exploités avec tout l’art du réalisateur japonais. On comprend mieux que Francis Ford Coppola et George Lucas aient tous deux aidés Kurosawa à produire ce film acclamé dans le monde entier.
Persona
Ingmar Bergman est au fond du gouffre quand il imagine le scénario de Persona. Il multiplie les images mystérieuses pour exploiter la profondeur de sa psyché tourmentée. Il imagine deux héroïnes aux destinées contraires. Ceux qui feront le parallèle avec le Mulholland Drive de David Lynch n’auront peut être pas tort…. Mais loin des critères habituels du cinéma américain, Bergman va bien au delà, se permettant toutes les fantaisies formelles et philosophiques. Le film est un vrai voyage dans l’inconnu et il faut une réflexion ardue pour en détricoter les pelote. Voire le revoir plusieurs fois avec toujours ce ravissement devant Liv Ulmann et Bibi Andersson…