Critique : On l’oublie régulièrement mais l’acte de création est un exploit en soi. Il faut en effet parvenir à matérialiser des idées personnes dans quelque chose de concret, le tout avec des moyens qui seront toujours trop limités et souvent en lutte avec différents obstacles, à l’instar de ce qu’a vécu Johan Otto von Spreckelsen avec son fameux Cube censé prendre place à la Défense. C’est justement toute cette lutte de l’art face aux murs administratifs qui va alimenter l’excellent nouveau film de Stéphane Demoustier, « L’inconnu de la grande arche ».

Très rapidement, par le biais d’un plan séquence introductif aussi malin que subtilement signifiant des aléas à venir, le long-métrage introduit le rapport à la perception politique de l’art tout en y adressant un absurde de l’administratif qui va clairement marquer les travaux de l’œuvre. L’idée principale du récit est de rester dans cette lutte tout en ne tombant pas trop dans la facilité, l’ego de l’architecte n’étant jamais diminué par le récit mais servant justement de contrepoids passionnant. Ainsi, les différents obstacles qui s’accumulent renvoient à la difficulté de la création face aux rouages politiques, sujet particulièrement pertinent au vu de l’actualité où l’on aime diminuer l’importance de l’art en coupant encore et encore dans les budgets culturels.

De là, la mise en scène va accentuer cet enfermement ainsi que cet entêtement, notamment par le choix d’un cadre carré plutôt à propos au vu de l’œuvre censée se construire. Ainsi, les oppositions seront constantes, renforcées par un casting aux petits oignons évitant la simple reconstitution vaine mais trouvant en chacun une force d’évocation assez humaniste. La recréation stylistique d’époque renforce ce sentiment tout en y trouvant, ironiquement, un aspect contemporain dans les traits liant passé et présent avec une ironie aussi fine que, finalement, triste.

De cette histoire d’un homme qui voulait juste concevoir son cube, « L’inconnu de la grande arche » en tire un récit adroitement mené au rythme impeccable mais surtout une œuvre où la beauté plastique n’oublie jamais le cœur. Tel un artiste souvent diminué derrière sa création, le film s’avère intelligemment humain, avec une richesse émotionnelle qui en fait incontestablement un des meilleurs films à découvrir sur grand écran en cette fin d’année.

Résumé : 1983, François Mitterrand décide de lancer un concours d’architecture international pour le projet phare de sa présidence : la Grande Arche de la Défense, dans l’axe du Louvre et de l’Arc de Triomphe ! A la surprise générale, Otto von Spreckelsen, architecte danois, remporte le concours. Du jour au lendemain, cet homme de 53 ans, inconnu en France, débarque à Paris où il est propulsé à la tête de ce chantier pharaonique. Et si l’architecte entend bâtir la Grande Arche telle qu’il l’a imaginée, ses idées vont très vite se heurter à la complexité du réel et aux aléas de la politique.