Avant d’être un excellent thriller d’anticipation signé Alfonso Cuaron, Les Fils de l’Homme est surtout un roman de l’auteur britannique PD James. Surtout connue pour ses romans policiers, elle commet l’ouvrage Children of Men en 1992 en imaginant une humanité privée de toute descendance avec comme seule perpective l’extinction inéluctable de l’espèce humaine à moyen terme. Si beaucoup ont vu le film, peu ont lu l’ouvrage, en VO de surcroit. Le bon moment pour souligner l’excellence de l’adaptation, cinématographique, qui a eu le bon gout de modifier sensiblement le récit original pour un effroi d’autant plus augmenté, tout en restant hyper réaliste. Attention, Spoilers nombreux!
Un roman marquant
A une époque où les médias ne cessent de répéter que l’homme exploite outrageusement les ressources de la planète jusqu’à avancer un peu plus chaque année la date de dépassement de l’exploitation des ressources naturelles, PD James imagine en 1992 une humanité confrontée à son cauchemar le plus terrifiant: l’absence de naissances, et donc d’enfants avec la perspective d’une fin prochaine de l’histoire. Le roman Children of Men se déroule en 2021 et le dernier enfant est né en 1995. Depuis lors, la population mondiale subit un irrémédiable vieillissement. L’ouvrage met en parallèle les mémoires de Théo Faron et son action avec un groupe de révolutionnaires pour combattre le régime en place. Sauf que le pouvoir est impitoyable et la nouvelle d’une première naissance depuis 26 ans au sein du groupe des 5 poissons va tous les mettre en danger.
Le roman de PD James est très loin de la violence crue et exacerbée de l’adaptation cinématographique d’Alfonso Cuaron en 2006. Le langage très british de la romancière fait plutôt penser à une tea party avec pudding et biscuits sucrés. La surabondance de descriptions précises et à vrai dire légèrement longuettes casse le rythme, au contraire d’un film qui ne se met jamais en position pause. Mais ne brulons pas les étapes et mettons en parallèle les deux oeuvres, pour une réflexion intéressante sur la vision d’un avenir cataclysmique auquel l’humanité pourrait très bientôt être confronté, chacun avec sa vision des choses.
L’avenir, cet inconnu
PD James revient longuement sur le passé du héros Théo. Professeur spécialisé dans l’époque Victorienne dans une université d’Oxford, il a longtemps côtoyé celui qui est devenu le dirigeant du Royaume-Uni à l’orée d’une époque troublée, un certain Xan qui n’est autre que son cousin. Personnage central du livre, ce sinistre personnage est devenu un tyran implacable. A une époque où toute organisation sociétale aurait pu partir à vau-l’eau du fait de l’imminence de la fin de la société humaine, il se décrit comme celui qui a permis à la dernière génération de britanniques de continuer à vivre tandis que l’implacable se profile à l’horizon. Bon fonctionnement des systèmes électriques, approvisionnement en eau, service public, le livre insiste sur ce rôle ingrat tenu par un homme assoiffé de pouvoir. Le film montre a contrario ce fameux cousin comme un doux rêveur se contentant de sauvegarder les oeuvres d’art du monde entier d’une destruction imminente. Un personnage soutenu par l’état mais non pas aussi central que dans le roman. Caché dans l’ancienne usine de Battersea, avec cochon gonflable floydien en prime, il ne semble jouir que d’un pouvoir limité. Et c’est une première différence fondamentale entre le livre et le film. PD James insiste sur le risque purement dictatorial et la privation des libertés comme la littérature du XXe siècle aimait à le relater (1984, Le meilleur des mondes…) alors que le film montre les implications de la crise sur la population avec en première ligne la peur de l’autre et de l’étranger. Si le livre évoque de loin l’île de Wight transformée en camp géant pour réfugiés, le film montre bien plus distinctement le camp de réfugiés de Bexhill avec ces êtres humains traqués et enfermés pour rassurer le reste de la population. L’exemple même d’une fausse solution à un vrai problème. Quand toute l’humanité doit disparaitre sous 60 ans, à quoi bon traquer les étrangers? Le symbole est fort, d’autant que le film et le livre montrent des troupes régaliennes surarmées et en abondance, comme si la défense de l’état à n’importe quel prix était plus prioritaire que le bien être des populations. Une réflexion saisissante sur notre monde actuel et la montée des extrêmes comme solution aux soi-disant problèmes contemporains. Théo le fonctionnaire du ministère de l’énergie du film a la même place de chaperon malgré lui dans le film et dans le livre, mais pas le même caractère. Le Théo du film subit beaucoup plus que celui du livre. Reflet de deux époques différentes même si seulement éloignée de 14 ans?
Des révolutionnaires de pacotille
Le livre comme le film montrent les groupes dissidents qui s’insurgent contre le pouvoir central. Les 5 poissons du livre deviennent les poissons dans le film avec Julianne Moore dans le rôle de Julian en tant que leader et ex-femme de Théo (Clive Owen). Et on touche ici à une différence fondamentale ente livre et film. Car la Julian du livre est celle qui sera finalement la première femme enceinte depuis 26 ans, sans être liée originellement avec Théo. Le film préfère laisser ce rôle à une réfugiée plus lointaine et plus représentative du monde multiculturel actuel. Bien que central dans le film, Théo est comme emporté par la tempête de l’intrigue, victime collatérale d’une histoire qui le dépasse. Son ex-femme Julian disparait d’ailleurs rapidement, preuve que le centre du film est plus lointain de lui. Il devra donc mener la réfugiée enceinte du premier enfant depuis longtemps à l’organisation Renouveau planétaire dans une imbrication compliquée mais fascinante de péripéties. Le film ne lésine pas sur les effets de style, comme ce long plan séquence qui a marqué l’histoire du cinéma avec ses scènes de guérilla urbaine incroyables de puissance. Le groupe des poissons ne pèse rien contre le pouvoir en place, que ce soit dans le livre ou dans le film. Faute de soulèvement populaire, leurs visées révolutionnaires sont vouées à l’échec. Le film montre néanmoins une organisation structurée, armée et déterminée. Le groupe du livre semble beaucoup plus amateur, presque insignifiant. De même qu’il modifie l’intrigue, Alfonso Cuaron épaissit certains personnages voir en ajoute d’autres. Michael Caine devient un Jasper beaucoup plus truculent que dans le livre et Peter Mullan joue un policier qui lui n’est pas dans le livre.
Les meilleures adaptations sont toujours les moins fidèles
Loin de rester complètement fidèle au livre, le réalisateur se permet des ajouts et des modifications qui font sens. Car les problématiques de 2006 ne sont pas celles de 1992 et Cuaron a le bon gout de ne pas figer le récit dans une époque déjà ancienne. Il actualise l’esthétique du film, la violence des opposants et les moyens à disposition de l’état. Le style du film s’en ressent avec une atmosphère perpétuellement oppressante. Le héros se trouve aux prises avec des difficultés surgies de tous côtés là où le personnage du livre semble comparativement beaucoup plus paisible. La lecture de l’ouvrage offre de vrais moments de bravoure et surtout une fin totalement différente à celle du film. De bonne raisons de se plonger dans une lecture qui ouvre des perspectives. Le monde tel que PD James le voyait en 1992 est bien différent de celui imaginé par Cuaron en 2006.
Avant d’être un excellent thriller d’anticipation signé Alfonso Cuaron, Les Fils de l’Homme est surtout un roman de l’auteur britannique PD James. Surtout connue pour ses romans policiers, elle commet l’ouvrage Children of Men en 1992 en imaginant une humanité privée de toute descendance avec comme seule perpective l’extinction inéluctable de l’espèce humaine à moyen terme. Si beaucoup ont vu le film, peu ont lu l’ouvrage, en VO de surcroit. Le bon moment pour souligner l’excellence de l’adaptation, cinématographique, qui a eu le bon gout de modifier sensiblement le récit original pour un effroi d’autant plus augmenté, tout en restant hyper réaliste. Attention, Spoilers nombreux!
Un roman marquant
A une époque où les médias ne cessent de répéter que l’homme exploite outrageusement les ressources de la planète jusqu’à avancer un peu plus chaque année la date de dépassement de l’exploitation des ressources naturelles, PD James imagine en 1992 une humanité confrontée à son cauchemar le plus terrifiant: l’absence de naissances, et donc d’enfants avec la perspective d’une fin prochaine de l’histoire. Le roman Children of Men se déroule en 2021 et le dernier enfant est né en 1995. Depuis lors, la population mondiale subit un irrémédiable vieillissement. L’ouvrage met en parallèle les mémoires de Théo Faron et son action avec un groupe de révolutionnaires pour combattre le régime en place. Sauf que le pouvoir est impitoyable et la nouvelle d’une première naissance depuis 26 ans au sein du groupe des 5 poissons va tous les mettre en danger.
Le roman de PD James est très loin de la violence crue et exacerbée de l’adaptation cinématographique d’Alfonso Cuaron en 2006. Le langage très british de la romancière fait plutôt penser à une tea party avec pudding et biscuits sucrés. La surabondance de descriptions précises et à vrai dire légèrement longuettes casse le rythme, au contraire d’un film qui ne se met jamais en position pause. Mais ne brulons pas les étapes et mettons en parallèle les deux oeuvres, pour une réflexion intéressante sur la vision d’un avenir cataclysmique auquel l’humanité pourrait très bientôt être confronté, chacun avec sa vision des choses.
L’avenir, cet inconnu
PD James revient longuement sur le passé du héros Théo. Professeur spécialisé dans l’époque Victorienne dans une université d’Oxford, il a longtemps côtoyé celui qui est devenu le dirigeant du Royaume-Uni à l’orée d’une époque troublée, un certain Xan qui n’est autre que son cousin. Personnage central du livre, ce sinistre personnage est devenu un tyran implacable. A une époque où toute organisation sociétale aurait pu partir à vau-l’eau du fait de l’imminence de la fin de la société humaine, il se décrit comme celui qui a permis à la dernière génération de britanniques de continuer à vivre tandis que l’implacable se profile à l’horizon. Bon fonctionnement des systèmes électriques, approvisionnement en eau, service public, le livre insiste sur ce rôle ingrat tenu par un homme assoiffé de pouvoir. Le film montre a contrario ce fameux cousin comme un doux rêveur se contentant de sauvegarder les oeuvres d’art du monde entier d’une destruction imminente. Un personnage soutenu par l’état mais non pas aussi central que dans le roman. Caché dans l’ancienne usine de Battersea, avec cochon gonflable floydien en prime, il ne semble jouir que d’un pouvoir limité. Et c’est une première différence fondamentale entre le livre et le film. PD James insiste sur le risque purement dictatorial et la privation des libertés comme la littérature du XXe siècle aimait à le relater (1984, Le meilleur des mondes…) alors que le film montre les implications de la crise sur la population avec en première ligne la peur de l’autre et de l’étranger. Si le livre évoque de loin l’île de Wight transformée en camp géant pour réfugiés, le film montre bien plus distinctement le camp de réfugiés de Bexhill avec ces êtres humains traqués et enfermés pour rassurer le reste de la population. L’exemple même d’une fausse solution à un vrai problème. Quand toute l’humanité doit disparaitre sous 60 ans, à quoi bon traquer les étrangers? Le symbole est fort, d’autant que le film et le livre montrent des troupes régaliennes surarmées et en abondance, comme si la défense de l’état à n’importe quel prix était plus prioritaire que le bien être des populations. Une réflexion saisissante sur notre monde actuel et la montée des extrêmes comme solution aux soi-disant problèmes contemporains. Théo le fonctionnaire du ministère de l’énergie du film a la même place de chaperon malgré lui dans le film et dans le livre, mais pas le même caractère. Le Théo du film subit beaucoup plus que celui du livre. Reflet de deux époques différentes même si seulement éloignée de 14 ans?
Des révolutionnaires de pacotille
Le livre comme le film montrent les groupes dissidents qui s’insurgent contre le pouvoir central. Les 5 poissons du livre deviennent les poissons dans le film avec Julianne Moore dans le rôle de Julian en tant que leader et ex-femme de Théo (Clive Owen). Et on touche ici à une différence fondamentale ente livre et film. Car la Julian du livre est celle qui sera finalement la première femme enceinte depuis 26 ans, sans être liée originellement avec Théo. Le film préfère laisser ce rôle à une réfugiée plus lointaine et plus représentative du monde multiculturel actuel. Bien que central dans le film, Théo est comme emporté par la tempête de l’intrigue, victime collatérale d’une histoire qui le dépasse. Son ex-femme Julian disparait d’ailleurs rapidement, preuve que le centre du film est plus lointain de lui. Il devra donc mener la réfugiée enceinte du premier enfant depuis longtemps à l’organisation Renouveau planétaire dans une imbrication compliquée mais fascinante de péripéties. Le film ne lésine pas sur les effets de style, comme ce long plan séquence qui a marqué l’histoire du cinéma avec ses scènes de guérilla urbaine incroyables de puissance. Le groupe des poissons ne pèse rien contre le pouvoir en place, que ce soit dans le livre ou dans le film. Faute de soulèvement populaire, leurs visées révolutionnaires sont vouées à l’échec. Le film montre néanmoins une organisation structurée, armée et déterminée. Le groupe du livre semble beaucoup plus amateur, presque insignifiant. De même qu’il modifie l’intrigue, Alfonso Cuaron épaissit certains personnages voir en ajoute d’autres. Michael Caine devient un Jasper beaucoup plus truculent que dans le livre et Peter Mullan joue un policier qui lui n’est pas dans le livre.
Les meilleures adaptations sont toujours les moins fidèles
Loin de rester complètement fidèle au livre, le réalisateur se permet des ajouts et des modifications qui font sens. Car les problématiques de 2006 ne sont pas celles de 1992 et Cuaron a le bon gout de ne pas figer le récit dans une époque déjà ancienne. Il actualise l’esthétique du film, la violence des opposants et les moyens à disposition de l’état. Le style du film s’en ressent avec une atmosphère perpétuellement oppressante. Le héros se trouve aux prises avec des difficultés surgies de tous côtés là où le personnage du livre semble comparativement beaucoup plus paisible. La lecture de l’ouvrage offre de vrais moments de bravoure et surtout une fin totalement différente à celle du film. De bonne raisons de se plonger dans une lecture qui ouvre des perspectives. Le monde tel que PD James le voyait en 1992 est bien différent de celui imaginé par Cuaron en 2006.