Nous vous parlions il y a quelques années de The Room , fameux nanar qui se rêvait drame à la Tennessee Williams mais qui a fini en tant que comédie absurde sur l’existence. À l’occasion de la sortie de The disaster artist , adaptation d’un livre making-of sur le film, revenons encore un peu sur la personnalité de Tommy Wiseau…
Greg Sestero est un jeune acteur en devenir qui se lie d’amitié avec l’étrange Tommy Wiseau. Tandis que les rêves de chacun se brisent sur le mur Hollywoodien, ils décident de créer leur propre film…
La création, d’un long-métrage ou de n’importe quelle œuvre artistique, est fastidieuse. Il est difficile de retransmettre à l’extérieur nos ambitions intérieures, nos doutes et nos espoirs. C’était ce qui ressortait de The Room ainsi que de The disaster artist , aussi bien livre que film. James Franco retaille la source originale et condense les événements pour tenir une durée satisfaisante et mieux faire ressortir les excentricités de Wiseau. Si les lecteurs pourront regretter de ne pas retrouver certaines anecdotes assez croustillantes (les changements de chefs opérateurs), cela serait ignorer l’une des idées du bouquin : raconter un ratage sous la forme d’une réussite personnelle, bien qu’accidentelle.
The disaster artist aurait ainsi pu jouer sur la gaudriole facile. Franco préfère plutôt souligner le décalage de Wiseau au sein de la société et sa relation amour-haine avec Sestero. Il est difficile de ne pas rire devant certaines situations, mais on est moins dans la moquerie que le regard tendre envers des personnages de bras cassés qui s’accompliront quand même. L’idée principale est surtout de suivre les coulisses sans apporter un réel jugement, même s’il est difficile de ne pas réagir au comportement du réalisateur, scénariste, producteur et acteur principal. C’est comme cela que la mise en scène prend un style plus documentaire une fois que l’on est sur le tournage, avec sa caméra plus mobile et ses séquences plus longues. On est dans l’immersion du fameux nanar, spectateur de premier plan d’une production compliquée.
Un reproche qui pourrait être fait par certains est que la direction d’acteurs semble plus proche de l’imitation que de l’interprétation. Pourtant, cela rentre dans un certain cycle avec Wiseau cherchant lui-même à imiter ses modèles (Brando et Dean), au point de se réapproprier certaines de leurs répliques ( You’re tearing me apart, copie furieuse de la fameuse réplique de La fureur de vivre ). Cet aspect plus reproductif s’immerge dans une signification intra et extra diégétique avec cette quête obsessionnelle de ressembler à nos modèles. En cela, il devient plus passionnant encore de se pencher sur l’auteur de The Room lui-même.
Wiseau est en effet un metteur en scène en proie aux doutes par rapport à ses ambitions trop différentes de la part de la société. Alors qu’un professeur lui dit qu’il serait bon dans un rôle de monstre, il réplique qu’il préférerait devenir un héros. Ce décalage absolu entre son physique et sa diction avec ses rêves d’héroïsme américain en est presque touchant. Pas étonnant alors que ce décalage ait fini par s’immerger dans son film et rogner ainsi ce qu’il souhaitait installer comme une situation de rêve. Son personnage de Johnny est dit comme ayant un travail sûr mais n’a pas d’augmentation. Il a une femme qu’il aime mais celle-ci le trompe. Il a plein d’amis mais son principal est l’amant de sa fiancée.
The disaster artist prend dès lors une tournure d’accomplissement et même d’une volonté de se réadapter aux ambitions d’un public à qui il n’a su transmettre ses ambitions. S’il manque peut-être l’amour et la poésie d’un Tim Burton dans Ed Wood, le film dégage un certain respect envers cette quête réussie, jetant un œil attendri sur des losers qui, même dans une situation d’échec, sauront s’approprier celui-ci et le transformer en force. Cynique ? Peut-être, mais notre monde ne l’est-il pas ? Tommy Wiseau endosse donc les atours d’un perdant magnifique et excentrique méritant une certaine empathie et respect pour avoir tenté de créer quelque chose de grandiose. Et même si l’amour qu’il reçoit n’est pas comme il l’espérait, il a quand-même réussi à l’obtenir. En cela, The room n’est-il donc pas un succès ?