En l’espace d’une seule année, deux œuvres originales se sont penchées sur la question du révisionnisme cinématographique avec pour point commun le mot-fantasme « Hollywood ». Un film indépendant signé Tarantino (Once upon a time… in Hollywood) et une série Netflix dirigée par le maître de la série contemporaine Ryan Murphy intitulée sobrement Hollywood.
D’un côté, un cinéaste de légende connu pour réviser l’Histoire (il était déjà à l’oeuvre sur Inglorious Basterds par exemple) s’attaque au tournant majeur dans l’industrie du cinéma: le passage aux années 70. Cette période est particulière pour les Etats-Unis car c’est tout un paradigme qui évolue. L’âge d’or des studios est définitivement enterré, la télévision chamboule le rapport du spectateur à l’écran… et la génération du Nouvel Hollywood s’apprête à déferler. Dans OUATIH, il est question de changer le destin de la regrettée Sharon Tate.
Du côté de la série Hollywood, il est plutôt envisagé une réécriture globale de l’histoire du Hollywood des années 40. De la prostitution masculine au racisme assumé des institutions, l’enjeu du révisionnisme semble totalement différent comme le montre cette publication de Ryan Murphy sur Instagram:
Un réalisateur-dieu peu convaincant
En apparence, il n’y a aucun mal à se servir de l’Histoire pour raconter une histoire originale et instructive. Sur ce point précisément, que l’on aime ou non le travail de Tarantino en général, force est de constater que la reconstitution holywoodienne est tout bonnement incroyablement réussie. Du décor à l’atmosphère générale, Los Angeles est bien représentée dans sa multitude (du cinéma au plateau de tournage en passant par le ranch de Mason).
Mais détourner l’Histoire est un geste politique. Le faire consciemment conduit nécessairement le réalisateur à servir un propos. Quand Tarantino change le cours de l’Histoire, la survie de Sharon Tate est un acte fort. Nous entendons bien l’intention de base, à savoir raconter un conte (qui commence par Once upon a time…), montrer un idéal rêvé et fantasmé qui ne sera jamais vécu dans le réel.
Sharon Tate était-elle un élément nécessaire pour servir ce propos? La réponse semble négative. Tout d’abord dans la construction du récit, Sharon est introduite comme étant la voisine de l’acteur sur le déclin joué par DiCaprio. Nous la voyons vivre sa vie sans que celle-ci interfère réellement avec celle de Rick Dalton et son doubleur. Il se dégage de ce personnage un air désagréable consistant à exister seulement pour servir l’acte final et surprendre le spectateur. A part survivre à son destin réel, que fait cette personnalité de toute cette histoire fictive? Pas grand chose d’intéressant contrairement à DiCaprio et Pitt qui construisent une relation plus épaisse.
Nous arrivons à la conclusion amère d’un personnage mal construit, existant seulement pour surprendre, malgré l’enrobage de fantasme que voudrait créer Tarantino avec ce fait réel. La position de réalisateur-dieu capable de triturer l’Histoire comme bon lui semble ne fonctionne plus, contrairement à Inglorious Basterds. Le sixième film de ce réalisateur maniait l’Histoire avec plus de subtilité, avec un propos plus puissant.. et donc avec plus de légitimité. Le cinéma devenait une arme utilisée par les nazis et une sorte de symétrie opérait entre l’idéologie et le cinéma, faisant triompher l’art et les « gentils ».
L’alternative du réalisateur politisé
Contrairement à son compère du cinéma, Ryan Murphy utilise le petit écran pour délivrer un message politique, en faveur des minorités. C’est un réel cinéma de combat que propose le réalisateur en donnant de la place et des moments d’existence aux personnes mises à la marge. Cela se remarque très bien dans les séries Pose ou encore American Horror Story.
La réécriture de l’Histoire est donc basée sur un propos entièrement assumé et franchement agréable durant les premiers épisodes de la série. L’auteur nous montre ce qu’aurait pu être Hollywood, que finalement, la couleur de peau n’impacte pas sur la qualité du cinéma. La série ironise encore plus cette idée en attribuant l’oscar du meilleur film de 1948 au film imaginaire scénarisé par une personne de couleur. Comme pour enfoncer le clou, l’actrice principale de couleur gagne l’oscar de la meilleure actrice… mais pas l’acteur blanc dans un second rôle.
Et cela fonctionne très bien, les personnes qui détiennent le pouvoir se rendent compte de leur erreur, apprécient le film pour sa qualité seulement. Le tout ne donne pas un côté moralisateur mais montre au contraire qu’on aurait pu parvenir à de super projets il y a des décennies.
Le réel problème de cette série est son calibrage trop parfait. En rendant chaque personnage politisé à sa manière (le PDG-blanc qui est raciste, la femme du PDG qui voit dans ce combat une manière de s’affirmer, le producteur homosexuel…), il manque une touche de spontanéité. Les acteurs sont très bons mais ne peuvent jamais exploser, toujours rattrapés par un propos systématiquement politique.
Le révisionnisme historique, un pari risqué
Ainsi, il semble bien que réviser l’Histoire soit une idée très tentante mais à utiliser avec précaution. La tentation de se placer en réalisateur-dieu ou en réalisateur-politisé présente de grandes qualités non-négligeables. Elles enferment toutefois une forte responsabilité. Changer le cours de l’Histoire est un acte politique, qui doit servir un propos (ce qui est raté chez Tarantino) sans s’enfermer dans une case pour autant (ce que fait Murphy). Il s’agit toutefois de deux œuvres très intéressantes et qui donnent matière à réflexion après le visionnage… ce que l’on ne critiquera jamais, AU CONTRAIRE!
Et vous, quelle période de l’Histoire voudriez-voir révisée au cinéma?