À la mémoire de Donald Kaufman

Le retour gagnant du tandem Jonze-Kaufman

Quatre ans après Dans la peau de John Malkovich, Spike Jonze rappelle toute la bande, dont le talentueux scénariste Charlie Kaufman, pour la création de la suite spirituelle de son film, pour le meilleur, et naquit Adaptation.

Curieusement, c’est beaucoup plus le film de Charlie Kaufman que le film de Spike Jonze!

Donald Kaufman

Charlie Kaufman est fils unique. En créant son frère jumeau fictif, il se dédouble lui-même, et oppose deux aspects distincts de sa personnalité.

Dans le film, Charlie est timide, réservé et presque névrosé. Il ne sait pas comment avancer dans l’écriture de son adaptation du Voleur d’Orchidées, alors qu’il essaie de trouver quelque chose d’original, d’innovant. Ce blocage le plonge dans une profonde crise existentielle, qu’il exorcise avec le film.

C’est bon, un muffin.

De l’autre côté, Donald, beaucoup plus vif d’esprit, débridé et extraverti. Il écrit son propre scénario avec enthousiasme, et pour savoir comment bien l’écrire, il lit le traité de Robert McKee (joué par Brian Cox et doublé par Jacques Frantz) Story : Contenu, Structure, Genre – Les principes de l’écriture d’un scénario. Il rappelle, et ça, c’est primordial, la différence entre règle et principe.

Pour reprendre grosso modo les mots de Donald Kaufman, la règle, c’est ce qu’on doit faire, et le principe, c’est ce qui marche.

Donald est une allégorie de l’état d’esprit de Charlie Kaufman. Cette trouvaille relève du véritable génie. J’en parlais dans mon dossier sur le scénario, Charlie Kaufman est un scénariste qui cherche toujours à explorer de nouveaux procédés de narration, à faire quelque chose d’expérimental, bref à innover. Cet état d’esprit entre en contradiction totale avec l’homme qu’il va côtoyer à un moment:

Robert McKee, Story ou l’écriture de scénario balisée: Réflexion sur l’écriture de scénario

Robert McKee: L’authentique (à gauche) et son interprétation par Brian Cox (à droite)

Pour ce chapitre, je vais exposer pleinement mon ressenti et ma vision des choses. Les scénaristes qui ont une ou plusieurs idées de scénarios en tête, lorsqu’ils vont se lancer à l’écriture, s’équipent toujours d’un modèle, d’un support d’inspiration, le plus souvent sous forme d’un traité, d’un livre qui fait office de mode d’emploi. Les auteurs ont toujours eu la Poétique d’Aristote comme lecture de chevet, ensuite Le Héros aux Mille et un Visages de Joseph Campbell (Comme l’a fait George Lucas pour La Guerre des Étoiles) et Le Guide du Scénariste de Christopher Vogler (Comme Darren Aronofsky).

Les jeunes qui désirent faire des études de cinéma pour devenir scénaristes et réalisateurs et la plupart des passionnés en général, eux, vont se tourner vers des ouvrages très théoriques comme L’anatomie du Scénario de John Truby et Story: Contenu, Structure, Genre – Les principes de l’écriture d’un scénario de Robert McKee, un analyste spécialisé dans le scénario, considéré comme un gourou.

Les ouvrages ci-dessus tiennent presque du charlatanisme (voire carrément dans le cas de John Truby). Ils donnent des codes à respecter pour un scénario balisé, formaté, parfaitement dans les clous, si bien que ça en devient barbant et pas intéressant. Suivre un schéma précis est le meilleur moyen pour un suicide artistique. Lire Le Héros aux Mille et un Visages de Joseph Campbell ou Le Guide du Scénariste de Christopher Vogler, c’est une bonne chose, en revanche suivre un manuel à la lettre ne fera pas de vous un scénariste hors-pair (comme le prétend ce vieux con de John Truby). Connaître les codes est une chose, savoir s’en affranchir pour raconter sa propre histoire, à sa façon, en est une autre.

J’ai toujours écrit mes scénarios en autodidacte. Évidemment, j’ai beaucoup appris avec les années (comparez les scénarios que j’écrivais à 11-12 ans et ce que j’écrivais à 16-17 ans, histoire d’observer la différence) et je pense que je n’ai pas fini d’apprendre. De toute façon, il faut le savoir, dans un domaine quel qu’il soit, on n’a jamais fini d’apprendre. Celui qui dit avoir tout appris et prétend tout savoir est une grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf.

Martin Scorsese (un de mes mentors spirituels) a dit ceci: « Les jeunes cinéastes me demandent souvent pourquoi j’ai besoin de regarder des vieux films. Et la réponse que je dois leur donner, selon moi, est que je me considère moi-même comme un étudiant. Le plus de films j’ai fait sur les vingt dernières années, le plus je réalise que je ne sais vraiment pas. Et je cherche toujours quelque chose, ou quelqu’un de qui je pourrais apprendre. Je dis aux jeunes cinéastes et aux jeunes étudiants que je fais comme les peintres ont fait, ou font: étudiez les vieux maîtres. Enrichissez votre palette, étendez your canevas. Il y a toujours tellement plus à apprendre. »

Une véritable perle de sagesse!!!

Tu peux pas test avec Marty!

Les meilleurs manuels d’écriture de scénario sont tout simplement les scénarios de nos films de référence. Ils sont trouvables gratos en PDF sur Internet. Pourquoi s’en priver?

Premier brouillon d’Apocalypse Now par John Milius en 1969

Dans le cas d’Adaptation

En opposant deux aspects de sa personnalité par le biais de lui-même et de son frère jumeau imaginaire, Charlie Kaufman oppose également deux approches différentes de l’écriture d’un scénario.

Donald écrit en quelques jours un scénario complet de thriller, mais convenu au possible. Charlie, lui, s’essaie à un exercice de style. Plutôt que de parler de vol d’orchidées ou d’intrigue judiciaire, il essaie de se pencher sur les fleurs en elles-mêmes. Dans sa volonté de tenter quelque chose de nouveau, il bloque complètement.

Entre alors jeu Robert McKee. Déjà, Donald dévore son ouvrage Story. Dans la seconde moitié du film, Charlie se rend à un séminaire d’une journée de Robert McKee sur la façon d’écrire un scénario, son fameux séminaire Story. Pendant le séminaire, ce dernier donne ses méthodes académiques et ses balises.

À la fin du séminaire, il va à la rencontre de McKee et lui fait part de sa difficulté dans son travail d’adaptation du roman de Susan Orlean. L’analyste lui conseille d’impressionner son public dans le dernier acte sans tricher, comme avec un deus ex machina.

J’en parlais aussi dans mon dossier. Adaptation, en plus d’inclure Robert McKee et Story dans sa diégèse, se joue des codes qu’ils dénonce ou conseille. McKee dénonce la voix-off (« Et que Dieu vous sauve si vous utilisez la voix-off dans votre film! C’est une écriture facile et fainéante!« ), alors que ce procédé revient souvent dans le film, pour illustrer la psyché de Charlie Kaufman. Quant au dernier acte, il est plus abracadabrantesque que le reste du film, avec intrusion de Charlie et Donald chez John Laroche (Chris Cooper, lauréat de l’Oscar du meilleur acteur pour le rôle), une course-poursuite dans les marécages de Floride qui mène à la mort de Donald. On n’oubliera pas non plus les alligators qui dévorent Laroche.

Un décalage opère entre Charlie Kaufman qui ne croit pas aux règles et aux principes dans l’écriture d’un scénario (Sauf qu’il existe trois règles inhérentes qu’on ne peut transgresser: N’écrire que ce que l’on voit, écrire au présent de l’indicatif et changer de séquence à chaque changement de lieu) et Donald qui suit les principes hollywoodiens de l’écriture de scénario, notamment en se référant à Robert McKee et son ouvrage, qui semble être à Hollywood autant une référence que Joseph Campbell et Christopher Vogler.

De l’art subtil mais sinistré du meta

Aujourd’hui, le meta est galvaudé par Hollywood, les blockbusters y cèdent à tort et à travers. Bien que certains films s’en servent correctement et à leur avantage (Comme Dans la peau de John Malkovich, Coup de Théâtre et L’Incroyable Destin de Harold Crick), le meta est devenu une technique usée jusqu’à la moelle par les studios qui donne aux films un aspect de pseudo-originalité.

Prenez par exemple Matrix Resurrections, le quatrième volet de la saga Matrix, réalisé par Lana Wachowski. Les scènes montrant les développeurs du jeu vidéo basé sur Matrix en plein brainstorming sont… vides de sens! Qu’est-ce que ça fout là?! Ça se veut original et en contraste total avec les trois premiers films, mais là, c’est de la nécromancie de bas étage, avec du fan-service, bien évidemment (Et là, je vois venir gros comme une maison les fans du film qui vont se tortiller dans tous les sens pour essayer de me dire « Ouais, mais là, c’est pour dénoncer le fan-service, tu compreeeends! », mais ouais mais non, en fait.).

Rentre chez toi, Lana, tu es bourrée.

Bon sang, Morpheus, quelle cuite!

Dans le cas d’Adaptation

Le film entier est une mise en abyme! Charlie Kaufman se place lui-même en protagoniste de son scénario, en plus de se dédoubler. D’ailleurs, Spike Jonze est lui-même un peu concerné, le film commence sur le tournage de Dans la peau de John Malkovich. Le time-lapse de la création du monde et de l’évolution de la vie sur Terre au début du film devient une idée de Charlie pour son scénario. Donald évoque la chanson Happy Together des Turtles qu’il a insérée dans son scénario, on entend le début de Happy Together à la fin du film.

La scène d’introduction de Charlie, ce dernier mangeant avec Valerie (Tilda Swinton), devient une idée de Charlie pour son scénario.

J’ai chaud, bordel…

Le film se termine sur une citation attribuée au scénario écrit par Donald, Les 3, et sur la mention « À la mémoire de Donald Kaufman ». Dans le générique d’ouverture et sur l’affiche du film, Donald est crédité comme scénariste aux côtés de Charlie. Ça, c’est du meta intelligent et efficace!

Conclusion

Alors qu’il partait sur un projet d’adaptation, Charlie Kaufman a remis en question la manière d’écrire un scénario, et ce de la façon la plus intelligente qui soit, par le meta, et à bon escient, avec la complicité de son meilleur compère, Spike Jonze. Cette pratique est de plus en plus imitée, mais à jamais inégalée. Adaptation est en réalité un making-of de lui-même!

ET LES FLEURS?!!

L’orchidée fantôme, la fameuse fleur convoitée par John Laroche

Synopsis

En parallèle de la production du film Dans la peau de John Malkovich, Charlie Kaufman (Nicolas Cage) travaille sur son prochain scénario: une adaptation du roman Le voleur d’orchidées de la journaliste du New Yorker Susan Orlean (Meryl Streep). Seulement voilà, il peine à trouver une façon unique d’adapter le roman, alors que son frère jumeau Donald (Nicolas Cage), qui décide de suivre ses pas, écrit son propre scénario en un éclair. Progressivement, Charlie va passer d’une adaptation d’un roman à la retranscription du processus d’adaptation.