Peut-on encore réinventer le scénario aujourd’hui?

Je me suis posé cette question après avoir regardé la chronique du Fossoyeur de Films « Le cinéma, c’était mieux avant? » en collaboration avec La Séance de Marty, dans laquelle les deux youtubeurs réfutent la fameuse maxime que vous connaissez sûrement:

« Toutes les histoires ont été racontées. Ce qui est nouveau, c’est la manière de les raconter.« 

Selon ce principe, tout le monde copie sur tout le monde et il n’y a qu’à trouver une alternative dans la narration pour se démarquer du matériau dont on s’inspire, ce qui induit que le cinéma manque cruellement d’inspiration dans le fond et que c’est la forme qui fait tout. Ce principe est tout simplement faux.

Je vais donner mon raisonnement en deux parties, une pour chaque phrase.

I-Toutes les histoires n’ont pas été racontées

C’est un fait, le cinéma, en particulier le cinéma américain, est en train de s’essouffler. À Hollywood, on peut observer un manque flagrant d’originalité: Disney s’enfonce inexorablement dans la vacuité de sa mode putride des remakes en prises de vue réelles de ses classiques (ou photo-réalistes si on veut parler du Roi Lion) et la nostalgie et le fan-service parasitent les suites et remakes de films cultes (La postlogie Star Wars, Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve, SOS Fantômes: L’Héritage de Jason Reitman, Top Gun: Maverick de Joseph Kosinski, L’Exorciste: Dévotion de David Gordon Green, Doctor Sleep de Mike Flanagan, la trilogie Jurassic World, Indiana Jones et le Cadran de la Destinée de James Mangold, etc.) et certains films de super-héros (Spider-Man: No Way Home de Jon Watts, Doctor Strange in the Multiverse of Madness de Sam Raimi, The Flash d’Andy Muschietti et The Marvels de Nia DaCosta).

Pour autant, est-ce que nous sommes à court d’idées? Pas sûr. Nous sommes loin d’avoir tout dit.

1-Le cinéma de fiction, une terre fertile

A-Les mythologies et cultures du monde entier

Bon nombre de récits sont encore inconnus ou méconnus du public, surtout dans le domaine mythologique et folklorique. On a eu je ne sais combien de films bibliques (Les Dix Commandements de Cecil B. DeMille, La Dernière Tentation du Christ de Martin Scorsese, La Passion du Christ de Mel Gibson, Exodus: Gods and Kings de Ridley Scott, Marie-Madeleine de Garth Davis, Noé de Darren Aronofsky…) et d’adaptations de la légende du roi Arthur (Excalibur de John Boorman, Le Roi Arthur d’Antoine Fuqua, Le Roi Arthur: La Légende d’Excalibur de Guy Ritchie et Kaamelott d’Alexandre Astier).

Avec la portée mondiale dont bénéficie le cinéma américain, il y a le champ libre pour toucher aux cultures du monde entier, et certains réalisateurs ne s’en sont pas privés.

Martin Scorsese a fait Kundun, Mel Gibson a fait Apocalypto, Wes Anderson a fait L’Île aux Chiens, John Boorman a fait La Forêt d’Émeraude, Alex Proyas a fait Gods of Egypt (c’est de la daube, mais il l’a quand même fait) et Danny Boyle a fait Slumdog Millionaire. Plutôt que d’avoir encore un film sur le Christ, Moïse ou Hercule, à quand un film sur Buddha, Krishna, Marduk, Gilgamesh, Zoroastre, le Quetzalcoatl, , Shéhérazade ou les divinités aborigènes d’Australie?

Oui, j’illustre avec une photo du Buddha Bar! Kestuvafèr?!

Ou même, tant qu’à rester dans les mythologies biblique et gréco-romaine, personne n’est intéressé par Prométhée, Thésée, Œdipe, Joseph, Abel et Caïn, David, Salomon, Orphée et Eurydice, Sodome et Gomorrhe, Iphigénie, et j’en passe?

Nous sommes loin d’avoir épuisé tout le stock de récits à raconter, c’est juste l’industrie qui s’en fout et qui préfère se contenter de maintenir le public dans sa zone de confort avec la nostalgie, le fan-service et ce qui est connu et d’engranger des milliards de dollars avec les franchises. 

Même Disney, qui a passé des décennies à célébrer intelligemment la diversité sans aller dans le wokisme, a choisi le choix de la paresse avec les remakes live des classiques, reléguant les nouveaux classiques au second plan et délaissant les projets originaux en prises de vue réelles (surtout à cause des échec successifs de John Carter d’Andrew Stanton et The Lone Ranger de Gore Verbinski).

B-La littérature

Combien de romans et de nouvelles est-ce que je rêve de voir adaptés au cinéma! Alors que tout le monde attend le reboot de Harry Potter en série (Dommage pour Les Animaux Fantastiques), je me demande quand est-ce qu’on aura une adaptation du cycle des Princes d’Ambre de Roger Zelazny!

Je vous intime l’ordre de lire cette saga, c’est de la Fantasy inventive!

Quelle tristesse de savoir que certains livres qui ont failli être l’objet d’adaptations ambitieuses n’ont jamais dépassé le seuil de l’idée.

Prenez Disney! Jusqu’aux années 2000, ils avaient de l’ambition pour leurs projets de films en prises de vue réelles! Vous connaissez L’Île Au Trésor d’après Robert Louis Stevenson, Vingt-Mille Lieues Sous les Mers d’après Jules Verne avec Kirk Douglas et James Mason, Le Trou Noir de Gary Nelson avec Anthony Perkins et Ernest Borgnine ou encore Tron avec Jeff Bridges, mais ce n’est pas tout!

Disney a eu l’audace de sortir deux films d’horreur particulièrement effrayants: Les Yeux de la Forêt, avec Bette Davis, en 1980, et La Foire des Ténèbres, adapté de Ray Bradbury, avec Jason Robards et Jonathan Pryce, en 1983!

Figurez-vous que Disney, au début des années 2000, avait même songé à adapter la saga littéraire jeunesse Abarat de Clive Barker!

C-Hors d’Occident

Le cinéma ne se limite pas à l’Occident (Comprenez l’Amérique du Nord et l’Europe). L’Asie et l’Afrique ont du cinéma à revendre. Alors, le cinéma africain n’est pas le plus populaire, mais deux noms particuliers sont à retenir: Ousmane Sembène, un écrivain et cinéaste sénégalais centré sur la critique sociale en Afrique (il fustige notamment les invasions catholique et musulmane en Afrique et le décalage social qui en a découlé), et Med Hondo, réalisateur et comédien de doublage franco-mauritanien, mettant la France et l’Afrique ensemble au cœur de son cinéma.

Ousmane Sembène
Med Hondo, mec!

Contrairement à l’Afrique, c’est l’Asie qui a cartonné auprès du public, notamment le Japon grâce à Akira Kurosawa, la Corée du Sud grâce à Park Chan-Wook et Bong Joon-Ho, et enfin Hong-Kong grâce à John Woo, Tsui Hark, Johnnie To, Ang Lee et Wong Kar-Wai.

Je ne connais pas assez bien le cinéma coréen, à l’exception d’Oldboy de Park Chan-Wook, Host et Parasite de Bong Joon-Ho et Le Dernier Train pour Busan de Sang-ho Yeon.

Le Japon a un cinéma bien à lui, unique en son genre, et pourtant aussi versatile que le cinéma américain. Bien évidemment, sortent du lot les films de sabre qui ont inspiré les westerns spaghetti comme Les Sept Samouraïs, Rashomon et Le Garde du Corps d’Akira Kurosawa, les films d’horreur, classiques comme récents, notamment Kwaidan, Onibaba, Kuroneko, Ring et The Grudge, les films d’animation comme les Ghibli (Porco Rosso et Princesse Mononoké, je les adore!) et les films de monstres (appelés kaijus) comme Le Voyage de la statue du Bouddha géant à travers le pays, Rodan, Mothra, Gamera, et le plus connu de tous, Godzilla.

Kwaidan
Onibaba

À Hong-Kong, on connaît les films de gangsters de John Woo et Tsui Hark (La trilogie Le Syndicat du Crime, Une Balle dans la Tête, The Killer, À Toute Épreuve, Time and Tide), les épopées mystiques avec la saga Detective Dee, les films historiques comme la saga Il était une fois en Chine, des mélodrames comme The Lovers et Chungking Express et les films d’arts martiaux comme Tigre et Dragon, Le Maître d’Armes et le film Hong-Kongais ultime pour moi, The Blade de Tsui Hark (Voyez-le, c’est un gigantesque tour de force, le meilleur film d’arts martiaux qui soit).

CE FILM, NOM DE DIEU!!!

D-Les scénarios bruts

On produit des centaines de films aux États-Unis et des milliers dans le monde entier (à vue de nez). Mais rien qu’à Hollywood, ce sont des milliers de scénarios qui sont écrits et présentés aux studios, que ce soit des commandes ou des scripts spéculatifs. Ces scénarios fourmillent d’imagination et d’originalité!

Vous qui ne connaissez probablement que SOS Fantômes: L’Héritage en guise d’ersatz… euh, de suite à SOS Fantômes, saviez-vous que Dan Aykroyd avait écrit un vrai SOS Fantômes 3 à la fin des années 90, intitulé Ghostbusters: Hellbent? Le scénario a connu plusieurs réécritures, ce qui fait que le premier brouillon, datant de 1999, est introuvable, en revanche la version définitive de 2006 est trouvable en PDF sur Internet, et qu’est-ce qu’il est inventif! C’est LE SOS Fantômes 3 que j’aurais voulu voir au cinéma, sans nostalgie, sans fan-service, avec un côté plus orienté SF-Horreur, avec une prolongation ambitieuse du lore (Au moins, on a eu le jeu vidéo de 2009 comme lot de consolation), notamment un monde miroir infernal, dans lequel se trouve Manhellton, la version miroir de Manhattan.

Même chose pour Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal! J’ai beau avoir beaucoup d’affection pour le film, mais le scénario écrit par Frank Darabont en 2002, Indiana Jones et la Cité des Dieux, bien que proche du résultat définitif, est génial! Ce scénario était au goût de Steven Spielberg et de Harrison Ford, mais pas de George Lucas.

Ou encore la postlogie Star Wars! George Lucas avait écrit tout un arc centré sur Leia qui se fait entraîner par Luke Skywalker à la maîtrise de la force, avec Dark Maul en antagoniste principal. Franchement, pourquoi pas, ça reste plus intéressant que les péripéties de Mary Sue Rey, Finn et Poe Dameron avec le rejeton de Dark Vador en méchant et le retour de Palpatine par une pirouette de scénariste.

Même chose pour Le Manoir Hanté! Avant que le film de Justin Simien ne voie le jour tel qu’il est, le projet était à l’initiative de Guillermo Del Toro, grand fan du Haunted Mansion de Disneyland, qui voulait en faire une adaptation digne de ce nom, sombre et terrifiante en tant que scénariste, producteur et réalisateur. Aucun brouillon du scénario n’est disponible, mais on estime que Del Toro en a écrit pas moins d’une vingtaine, et ce qu’on sait de son projet laissait augurer un film ambitieux, centré sur le Hatbox Ghost.

Of course, there’s always my way.

Les scénarios de films qui n’ont jamais vu le jour sont aussi de bons exemples.

Connaissez-vous La Chute de la Maison Usher d’Edgar Allan Poe? Vous avez aimé la série de Mike Flanagan? Bien, alors figurez-vous qu’une adaptation au cinéma était dans les projets d’un certain Tim Burton dans les années 90, une transposition modernisée de la nouvelle à Burbank.

Et Dune! Le projet abandonné d’Alejandro Jodorowsky, ç’aurait été le pied!

On attend encore le projet d’adaptation des Montagnes Hallucinées de H.P. Lovecraft par Guillermo Del Toro.

Et l’exception: Megalopolis de Francis Ford Coppola arrivera cette année dans les salles!

Ou dans le domaine des super-héros, les projets abandonnés foisonnent! Avant la sortie de Batman et Robin, Joel Schumacher avait un projet de suite, Batman Triumphant, qui verrait le retour de Jack Nicholson en Joker, Danny DeVito en Pingouin, Michelle Pfeiffer en Catwoman, Tommy Lee Jones en Double-Face, Jim Carrey en Homme-Mystère, Arnold Schwarzenegger en Mister Freeze, Uma Thurman en Poison Ivy et Jeep Swenson en Bane, plus Courtney Love en Harley Quinn et Nicolas Cage dans le rôle de l’Épouvantail. Mais comme Batman et Robin, c’est de la merde, l’aventure s’est arrêtée là. À l’aube des années 2000, avant que Christopher Nolan ne prenne les devants, deux cinéastes ont tenté de ressusciter le chevalier noir au cinéma: Joss Whedon, avec son projet Batman dont le méchant, un méchant original, serait un genre de Hannibal Lecter, et Darren Aronofsky, avec son projet d’adaptation du comicbook Batman: Year One de Frank Miller et David Mazzuchelli. Le projet avorté Superman Lives était intéressant, les dessins de Tim Burton annonçaient un film de la trempe de ses Batman (Sa résurrection dans The Flash est une atrocité).

Du côté de Marvel, à l’époque de la faillite de l’éditeur, les studios d’Hollywood s’arrachaient les droits d’exploitation de ses super-héros. Dans les années 90, Wesley Snipes avait un scénario pour un projet de film qui n’a jamais vu le jour sur Black Panther avec la 20th Century Fox, Mario Van Peebles et John Singleton. En 2007, un an avant la sortie d’Iron Man et le lancement du MCU, Kevin Feige a été approché par deux quidams pour un projet palpitant: Un film Doctor Strange situé dans les années 20 écrit par Guillermo Del Toro et Neil Gaiman. Le projet était ambitieux, mais Doctor Strange n’était malheureusement pas encore à l’ordre du jour dans le MCU.

E-Les attentes du public et la stratégie des studios

Prenons quelques cas de figures précis:

John Carter, d’Andrew Stanton (Réalisateur du Monde de Nemo et de Wall-E), produit par Walt Disney Pictures, librement adapté du roman d’Edgar Rice Burroughs. Un projet de trilogie ambitieux qui aurait pu permettre à la jeune génération de s’intéresser à la lecture du Cycle de Mars de Burroughs, avec un budget de 250 millions de dollars (plus 100 millions de dollars pour la promotion), Willem Dafoe, Ciarán Hinds, Dominic West, Mark Strong, Bryan Cranston, David Schwimmer (Ouais, Ross dans Friends) et Jon Favreau. Pas de bol, le film ne rentre pas dans ses frais, la trilogie est abandonnée, et Disney ne fait rien pour soutenir le film et abandonne les droits d’adaptation de la saga d’Edgar Rice Burroughs. Plusieurs journalistes accusent la firme d’avoir saboté la promotion et la sortie du film pour valoriser leurs franchises. Rien que ça!

Regardez, mes amis, regardez et sentez le parfum amer de la défaite.

The Lone Ranger, de Gore Verbinski, produit par Walt Disney Pictures (Oh bah tiens!), adapté du feuilleton radiophonique de 1933 et de la série télé de 1949. Le retour de l’équipe gagnante de Pirates des Caraïbes (Gore Verbinski, Ted Elliott, Terry Rossio, Hans Zimmer et Johnny Depp), un budget de 215 millions de dollars, Helena Bonham Carter, Tom Wilkinson, de l’humour efficace, de l’action dantesque, une mise en avant d’une tribu amérindienne (Les Comanches, en l’occurrence), le tout en tentant de ressusciter le genre du western. Tout était réuni pour qu’on ait une nouvelle saga digne de Pirates des Caraïbes, hélas le résultat a été le même que pour John Carter, échec commercial, malgré une tentative de défense du film à sa sortie par Disney, Johnny Depp et Jerry Bruckheimer.

Tonto, je crois qu’on a foiré.
-Comment t’as deviné?

Le Manoir Hanté, de Justin Simien, produit par Walt Disney Pictures (Quel hasard!), adapté de l’attraction The Haunted Mansion de Disneyland California. Après le sympathique mais discutable Le Manoir Hanté et les 999 Fantômes de Rob Minkoff, les fans attendaient une adaptation digne de ce nom de la meilleure attraction de Disneyland. Ce projet de reboot, censé être sombre et vraiment effrayant, était développé par Guillermo Del Toro, qui a finalement laissé le projet entre d’autres mains. Malgré un budget moins élevé que The Lone Ranger et John Carter, 150 millions de dollars, la faute à une promotion désastreuse, le film ne rapporte que 117 millions de dollars. En même temps, quelle idée d’avoir sorti un film fait pour Halloween en plein mois de juillet, et dans la foulée du phénomène Barbenheimer (une semaine après)?! Disney semble ne pas avoir la moindre confiance dans le projet, dommage.

Welcome, foolish mortals…

Disney a préféré miser sur des nouveaux classiques comme La Reine des Neiges, Vaiana, Encanto et Wish: Asha et la Bonne Étoile, les deux derniers opus catastrophiques de Pirates des Caraïbes (Je ne veux rien savoir, La Fontaine de Jouvence est calamiteux), les remakes live des classiques Disney comme Le Roi Lion, La Petite Sirène ou Aladdin, le MCU et Star Wars.

Est-ce la faute du public ou de Disney? Les trois exemples ci-dessus se contredisent. Les deux ont leur part de responsabilité. Le public cède à une sorte de paresse et les studios les caressent dans le sens du poil. Même si le cinéma est autant une industrie qu’un art et qu’il faut bien faire rentrer de l’argent, laisser les spectateurs faire la loi est un problème. Les films n’ont pas à être des commandes pour le public. Il est tout à fait possible de faire un film commercial destiné à faire rentrer de l’argent mais qui innove, qui propose quelque chose d’original et d’intéressant, les deux sont compatibles et conciliables. L’art a pour but de proposer, et non de satisfaire.

2-Joseph Campbell et Christopher Vogler

Joseph Campbell

Pour les deux du fond qui vivent dans une grotte, elle-même à l’intérieur d’une grotte, Joseph Campbell est un écrivain, essayiste, conférencier et universitaire américain spécialisé dans les mythes né en 1904. Il est connu du grand public pour son fameux livre « Le Héros aux Mille et Un Visages » (The Hero With a Thousand Faces), publié en 1949. Il s’agit d’un traité (un essai de la longueur d’un roman) dont le but est de démontrer l’universalité des mythes du monde entier (la mythologie gréco-romaine, la mythologie biblique, Buddha, Krishna, etc.), notamment par le prisme de la psychanalyse, avec les archétypes et les symboles (Campbell fera référence aux deux psychanalystes rivaux Sigmund Freud et Carl Jung).

Sigmund Freud et Carl Gustav Jung
Le schéma des archétypes

À travers cette exploration psychanalytique des mythes, Joseph Campbell a théorisé un schéma narratif universel et intemporel, celui du Monomythe, ou plus communément appelé Voyage du Héros (The Hero’s Journey). Ce fameux modèle de narration est applicable à bon nombre de récits mythologiques, folkloriques et religieux. Bilbo Le Hobbit et la trilogie Le Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien, dont l’écriture est fortement antérieure, possèdent énomément de points communs avec le Monomythe, et ce par pure coïncidence.

Le Héros aux Mille et Un Visages a été une immense influence pour George Lucas à l’époque où il était en pleine écriture du scénario de La Guerre des Étoiles. C’est grâce au Monomythe que Luke Skywalker évolue, passant du simple fermier de Tatooine au chevalier Jedi qui a appris la maîtrise de la Force, qu’Obi-Wan Kenobi devient un guide spirituel pour Luke Skywalker après sa mort et sa renaissance dans la Force.

Bill Moyers, George Lucas et Joseph Campbell

Au même titre que Le Héros aux Mille et Un Visages, Le Guide du Scénariste est devenu une référence pour les scénaristes d’Hollywood (il est même devenu une lecture obligatoire pour les script doctors et les analystes des scénarios). Les deux cinéastes qui se réclament expressément de Christopher Vogler ne sont autres que Darren Aronofsky (Vous le connaissez pour Requiem for a Dream, The Wrestler, Black Swan, Mother ou plus récemment The Whale) et Alexandre Astier (Oui oui, LE Alexandre Astier de Kaamelott et Astérix et le Domaine des Dieux).

Darren Aronofsky

Le Monomythe est devenu LA forme narrative du cinéma à prendre en exemple. Pourtant, il a été tellement utilisé qu’il suscite une certaine lassitude dans la sphère cinéphile.

À juste titre? Eeeeeeeeeeh… ça se discute.

II-Réinventer une forme narrative n’est plus possible

Savoir quoi raconter n’est pas difficile, il suffit de creuser un peu et d’avoir un peu d’imagination, mais le comment est une chose plus difficile.

1-La construction du récit

A-La Poétique, le guide millénaire

Avant que Joseph Campbell ne révolutionne l’écriture de fiction, le premier à avoir émis un traité sur l’écriture de fiction n’est autre que le philosophe Aristote, disciple de Platon, avec la Poétique, qui est une lecture tout autant obligatoire que Le Héros aux Mille et Un Visages. Il y définit notamment la différence entre la tragédie et la comédie en décortiquant et en caractérisant précisément les deux genres. Certes, l’ouvrage remonte à l’Antiquité et est donc légèrement dépassé, pourtant c’est un ouvrage qui reste important et pertinent dans la façon de construire un récit.

B-Le Monomythe et ses contre-exemples

Depuis que le Monomythe est devenu la référence dans la rédaction d’une fiction, 95% des récits appliquent, sciemment ou inconsciemment, le schéma du Voyage du Héros. Même Tolkien n’en a pas eu besoin pour les récits de la Terre du Milieu. Il connaissait les codes narratifs des mythes dont il s’est inspiré (Mythologie nordique, anglo-saxonne, gréco-romaine, slave et évidemment biblique). C’est bien normal, et ça confirme la thèse du Héros aux Mille et Un Visages.

Mais est-ce que ça veut dire que c’est la seule manière de raconter une histoire? Non, bien sûr. Je ne vais pas m’exprimer sur la littérature parce que c’est un sujet beaucoup trop vaste et sur lequel je ne suis pas experte, mais bien que nombreux soient les films dans lesquels on retrouve, inconsciemment ou non, les codes du Monomythe, certains films y échappent, comme:

Tideland de Terry Gilliam, le récit glaçant (Littéralement un conte de fées détraqué) d’une fille de 10 ans bloquée dans son esprit d’enfant qui, après la mort de ses parents, côtoie un handicapé mental et une folle fanatique. Le film, qui est construit comme un récit d’enfant, n’a que très peu de caractéristiques du Monomythe. Malgré un basculement soudain dans le dernier acte, il n’y aucune véritable évolution progressive du personnage, aucun axe fort.

Terry Gilliam le décrit comme une rencontre entre Alice au Pays des Merveilles et Psychose

Hérédité d’Ari Aster, la descente aux Enfers d’une famille rongée par une malédiction liée à un culte. Ari Aster ne s’inspire non pas du Voyage du Héros, mais des tragédies grecques, comme Œdipe Roi et Iphigénie de Sophocle, c’est un détail qui revient deux fois dans le film.

Gloire à Paimon!

Nonobstant ces deux exemples, pratiquement tous les scénarios d’Hollywood suivent le même schéma, qu’ils soient simples ou élaborés. En soi, ce n’est pas un mal, il est toujours bon de se référer à un modèle, mais à quel prix?

2-Un blocage?

A-Un cycle

Aujourd’hui, le cinéma est en considérable perte de vitesse. Le septième art arrive à la fin d’un cycle, rien de plus normal.

Dans les années 60, Hollywood s’est cassé la gueule. Le péplum Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz, à sa sortie en 1963 le film le plus cher de l’histoire du cinéma, a mis le studio 20th Century Fox au bord de la faillite avec un budget multiplié par 22 (Le budget, initialement prévu à 2 millions de dollars, explose et passe à 44 millions), et a eu un accueil très froid par la critique, malgré plusieurs victoires aux Oscars et un succès considérable au box-office (Il était moins une!).

Dis donc, ton peuple, ton peuple, t’es quand même grecque, au départ, alors comme égyptienne pure souche, j’ai vu mieux, excuse-moi.
-Je crois que tu t’es trompé dans ton texte, Richard.

Les westerns américains avec John Wayne deviennent ringards, suivis par les westerns spaghetti, qui avaient pourtant réussi à renouveler le genre. La faute à quoi? La démocratisation de la télévision, l’essor des séries et feuilletons, et la putréfaction des institutions au cinéma. Il aura fallu attendre le Nouvel Hollywood et le balayage des institutions pour que le public ne retrouve le goût aux salles obscures!

Howard Hawks, John Ford, Joseph L. Mankiewicz, Frank Capra, William Wyler, Ernst Lubitsch, Victor Fleming, Alfred Hitchcock, ça ne les intéresse plus! Place à Martin Scorsese, Steven Spielberg, Francis Ford Coppola, Brian De Palma, Michael Cimino, Alan Parker, Woody Allen, Roman Polanski, Dennis Hopper, George Lucas, William Friedkin et Stanley Kubrick! Finie, la vieille école! Place à du neuf! Ridley Scott, Tony Scott, Robert Zemeckis, Tim Burton, David Lynch, John Carpenter, Sam Raimi, James Cameron, David Cronenberg, Richard Donner, Terry Gilliam, Oliver Stone, John McTiernan, George Miller, Quentin Tarantino, les frères Coen, David Fincher, sans prévenir, ils ont tout détruit sur leur passage!

Depuis les années 2000, le cinéma est dominé par les franchises. Les succès de Blade 1 et 2 de Stephen Norrington et Guillermo Del Toro, X-men de Bryan Singer et Spider-Man de Sam Raimi ont permis à Marvel de sortir de la faillite et ont contribué à la renaissance des super-héros au cinéma, avant que DC ne leur emboîte le pas avec la trilogie The Dark Knight de Christopher Nolan. Le MCU, Harry Potter, Star Wars sous la houlette de Disney, le DCEU, et tout simplement Disney, les franchises ont régné en maître pendant deux décennies, et aujourd’hui, le public s’en lasse de plus en plus. Comme les westerns, les films de super-héros se ringardisent et ne font plus rêver. Les majors ont de moins en moins bonne réputation, en particulier les deux rivaux Disney et Warner.

Les cinéphiles se tournent vers des studios indépendants et ambitieux comme A24 (Le studio qui a sorti Lady Bird de Greta Gerwig, Hérédité, Midsommar et Beau Is Afraid d’Ari Aster, The Witch de Robert Eggers, Dream Scenario de Kristoffer Borgli, Ex Machina d’Alex Garland, Enemy de Denis Villeneuve et Everything Everywhere All At Once des Daniels), s’en remettent aux réalisateurs qui gardent le cap comme Scorsese, Nolan, Villeneuve ou Del Toro et observent le déclin d’Hollywood.

Alors oui, le cinéma, c’était mieux avant.

Mais qu’on se le dise, il n’est pas en train de mourir, il traverse une phase, une crise passagère, c’est cyclique, comme les années 60. D’ici quelques années, ou bien une décennie, un nouvel Nouvel Hollywood viendra telle l’Apocalypse ou le dieu hindou Shiva qui détruira tout pour laisser place à la renaissance.

Pour autant, la nouveauté dans le domaine du scénario s’amenuise, on a quasiment atteint un point de rupture. La faute à qui et/ou à quoi?

B-L’épuisement du Monomythe?

Compte tenu de l’influence de Joseph Campbell et du Héros Aux Mille Et Un Visages, le Voyage du Héros est partout au cinéma. On serait tentés de dire que les scénarios se ressemblent presque tous à Hollywood et qu’ils ne laissent plus tellement place à une nouvelle forme narrative. Vraiment? Serait-ce la faute du Monomythe? Serait-ce pertinent de s’en lasser, alors qu’il universel?

C-Le déjà-vu qui tient lieu de réinvention

Les quelques exemples ci-dessous viennent de la science-fiction:

Blade Runner, de Ridley Scott: Le mix parfait entre science-fiction et film noir, un des plus grands films de l’histoire du cinéma, au propos philosophique passionnant sur la machine plus humaine que l’humain, un propos qui tranche complètement avec la nouvelle originale de Philip K. Dick Les robots rêvent-ils de moutons électriques?, mais inspiré de la conscience des machines dans les œuvres d’Isaac Asimov, mais intelligemment renouvelé et porté par Rutger Hauer qui brille plus que Harrison Ford dans le rôle du réplicant Roy Batty (“J’ai vu de grands navires en feu surgissant de l’épaule d’Orion, j’ai vu rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la porte de Tannhäuser!“)

Yiiiidiiiihiiiii Kotoooooooooo Kuuuuuuuuuu

The Creator, de Gareth Edwards: Un film de science-fiction original qui reprend le propos de Blade Runner pour le remodeler et l’appliquer à un contexte politique pertinent. À la place d’une intrigue policière, il s’agit plus ou moins d’un film de guerre, un genre d’Apocalypse Now dans le futur. Dans ce futur, les intelligences artificielles sont déclarées illégales en Occident après une explosion nucléaire hautement mortifère à Los Angeles due à une défaillance informatique, créant une nouvelle Guerre Froide entre le bloc occidental et le bloc asiatique, dans lequel les robots sont au contraire toujours légaux. Un militaire américain, Joshua, est envoyé par l’équivalent futuriste de l’OTAN trouver et détruire la nouvelle arme secrète des machines qui leur permettrait de détruire l’humanité. Cette “arme“ n’est autre qu’une enfant, robotique. Joshua va finalement protéger l’enfant des militaires américains et se rendre compte que l’explosion accidentelle de Los Angeles était une erreur de programmation humaine et que les machines ont plus d’humanité que les humains.

Mars Express, de Jérémie Périn: Une quasi synthèse de Blade Runner, I Robot d’Alex Proyas et The Creator. Un brillant polar original à l’animation sublime (et un film français, qui plus est) abordant l’obsolescence des machines, même les plus conscientes, au profit d’un hybride contre-nature entre machine et créature organique.

C’est du déjà-vu, mais sans aller dans le réchauffé ou dans le plagiat, les deux films suivant Blade Runner arrivent à se réapproprier son propos et à le faire coller dans leurs contextes respectifs pour proposer quelque chose de tout aussi intéressant. N’est-ce pas, Blade Runner 2049?!

D-L’imitation, le pastiche, le réchauffé et le plagiat

Le déjà-vu dans l’écriture d’un scénario n’est pas une chose frivole, une pratique à prendre à la légère. Il faut s’en servir à bon escient. Le déjà-vu peut laisser place à des scénarios qui renouvèlent et réinventent un récit, mais comme bien souvent, son fonctionnement est mal compris et mal utilisé, le plus souvent pour minimiser les risques et maintenir les spectateurs dans leur zone de confort. Déjà-vu ne veut pas dire décalque ou photocopie.

Voici un petit florilège de films que je considère comme étant de parfaits exemples de films qui copient de façon éhontée sur leur voisin:

Psychose (1998): Incompréhensible. Quelle idée de faire un remake d’un monument du cinéma, un film d’Alfred Hitchcock, qui plus est, quasiment plan par plan, par-dessus le marché? C’est un exercice de style inutilement compliqué qui tombe à l’eau. Ce film n’a rien pour lui, à part son casting (Vince Vaughn en Norman Bates, Anne Heche, Julianne Moore, Viggo Mortensen, William H. Macy, Philip Baker Hall et Flea). Même Vince Vaughn (Acteur que j’aime bien, au demeurant) n’a pas la fulgurance d’Anthony Perkins dans le rôle de Bates! Regardez le plan final de chacun des deux films mis côte-à-côte et dites-moi lequel a une expression qui retranscrit l’implacabilité de Norman Bates et lequel essaie d’imiter un rictus de psychopathe débile. Décevant de la part de Gus Van Sant.

Et encore, ce remake de Psychose fait plutôt figure d’exception dans la mesure où il est antérieur aux films qui suivent et n’appartient donc pas à leur vague.

Star Wars, Épisode 7 Le Réveil de la Force: On ne va pas se mentir, c’est de la fainéantise à l’état pur. Un nouvel Empire, le Premier Ordre. Une nouvelle Alliance Rebelle, la Résistance (Meuh non! M’enfin, mais les mecs!). Une nouvelle Étoile de la Mort, Starkiller. Des plans dérobés au Premier Ordre et cachés dans un petit droïde mimi, le protagoniste qui vit dans une planète de sable, une cantina, un mercenaire qui a un compte à régler avec Han Solo, le grand méchant qui n’est autre que le petit-fils de Dark Vador, son maître qui se la joue Palpatine, le Voyage du Héros sauvagement abrégé, bref rien ne va.

-Chewie, comment on sort de ce film de merde?
-HHRAAAAAAGH!

Les Sept Mercenaires (2016): Le western Les Sept Mercenaires de 1960 avec Steve McQueen, Charles Bronson, Yul Brynner et Eli Wallach était déjà une adaptation des Sept Samouraïs d’Akira Kurosawa, certes, mais c’est une transposition qui lui permet de se démarquer du matériau de base. Un remake d’un remake, à moins d’avoir une vision en béton qui lui permet de se démarquer habilement de ses prédécesseurs, ce n’est pas intéressant, même si le succès est au rendez-vous. En l’occurrence, cette version récente du classique du western signée Antoine Fuqua (Training Day, la trilogie Equalizer, La Chute de la Maison Blanche), malgré quelques différences, n’a rien d’innovant, rien d’original ni intéressant à proposer, un scénario presque identique au film de John Sturges et de l’action bourrine.

Regarde, tu vises et tu tires sur ce machin biscornu qui s’appelle « L’innovation »

Alien Covenant: Après l’échec de Prometheus, dans une tentative désespérée de raccoler les fans désappointés d’Alien, Ridley Scott sort un film hybride qui tente de relier les ponts entre Prometheus et Alien Le Huitième Passager, et pour ce faire, il n’hésite pas à faire un semi-remake sans queue ni tête avec des aliens numériques peu crédibles, des erreurs de débutant dans le scénario, des trucs tellement invraisemblables que c’en est ridicule (David qui souffle dans les narines d’un alien, whaaat?!, le xénomorphe qui mime la crucifixion devant son créateur, WTF?!), c’est un film à peine sauvé par Michael Fassbender (Même pas du tout, en fait!), un film qui se croit profond à cause du prisme anti-religieux moisi de Scott.

Paaaaapaaaaa!

Blade Runner 2049: Une déception de luxe! Denis Villeneuve à la réalisation, Ridley Scott à la production, Hampton Fancher de retour au scénario, le retour de Harrison Ford en Rick Deckard, Hans Zimmer à la musique, Roger Deakins aux décors, tout était réuni pour que ça marche! Mais rien à faire, c’est une coquille vide! Une très belle coquille vide! Les décors, la mise en scène, la musique, tout ceci brille dans le film, mais le scénario, en plus de surfer sur la nostalgie et, est d’une vacuité honteuse, n’hésitant pas à recycler le propos de son prédécesseur! C’est tellement ridicule que le film, en somme, est… tout juste correct, voire passable, parce qu’il est si beau à regarder.

Contemplez les méandres d’un scénario qui ne sait pas renouveler la saga

A Star is Born (2018): Cinématographiquement, cet énième remake ne vaut rien, reprenant le scénario du remake de 1976 avec Barbra Streisand et Kris Kristofferson, là où le film de George Cukor avec Judy Garland reprenait celui du film original de 1937. Son seul argument de vente est la présence de Lady Gaga avec le tube Shallow qui m’a fait saigner des tympans à force de l’entendre partout.

Que quelqu’un me tue, par pitié…

Joker: Un film avec une soi-disant vision d’auteur qui se prétend subversif et contestataire, alors que c’est un film on-ne-peut-plus conformiste, qui n’a pas la moindre idée de ce que représente le Joker en réalité, et un immonde plagiat non-assumé de Taxi Driver et La Valse des Pantins de Martin Scorsese.

-On vit dans une société de méchants riches, LOL.
-Paie ta réflexion de matrixé qui se croit à contre-courant…

SOS Fantômes L’héritage: Ce n’est pas le SOS Fantômes 3 qu’on méritait. Il suffisait de reprendre le scénario prévu par Dan Aykroyd, de faire en sorte qu’Egon Spengler soit déjà mort et de lui rendre hommage pour coller avec le décès de Harold Ramis et d’avoir un peu d’imagination et d’audace, mais non, Jason Reitman et Gil Kenan avaient plutôt l’air décidés à vouloir nous inciter à titiller notre fibre nostalgique avec une intrigue qui va plus du côté de Stranger Things que des Goonies, soyons honnêtes (Au point d’aller chercher Finn Wolfhard!), doublé d’un copié-collé du premier SOS Fantômes (Gozer, Zuul, Vinz Clortho, Ivo Shandor, le Bibendum Chamallow) transposé dans une petite ville à la Stranger Things (Non, on est loin des Goonies!) et qui semble presque occulter le deuxième film (Pourquoi l’Ecto-1A est redevenu l’Ecto-1, pourquoi les tenues et équipements du premier film?), à part la boutique Ray L’Occulte, et le jeu vidéo, pourtant canon dans la saga! Et les casseurs de fantômes originels ne reviennent que deux minutes à la fin pour un caméo! Paie ton arnaque!

-Ray, pourquoi on est là seulement deux pauvres minutes?
-Parce qu’on est juste là pour faire plaisir aux fans.
-Zut, flûte, caca boudin.

Top Gun Maverick: Un copié-collé quasi intégral du film culte de Tony Scott qui n’a marché que grâce à la nostalgie (Des plans identiques et le caméo de Val Kilmer), l’absence de numérique et la notoriété de Tom Cruise. Ne venez pas me faire croire qu’il y a quoi que ce soit de réellement original dans ce film, à part peut-être l’absence d’images de synthèse pour les scènes en avion, parce que c’était de vrais avions de chasse, et encore, ça devient de moins en moins surprenant quand il s’agit d’un film avec Tom Cruise.

On a fait un milliard, ma gueule!

Mais tout n’est pas que manque d’originalité. Deux scénaristes selon moi sortent du lot en ce qui concerne l’ensemble de leur carrière et/ou une œuvre qui a défini leur style, leur talent et leurs inspirations:

3-Les exceptions

A-Charlie Kaufman, iconoclaste

Charlie Kaufman est un scénariste américain né en 1958. Vous ne le connaissez peut-être pas, mais vous connaissez sûrement certains films dont il a écrit le scénario, notamment Eternal Sunshine of the Spotless Mind de Michel Gondry, ou encore ses deux collaborations avec le réalisateur Spike Jonze, Dans la peau de John Malkovich et Adaptation. C’est un scénariste qui sort des cadres, ses récits à tiroirs fantasques, surréalistes et complexes font qu’il s’éloigne des sentiers battus. C’est aussi le champion du film meta, personne ne sait aussi bien faire du meta que Charlie Kaufman, c’est un crack. Il se sert du meta pour faire part de ses questionnements sur l’écriture scénaristique, et un film en est l’exemple par excellence:

Adaptation: Le film qui questionne le scénario

-Charles, je crois que tu tiens le film du siècle!

C’est un film auquel je devrais consacrer toute une critique, il s’agit d’un de mes films préférés.

Adaptation est un film réalisé par Spike Jonze, écrit donc par Charlie Kaufman, avec Nicolas Cage, Meryl Streep et Chris Cooper. À la base, Charlie Kaufman (joué par Nicolas Cage) travaillait sur une adaptation du roman de Susan Orlean (jouée par Meryl Streep) Le voleur d’orchidées, mais se sentant dans une impasse dans l’écriture car il jugeait le roman inadaptable, il a finalement décidé de raconter son processus d’adaptation du roman et son blocage, en se mettant lui-même en scène avec un frère jumeau fictif, Donald Kaufman (joué aussi par Nicolas Cage).

Donald est un aspect de la personnalité de Charlie Kaufman. Pendant que Charlie avance très lentement dans son adaptation du Voleur d’Orchidées, Donald a toujours plein d’inspiration et écrit tout un scénario (Les 3, un thriller psychologique cliché sur une enquête policière où il s’avère que le flic, le tueur et la victime sont la même personne).

Adaptation joue avec certains codes, clichés et principes de l’écriture de scénario dénoncés par Robert McKee, l’analyste de cinéma (qui existe réellement) interprété dans le film par Brian Cox, comme la voix off et le dernier acte. À plusieurs reprises dans le film, la voix-off est utilisée, soit pour nous plonger dans la psyché de Charlie Kaufman, soit pour la lecture des passages du Voleur d’Orchidées avec la voix de Susan Orlean. Le dernier acte du film, quant à lui, est on-ne-peut-plus hollywoodien avec du grand spectacle, avec les jumeaux Kaufman qui se font pourchasser par Susan Orlean, qui veut les tuer, et John Laroche (joué par Chris Cooper) dans les marais en Floride.

On notera aussi que Donald, pour s’aider dans son écriture, lit l’ouvrage le plus connu de McKee, Story : Contenu, Structure, Genre – Les principes de l’écriture d’un scénario. Il rappelle, et ça, c’est primordial, la différence entre règle et principe. Pour reprendre grosso modo les mots de Donald Kaufman, la règle, c’est ce qu’on doit faire, et le principe, c’est ce qui marche.

C’est en somme un film très original, le film meta par excellence, même! Mais le meta est une technique de plus en plus galvaudée dans le cinéma et gâchée (Comme dans le correct Tron: L’héritage et l’infâme Matrix Resurrections de Lana Wachowski), rares sont les films qui savent encore s’en servir intelligemment pour lui donner un sens (Comme le sous-estimé Coup de Théâtre de Tom George).

Ce qui fait la pertinence du film dans cet essai, c’est le décalage entre Charlie Kaufman qui ne croit pas aux règles et aux principes dans l’écriture d’un scénario (Sauf qu’il existe trois règles inhérentes qu’on ne peut transgresser: N’écrire que ce que l’on voit, écrire au présent de l’indicatif et changer de séquence à chaque changement de lieu) et Donald qui suit les principes hollywoodiens de l’écriture de scénario, notamment en se référant à Robert McKee et son ouvrage, qui semble être à Hollywood autant une référence que Joseph Campbell et Christopher Vogler.

Le film semble résulter d’un dilemme posé par Kaufman, qui l’a retranscrit dans le film par une crise existentielle.

Adaptation est un exemple de film original, innovant et inimitable, comme l’était Dans la peau de John Malkovich.

B-David Koepp, malinx, le lynx!

« Quarante-mille ans d’évolution et nous avons à peine exploité l’immensité du potentiel humain. »

David Koepp est un scénariste, réalisateur et écrivain américain né en 1963. Il s’agit d’un des scénaristes les plus populaires et influents à Hollywood, on lui doit pas moins d’une trentaine de scénarios de films, et pas des navets (La mort vous va si bien de Robert Zemeckis, Jurassic Park de Steven Spielberg, Le Journal de Ron Howard, The Shadow de Russell Mulcahy, L’Impasse et Mission Impossible de Brian De Palma, Panic Room de David Fincher, le premier Spider-Man de Sam Raimi et La Guerre des Mondes de Steven Spielberg, entre autres).

Contrairement à un Charlie Kaufman dont le style est singulier et quasiment « rhapsodique », David Koepp est un scénariste beaucoup plus classique. Classique, mais non moins intelligent et doué, capable d’innover:

Mission Impossible (Brian De Palma)

Dans ma critique du film, je dis que la série originale de Bruce Geller se déroule sans accroc (C’est Hannibal Smith qui est content). Le reboot au cinéma signé Brian De Palma a été l’occasion de dépoussiérer la franchise, à un certain prix. David Koepp, avec l’appui de Brian De Palma, est allé d’entrée de jeu à contre-courant de la série originale: On voit Jim Phelps se faire tirer dessus et tomber dans le fleuve à Prague lors de l’opération à l’ambassade qui tourne mal et il se révèle être le méchant du film. Oh oh. Ce choix radical a valu à David Koepp, Brian De Palma et Tom Cruise de s’attirer l’ire des fans de la série. Au-delà de ce choix, David Koepp a amené un vent de fraîcheur, en misant sur énormément de suspense, avec la mission échouée à Prague, Ethan Hunt qui se rend compte qu’il est la cible d’Eugene Kittridge (La scène du café à Prague est une merveille!), la mission dans les locaux de la CIA qui manque d’échouer à plusieurs reprises, et enfin la scène du TGV. La tension est palpable tout au long de l’intrigue, c’est ce qui fait sa force!

En prenant le risque de se mettre à dos les vieux de la vieille, David Koepp signe avec Brian De Palma un thriller d’espionnage tendu et IMPRÉVISIBLE! Il a eu un grand moment de fulgurance!

Aujourd’hui, tout le reste de la saga a suivi l’esprit du film de Brian De Palma (À part le 2 qui repose beaucoup trop sur les masques), surtout Mission Impossible 3 de J.J. Abrams et Mission Impossible Protocole Fantôme de Brad Bird, dans lesquels soit c’est extrêmement tendu soit l’équipe d’Ethan Hunt fait face à de gros imprévus et doit faire avec. Cela dit, avec Mission Impossible Dead Reckoning Partie 1, bien que j’aie passé un très bon moment devant, j’ai ressenti un début de lassitude. Depuis que Christopher McQuarrie a pris la suite de Brad Bird et est devenu pour ainsi dire maître à bord, j’ai l’impression que les films Mission Impossible s’uniformisent et ont délaissé l’ambiance thriller du film de Brian De Palma pour miser sur de l’action et des cascades à la gloire de Tom Cruise. Bientôt viendra l’épisode de trop, du moins si la saga ne s’arrête pas à Dead Reckoning Partie 2.

C-Les conséquences

Les scénarios originaux et innovateurs auront pour avantage de devenir des références et des inspirations pour les cinéphiles et les cinéastes, qui n’hésiteront pas à trouver l’inspiration au travers de ces films, mais ce n’est pas sans risque.

Certains scénaristes, réalisateurs et producteurs peuvent pousser l’inspiration très loin, se limitant à l’hommage. Parfois, ça peut aller plus loin, on parle de pastiche, ce qui est un exercice de style (Comme The Batman de Matt Reeves, qui est un pastiche du film noir et Neo-noir, de l’espionnage et du thriller, comme Se7en, The Game et Zodiac de David Fincher, Conversation Secrète de Francis Ford Coppola et Les Hommes du Président d’Alan J. Pakula). Mais quand l’inspiration va trop loin, on arrive au stade du plagiat (Comme Joker de Todd Philipps, qui est un fade plagiat de Taxi Driver et La Valse des Pantins de Martin Scorsese), et là, l’originalité est corrompue, inexistante.

Conclusion

À présent, maintenant que j’ai donné mon point de vue sur le fameux principe « Toutes les histoires ont été racontées. Ce qui est nouveau, c’est la manière de les raconter« , que faut-il retenir et penser de tout ceci?

Nous n’avons pas fini, il reste encore tant d’histoires à raconter, mais il n’y a pas 36 façons de faire. Pour autant, il n’y a pas de règle, seulement des principes et des modèles d’écriture, il faut les connaître pour s’en affranchir.