Vous souvenez-vous du « japonais qui a gagné la palme en 2018 »? Son nom restera et reviendra à la mémoire grâce à la liste très sélective des palmés de Cannes mais quid de l’histoire de l’homme dont on oubliera le nom?
La littérature au cinéma, le cinéma dans la littérature, littérature et cinéma, voici deux univers radicalement différents mais au combien reliés par une passion, celle de mettre en avant l’humain. La désacralisation du livre, objet de connaissance et de pouvoir détenu par une élite obscure, a eu de nombreuses conséquences. Dans le même temps où il devient facile d’accéder à cet art, parvenir à l’intégrer par la petite porte -celle des écrivains- nécessite bien plus de finesse. Pourquoi écrire un livre quand ce n’est pas notre métier? pourrait-on se demander. Suis-je intéressant au point de raconter mon histoire et la faire lire à d’autres? devrait se questionner plus souvent l’artiste.
Cette mode du livre touche désormais tout le monde. Youtubeurs, présentateurs télés, témoins d’un événement relayé par les médias, tous pensent avoir quelque chose de consistant à décrire sur plusieurs centaines de pages. Le réalisateur japonais Hirokazu Kore-Eda a rejoint ces rangs. Mais, à la différence de nombreux autres, ce qu’il a voulu transmettre était pensé, sincère et surtout, légitimement édité.
Connu pour la réalisation d’Une affaire de famille, sa biographie est arrivée en France cette année comme un vent de fraîcheur et de réflexion.
Une place parfaite pour critiquer l’industrie cinématographique
Immédiatement, c’est l’expérience de l’auteur qui nous subjugue. En quelques centaines de pages, nous revenons sur une vie d’images et de cinéma, qu’il soit diffusé à la télévision comme sur le grand écran. Tout droit venu du documentaire, Kore-Eda délivre dans cet entretien un regard personnel et complexe sur l’industrie qui l’a poussé au sommet l’année dernière sur la croisette.
Ses multiples expériences sont autant de joies à lire dans sa biographie. Son avis sur le système de production de contenu japonais pour la télévision tout comme le financement des projets en France est doté d’un intérêt certain pour tout cinéphile. Il réussit particulièrement à saisir le lecteur sur des pistes peu abordables, très techniques et soulever des questions théoriques à la fois intéressantes et complexes. Ce tour de force nécessite d’être souligné, Kore-Eda réussit avec brio à plonger le lecteur au centre du questionnement d’un réalisateur… dont le rôle est de faire oublier son métier au spectateur pour le plonger dans le réalisme de sa fiction.
Cette biographie parvient également à conserver la part d’humain derrière l’artiste, sans doute une trace de son identité japonaise. Nous retiendrons entre autre les anecdotes distillées au fil des chapitres, notamment celle dont le réalisateur se souvient à propos de son public français. Parce qu’une des casquettes que Kore-Eda adore porter, c’est bien celle de vedette des festivals. Moment de rencontre avec son public, c’est aussi par ces manifestations culturelles aux quatre coins du globe que l’auteur illustre la diversité. De la conception de la vie en orient et en occident au rapport entretenu avec le tremblement de terre de 2011 au Japon, nous lisons l’histoire d’une vie sans aucune prétention qui a tissé une façon très personnelle de voir le monde.
En mélangeant autant ses sentiments personnels que sa manière de diriger une scène de cinéma, l’auteur délivre avec succès qui il est. Avant d’être un amoureux de cinéma, le réalisateur est un amoureux de l’humain dans toute sa complexité.
Japonais avant tout
Si nous devions retenir qu’une qualité de cette biographie, ce serait sans aucun doute son style purement japonais. Quel délice de découvrir la vie d’un homme si éloigné culturellement, à un point où il parvient même à nous interroger sur notre propre conception de la vie! L’humilité et la distance que le réalisateur prend avec son parcours et son époque est tout simplement déconcertante. Nous avons particulièrement aimé la façon dont il décrit tout ce qui lui arrive en soulignant autant les aspects positifs et négatifs sans jamais se placer comme un juge. Que ce soit le mode de financement des films au Japon et en France ou bien le rapport entre le gouvernement japonais et le cinéma, tous les sujets sont maîtrisés et étudiés avec objectivité, quelle que soit leur gravité.
Il est aussi intéressant de voir la transcription dans l’oeuvre de Kore-Eda de thèmes typiquement japonais. Sans jamais être réduit à un cliché nippon, le réalisateur remarque avec étonnement à quel point son approche de la vie est typiquement japonaise, circulaire. Après plusieurs décennies à produire des programmes, trouver un thème récurrent semblait inévitable. A travers la vie des hommes tels qu’ils sont réellement, les films de cet auteur sont comme une ode à la vie en tant que cercle. Quand nous pensons le temps comme une ligne droite, ces œuvres d’un autre pays qui la pensent comme un cycle éternel gagneraient vraiment à être découvertes afin d’élargir le cadre de notre réflexion.
Enfin, c’est la sincérité de cette oeuvre qui nous a le plus ému. Racontant les événements tels qu’ils lui arrivent, nous suivons au fil de la lecture une vie. Rythmée par les départs comme les arrivées, ces pages de tendresse et d’émotions se lisent beaucoup trop vite.
Parfais cadeau de fêtes pour tout cinéphile en herbe, nous ne pouvons que vous conseiller la lecture à la fois simple et fournie de ce livre. Vous pouvez le retrouver ici.