Lundi 22 juin, l’heure a sonné pour les cinémas de rouvrir leurs portes. Pour fêter ça, j’ai vu deux films avec en premier L’ombre de Staline. Parce que l’époque communiste m’a toujours fascinée avec son halo de mystère et cette inexpugnable oppression de l’homme par l’homme au cœur d’un système verrouillé de l’intérieur. Tout a explosé en 1989 avec la chute du mur de Berlin, la réalisateur Agnieszka Holland revient à l’époque stalinienne en mettant en avant l’Holodomor, cette famine organisée par l’état soviétique avec à la clé la mort d’au moins 20 millions d’ukrainiens, sans que rien ne soit officiellement dévoilé. Il faudra l’obstination d’un journaliste débutant pour révéler la tragédie par une population obligée de verser dans le cannibalisme pour survivre. Un choc de cinéma avec un évident 5/5 à la clé.

Un drame montré avec réalisme, mais surtout dans toute son hypocrisie

Le film débute comme La Taupe. Le déni de l’élite britannique devant l’ascension du mal hitlérien met le héros Gareth Jones dans l’embarras, car tout le monde se moque de ses thèses jugées fantaisistes sur la montée de la menace nazie sur une Europe aveugle. Tandis qu’il fait tout pour aller interviewer Staline à Moscou de la même manière qu’il l’a déjà fait avec Hitler, il met en branle une sacrée machination pour obtenir son visa par des moyens hautement détournés. L’ambiance est déjà à la paranoïa, comme dans le grand film de Tomas Alfredson, les volutes de fumée côtoient le machisme ambiant dans des intérieurs feutrés, le héros semble un peu naïf, il fera pourtant preuve d’une inflexible volonté pour aller se rendre compte de ce qui se déroule au cœur du pays ukrainien. Alors que beaucoup considèrent le blé des plaines ukrainiennes comme l’or de Staline, ce faux sosie de Robert Redford va braver les interdits pour aller rencontrer la population… et là, le film ressemble plus au drame La déchirure sur les exactions des khmers rouges sur la population cambodgienne. La famine décime la population obligée d’avoir recours à des moyens extrêmes pour survivre. Plus de guerre froide à l’horizon, le spectateur est plongé dans l’horreur la plus indicible. Et là, le film gagne ses galons de chef d’œuvre avec un réalisme extrême pour un trouble très profond dans l’audience. La neige partout, les regards vides des enfants, le blé qui est expédié manu militari à Moscou et les cadavres qui jonchent les rues. La réalisatrice ne passe pas par 4 chemins pour évoquer cette période extrêmement trouble du règne stalinien. Le héros n’en revient pas et il ne peut s’empêcher de révéler la sinistre vérité à son retour à Londres, avec la méfiance qui va de mise à la clé. En bref, le film place un homme ordinaire au cœur d’un contexte qui le dépasse mais au sein du quel il trouve des ressources insoupçonnées pour faire preuve de la plus plate humanité. C’est beau, c’est grand, ça fait mal au fond du ventre. Peter Sarsgaard joue un personnage hypocrite comme pas deux pour parvenir à maintenir son rôle trouble auprès du régime stalinien en tant que correspondant du New York Times, personnifiant ainsi les œillères occidentales trop souvent de mise quand il s’agit d’agir pour éviter des drames.

L’ombre de Staline est une critique en règle d’un régime qui n’a pas compté ses efforts pour se maintenir au pouvoir, même au prix de millions de vies d’innocentes victimes. Le film est classique mais il fait le boulot, avec au bout un trouble que seul le visionnage d’un film en salles peut procurer. Merci Le Balzac, merci la fin du confinement!

Synopsis:
Pour un journaliste débutant, Gareth Jones ne manque pas de culot. Après avoir décroché une interview d’Hitler qui vient tout juste d’accéder au pouvoir, il débarque en 1933 à Moscou, afin d’interviewer Staline sur le fameux miracle soviétique. A son arrivée, il déchante : anesthésiés par la propagande, ses contacts occidentaux se dérobent, il se retrouve surveillé jour et nuit, et son principal intermédiaire disparaît. Une source le convainc alors de s’intéresser à l’Ukraine. Parvenant à fuir, il saute dans un train, en route vers une vérité inimaginable…