Chronique : Quand il s’agit de contrôle, une des figures les plus représentatives au cinéma est celle du chef d’orchestre. Il mène la direction, impose le rythme et se doit d’être d’une maîtrise absolue en toutes circonstances, qu’importe ce que cela lui coûte. Nous en avions parlé précédemment avec un essai sur la meilleure scène du film « Annette » mais c’est de nouveau le cas avec « Tár », où l’idée de domination permanente est au sein même du film. Il ne peut en être autrement quand il est question de Lydia Tár, tel qu’exprimé rapidement dans le film. Sa carrière entière se voit introduite lors d’une conférence, imposant un regard d’admiration par ses nombreux accomplissements. C’est une artiste absolue, un modèle qui dirige constamment le regard sur elle, et cela même alors que le premier plan la montre filmée par une autre source, faisant des commentaires sur elle. Rien que cette opposition dirige le long-métrage sur la question de l’absence de préhension totale sur les choses, encore moins l’art ou l’attention qui nous est portée.

Perte totale face à la soif de contrôle

La mise en scène de Todd Field impose alors un intérêt certain dans son illustration d’un récit de dérapage total, notamment lors d’une séquence de cours. Il est à ce sens passionnant de voir que ce qui relève d’un plan séquence fluide où Lydia dirige la leçon comme son existence ressurgira de manière tronquée par la suite, par le biais de coupes qu’elle-même mettra en avant par leur grossièreté. Cette opposition de montage amène la réflexion sur la représentation même du personnage et de sa prise sur une fictionnalisation qui va peu à peu l’engloutir, à l’instar de ses derniers plans. Tout hurle une forme de panique, une volonté de gestion absolue qui ne fait qu’engloutir encore et encore le personnage, jusqu’à une forme d’annihilation morale. Nous-même assistons à cela avec cette absence de prise sur la narration par notre rôle de spectateur mais également ce jugement que nous portons vers ce qui nous est donné à montrer et ce que l’on finit peu à peu à creuser du récit.

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Car ce dernier est assez épais et donne même peu de prise au public. Il faut atteindre un moment pour que quelques aspects ressortent et nous fassent nous rendre compte d’une certaine direction, comme si le fait que Lydia Tár ait pris la direction de la fiction nous impose à aller plus loin que ce que le regard nous impose, chercher dans ce qui semble détail une certaine orientation narrative particulièrement passionnante. C’est dans la rupture que se crée alors le vertige, alors même que nous étions en pleine soumission à la grandeur imposée par la caméra sur son personnage titre. En ce sens, faut-il réellement souligner à quel point Cate Blanchett se révèle aussi magistrale que le protagoniste qu’elle incarne ou est-ce devenu normal d’accepter qu’il s’agit tout bonnement d’une des meilleures actrices contemporaines ?

Obsession totale vers la maîtrise jusque dans ses choix de cadres, « Tár » se révèle de l’enivrement cinématographique pur, de ce qui nous permet de redécouvrir telle idée de mise en scène par un simple mouvement tout en jouant à l’équilibriste entre écrasement du personnage et celui de son audience. L’austérité d’apparence laisse alors place à un grand film, tout simplement, une de ces œuvres qui ne nous lâche pas et dont l’existence même occupe perpétuellement l’esprit dès sa découverte. Todd Field nous propose déjà l’un des meilleurs longs-métrages de l’année et les frissons qui nous animent à la sortie de la salle révèlent alors à quel point pareil film s’avère tout bonnement indispensable.

Résumé : Lydia Tár, cheffe avant-gardiste d’un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et de sa carrière. Le lancement de son livre approche et elle prépare un concerto très attendu de la célèbre Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va se désagréger d’une façon singulièrement actuelle. En émerge un examen virulent des mécanismes du pouvoir, de leur impact et de leur persistance dans notre société.

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