Si elle a souvent été enfermée dans son rôle de Marielle Le Quesnoy dans « La vie est un long fleuve tranquille », Hélène Vincent dispose d’une carrière riche, aussi bien au théâtre qu’au cinéma. La sortie de « Colocs de choc » nous a alors permis de discuter avec cette personnalité aussi vive que passionnante.

Qu’est-ce qui vous a poussé à rejoindre le projet ?

La qualité de l’écriture du scénario, son originalité, le mélange de gravité et d’humour, de légèreté, son élégance, … J’étais très séduite quand j’ai lu le scénario. Le personnage qu’Élodie Lélu me proposait m’a vraiment emballée !

À ce propos, quelle importance cela représentait pour vous d’avoir ce personnage de grand-mère malade mais avec toujours cette énergie, cette vitalité et surtout cette conviction politique ?

Elle est malade, la maladie est très avancée, les choses s’entrechoquent, les connexions ne sont plus tout à fait efficaces mais, en même temps, il reste, malgré la maladie et c’est formidable, énormément de choses : cette vitalité qui est la sienne, ses convictions politiques et féministes, son appétit pour la vie. C’est surprenant. Mais je pense que c’est une maladie qui évolue dans le temps et là où on la découvre dans le film, certes il est temps qu’on s’occupe d’elle et qu’on l’accompagne mais elle n’est pas devenue un zombie. Elle est encore dans la vie.

C’est quelque chose qui touche beaucoup avec votre personnage.

Oui. C’est très surprenant. On pourrait raconter et évoquer avec ce personnage l’horreur, la douleur de la maladie d’Alzheimer, la dégringolade, la déconstruction du personnage. Dans ma famille, j’ai des cousins qui ont eu la maladie d’Alzheimer et il est vrai que c’est très déchirant de les voir car ils ne sont plus tout à fait eux-mêmes. Notre Yvonne, c’est encore elle. Peut-être est-ce parce qu’elle a toujours été très vivante et très battante toute sa vie mais la maladie ne lui fait pas la peau entièrement tout de suite.

Quelles ont été les discussions avec Élodie Lélu par rapport à l’écriture d’Yvonne et l’histoire en général ?

Écoutez, je n’en ai plus beaucoup de souvenirs car j’ai découvert le scénario en 2018 donc ça remonte à loin. Il y a eu le Covid et beaucoup de choses qui ont fait que du temps a passé et que ce film ne s’est pas réalisé ni n’est sorti dans les temps prévus initialement. Si vous me demandez quelles ont été les conversations avec Élodie, je dirais qu’on a beaucoup parlé des femmes, de leur capacité de combat, de résistance, de leur intelligence, … En tout cas, Élodie a tout de suite été très précise, notamment sur le fait qu’on n’irait pas dans le domaine de la tragédie. Cela dit, il faut préciser que le film est l’histoire d’une jeune fille qui, en rencontrant sa grand-mère in extremis, est initiée et accompagnée vers son explosion de jeune femme. C’est ça le centre : ce n’est pas Yvonne mais la petite.

Votre duo avec Fantine Harduin apporte énormément de cœur au film.

Quand je l’ai rencontrée, elle avait 3 ans, 4 ans de moins, et j’ai été extrêmement séduite. Elle regarde de façon très aiguë, elle est très étonnante. J’ai découvert le talent qui est le sien en travaillant. J’ai été bluffée ! Je pense qu’on la découvre là mais qu’on n’est pas près de l’oublier ! Elle va avoir énormément de propositions et elle va faire des choses très belles et très importantes.

Pourriez-vous revenir sur l’importance de la transmission de ce combat féministe dans le film, son importance encore forte aujourd’hui ?

C’est nécessaire ! (rires) On peut dire qu’il faut encore faire un effort car vous n’êtes pas au bout de vos peines ! Moi, j’ai 80 ans, j’ai vu des choses changer de façon étonnante mais on est loin d’être au bout du combat. Même si dans nos pays occidentaux, par exemple, en me comparant à ma mère, les choses se sont nettement améliorées, on n’est qu’un tout petit bout de la planète et partout autour, il y a des femmes muselées, empêchées de vivre, de paroles, même de chanter et de danser. Il y a du boulot et c’est beau de voir ça dans le film d’Élodie, de voir comment les traces de ce combat d’Yvonne, qui est un peu une Gisèle Halimi à qui j’ai beaucoup pensé avec le personnage, devient celui de Manon.

Comment sentez-vous votre propre évolution en tant qu’actrice au fur et à mesure des années ?

Je suis passée par des hauts et des bas, en tout cas en ce qui concerne le cinéma. Le cinéma est arrivé assez tard dans ma vie de façon majeure. J’avais 42 ans quand j’ai tourné « La vie est un long fleuve tranquille ». Avant, je n’avais pratiquement pas fait de cinéma. En revanche, j’avais un parcours exceptionnel dans le théâtre avec des rôles majeurs sublimes, des metteurs en scène de grand talent comme Jean-Pierre Vincent et Patrice Chéreau. J’ai travaillé du côté du théâtre subventionné et c’est vrai que, quand je suis arrivée au cinéma, ça a été une divine surprise qu’Étienne Chatiliez me propose ce rôle de madame Le Quesnoy. Ça a été un tournage extrêmement joyeux, aisé. J’étais comme un poisson dans l’eau ! C’était à ma grande surprise car la façon de jouer au théâtre est différente du jeu au cinéma. Le film a eu un succès énorme, moi aussi par voie de conséquence, mais après coup, ça m’est un peu tombé dessus. Ce n’est pas toujours facile de vivre le succès quand ça vous tombe d’un seul coup et que rien ne vous y prépare. C’était mon cas car, au théâtre, les choses n’ont jamais cette dimension. Je travaillais avec des équipes, je n’étais pas sur un parcours individuel mais dans des aventures de troupe. Là, d’un seul coup, j’étais toute seule. Une fois que ça s’est terminé, il y a eu quelque chose d’étonnant : on m’a proposé, en moins bien, des rôles qui ressemblaient trop à madame Le Quesnoy. Ça m’a mis en colère, ça m’a déçu. Je me suis étonné que les gens veuillent me cantonner à ce type de personnage et m’enfermer dans un tiroir alors que je pensais que c’était assez net que j’étais une comédienne et que je pouvais faire des tas de choses extrêmement diverses. Ça m’a calmée et poussé à dire que ça n’allait pas durer. J’ai refusé un certain nombre de choses car ça ne m’intéressait pas. C’est un rôle sublime, celui de Marielle Le Quesnoy. Décliner des bourgeoises ridicules et pathétiques pour 3, 4 jours de tournage, ce n’était pas ma tasse de thé ! Donc j’ai envoyé balader un certain nombre de propositions. Petit à petit, il y a une sorte de chemin inattendu qui s’est fait. J’ai eu la chance d’avoir durant les années d’après des propositions de rôles très différents les uns des autres, pas des premiers rôles mais des rôles vraiment passionnants à interpréter. Il se trouve que dans ma vieillesse, dans ma fin de vie, on me propose depuis 3, 4 ans des rôles absolument magnifiques, très importants. C’est une surprise car, quand on est une femme, à 45 ans au cinéma, on commence très nettement à être mise sur le côté de la route, dans la mesure où les femmes sont encore beaucoup dans les films à une place d’objet d’amour, de désir du monsieur qui a le rôle principal dans l’histoire. Donc, quand la beauté commence tout doucement à partir vers la maturité -pour rester délicate-, il y a de moins en moins de rôles pour les femmes. Je vois avec plein d’amies que le cap des 50 ans est quelque chose de difficile à encaisser. Mais bon, je n’ai pas lâché la barque. Je suis partie du côté de la mise en scène, de façon à rester très en appétit pour ce métier et ne pas attendre derrière mon téléphone qu’on me propose le rôle de ma vie. Ceci étant dit, des rôles de ma vie, j’en ai eu plusieurs, comme ce personnage magnifique que j’ai la joie d’interpréter dans « Quelques heures de printemps » de Stéphane Brizé ou dans « J’embrasse pas » d’André Téchiné. J’ai eu des propositions absolument magnifiques, on va dire tous les 2, 3 ans, et entre temps, je continue de faire mes petits apprentissages de comédienne, de rôle en rôle. J’arrive à la fin de ma carrière très certainement -même si je n’aime pas le mot, je ne vois pas comment décrire cela autrement- avec beaucoup de reconnaissance et une très profonde joie d’avoir travaillé avec ces réalisateurs et ces metteurs en scène. Ça a été une forme d’université permanente, j’ai continué à apprendre et c’est un grand bonheur d’investir tout ce qu’on est dans l’incarnation du personnage qu’il vous propose. De rentrer dans la vision de l’autre, c’est un très grand bonheur, c’est très excitant ! Quand Élodie m’a proposé ce rôle et cette histoire, ça allait de soi que je lui dise oui !

Vous parliez de votre expérience en tant que metteuse en scène. Comment cela vous a enrichie dans votre perception du jeu ?

C’était complémentaire. J’avais déjà commencé avant « La vie est un long fleuve tranquille » avec une mise en scène au théâtre national de Strasbourg. J’avais fait une pièce très passionnante et intrigante de Frank Wedekind, qui est un auteur autrichien des années 1800. La mise en scène a été pour moi une façon de continuer à être vivante dans ce métier, de me défendre de l’amertume que je pouvais avoir qu’on ne me proposait pas certains rôles. Il faut dire qu’au théâtre, j’ai eu des rôles principaux donc j’ai été une jeune femme très gâtée. Sauf qu’au cinéma, c’était trop tard pour que ce soit comme ça. On ne démarre pas une carrière de premier rang au cinéma quand on est une femme de 42 ans. C’est un autre chemin. J’avais peur de m’ennuyer, de perdre mon appétit, ma gourmandise. En attendant qu’on me propose des choses qui m’emballaient vraiment, je me suis dit que j’allais raconter des histoires. C’est ça le bonheur de ce métier : interpréter des personnages qui racontent des histoires aux gens. Si j’avais été extrêmement passionnée par le travail des metteurs en scène avec qui j’ai œuvré, j’ai été à bonne école. Je me suis lancée avec un peu la pétoche, le cœur battant. J’ai eu le grand bonheur de rencontrer des jeunes acteurs à Nantes dans les années 80 avec lesquels on a fait un long bout de chemin. J’ai monté six spectacles avec eux et j’ai continué à apprendre des choses passionnantes. Ce qui est formidable quand on est metteur en scène, c’est qu’on est maître d’œuvre. On choisit les acteurs, le texte, mais aussi le scénographe, la musique, … On est chef de bande. J’ai adoré ça, être chef de bande. Ça me rapprochait de mes premières années de ma vie où j’étais comédienne dans des bandes, des compagnies. J’ai relevé la situation en partant de ce côté-là et ça a été extrêmement riche. Il faut se battre. Je ne veux pas être déçue par les choses donc je me suis bagarrée, j’ai rassemblé des ingrédients qui me permettaient d’être dans la joie. C’était merveilleux et ça a marché !

Merci à Maud Nicolas de Distri 7 pour cette interview.