Prélude

Sorti en 2017 dans les salles américaines et présenté aux Oscars en 2018 (troisième nomination pour Saoirse Ronan, après Brooklyn et Reviens-moi), Lady Bird est le film qui a révélé Greta Gerwig au grand public et qui l’a sortie du cinéma indépendant (d’ailleurs, la même année, son mari Noah Baumbach sortait la comédie dramatique The Meyerowitz Stories avec Adam SandlerBen Stiller et Dustin Hoffman). Le film est devenu rapidement une référence du cinéma moderne et a gentiment cartonné (près de 80 millions de dollars au box-office pour un budget de seulement 10 millions, c’est du joli, c’est assez proche du carton de Sound of Freedom, chapeau!).

À l’époque où le film est sorti, je connaissais le film seulement de nom, je ne connaissais rien du scénario, et je pense que ça ne m’aurait jamais intéressée. J’avais encore 16 ans, et à l’époque, ce qui me passionnait particulièrement dans le cinéma, c’était le MCUAdam Sandler et Ridley Scott (Kamoulox? -Bravo!). Un film à petit budget réaliste à moitié autobiographique sur une adolescente américaine à la fin de sa scolarité secondaire et qui appréhende l’âge adulte, le tout écrit et réalisé par une cinéaste que je ne connaissais absolument pas, euh… non, je n’aurais pas accroché à l’époque.

Entretemps, le temps a fait son œuvre, j’ai atteint l’âge adulte, j’ai passé mon bac, j’ai entrepris ma licence à la fac, le Covid a débarqué pour un petit temps, j’ai acquis de la maturité et mes opinions et mes goûts au cinéma ont évolué. Aujourd’hui, j’ai pris mes distances avec le MCU dans son ensemble (ce qui ne m’empêche pas d’apprécier encore des films comme les deux Doctor StrangeIron Man 1 et 2, les trois premiers AvengersThor ou Les Gardiens de la Galaxie 1 et 2) et le cinéma super-héroïque en général (Black Panther: Wakanda Forever et Black Adam y ont largement contribué), et j’ai eu un énorme gain d’intérêt pour le cinéma à plus petit budget, le cinéma d’auteur et le cinéma indépendant (le point de départ a été le génial whodunnit Coup de Théâtre).

C’est aux dernières vacances de Noël, alors que j’étais déjà à fond sur Saoirse Ronan, que j’ai lorgné sur le cinéma de Greta Gerwig, en commençant par Les Filles du Docteur March, que j’ai adoré (vous pouvez trouver ma critique sur le site). J’ai approfondi en m’intéressant à Barbie (que j’ai vu et apprécié plusieurs mois plus tard, vous trouverez aussi ma critique sur le site), mais surtout en me procurant et en regardant son premier grand film, Lady Bird.

Je n’ai pas terminé le film indemne. Plusieurs films arrivent à m’émouvoir, me toucher, mais rares sont ceux qui arrivent à creuser aussi profondément en moi, dans ma psyché, au point de me faire évoluer, et Lady Bird en fait partie.

Un faux film pour ados qui appelle en réalité à la nostalgie et au souvenir

Mettons les choses au clair immédiatement: Lady Bird n’est pas un teen movie. Il y a l’ambiance bahut, et encore, ce n’est pas un lycée public miteux avec des armoires à glace qui font du football et qui harcèlent les geeks, c’est un lycée catholique, mais il n’y a pas les clichés du teen movie. De plus, ce film n’est pas grand public. Il n’y a pas de scènes de sexe explicites, de passages violents ou effrayants, mais le langage très cru et certaines références adultes restreignent le public visé. Les pré-adolescents, les collégiens et les lycéens de 2nde et de 1ère n’y trouveront certainement pas leur compte.

Greta Gerwig semble plutôt s’adresser aux ados en terminale, aux jeunes adultes qui sont à la fac et aux adultes qui ont la nostalgie de leur jeunesse, ce qui, dans mon cas, a amplement marché. Étant encore jeune et à la fac au moment où j’écris cette chronique, je me suis retrouvée dans ce récit. Alors, je n’ai pas connu exactement la même chose, par exemple, au lycée, on a été privés du bal de fin d’année par le Covid, mais j’avais aussi envie de partir de chez moi pour les études. Lady Bird veut quitter Sacramento pour étudier à New York, j’ai quitté le Luxembourg pour étudier à Paris.

Un récit proche de l’autobiographie

Lady Bird est intéressant car il s’agit du premier grand long-métrage de Greta Gerwig (si on exclut son film indépendant Nights and Weekends), deux ans avant qu’elle ne sorte Les Filles du Docteur March et six ans avant Barbie, et le premier long-métrage d’un réalisateur peut se montrer révélateur sur sa personnalité et son savoir-faire (bien qu’il y ait des exceptions étonnantes, comme David Fincher, son premier film, Alien 3, ayant connu une production désastreuse et Fincher n’ayant finalement que peu d’implication dans le projet en dehors du tournage, et Stanley Kubrick, son premier film étant un fatras tourné et financé à la petite semaine).

En l’occurrence, Lady Bird est un excellent exemple de ce que j’avance. Il s’agit même du film le plus personnel de Greta Gerwig, qui s’est inspirée de la fin de son adolescence pour son récit. On sent que Greta Gerwig avait besoin d’expurger, d’exorciser quelque chose au travers de ce film, et il y a de quoi:

Une relation mère-fille évocatrice pour moi

Lady Bird est une adolescente têtue. Son fort caractère lui vaut de faire un constant bras de fer mental avec sa mère. C’est une relation en dents de scie. Nonobstant le fait que mère et fille s’aiment et s’entendent bien, le torchon brûle très souvent entre elles. Il semblerait que Greta Gerwig a eu une relation instable avec sa mère dans sa jeunesse et que ce film lui a servi de thérapie, et je pense que c’est en partie ce qui me fait aimer le cinéma d’auteur.

Au-delà du style visuel, en général, un auteur a une part de lui-même dans le scénario, que ce soit s’il en est le scénariste ou qu’un scénariste l’ait écrit pour lui. Par exemple, Tim Burton. Si sa patte visuelle est universellement connue et louée, les thématiques et scénarios de ses films sont typiques du bonhomme: lien à l’enfance, fuite de la réalité, monstres, expressionnisme… Il en est de même pour Steven Spielberg. Ses films parlent par exemple du judaïsme (MunichLa Liste de SchindlerThe Fabelmans) et du lien à l’enfance (E.T.HookThe Fabelmans). Ou alors Guillermo Del Toro. Son cinéma parle de monstres et de la monstruosité de l’homme, appuyé par un style visuel marqué.

Greta Gerwig, elle, est plus psychologique, sans aller dans le drame ou le thriller. Je parle de psychologie dans le sens où elle fait de l’introspection, elle va titiller ce qui est profondément à l’intérieur de nous. Greta Gerwig parle du passé, des souvenirs, et par extension des relations intrafamiliales (ce qu’on retrouve dans Les Filles du Docteur March et Barbie). Avec Lady Bird, elle aborde une relation qui est une des plus importantes dans un cercle familial: la relation mère-fille (marche aussi pour les relations mère-fils). Je ne pensais que cette relation me parlerait autant. C’est du vécu:

Aparté sur mon vécu

J’ai eu une relation très similaire avec ma belle-mère. On s’entend bien, on s’aime, mais… ça n’a jamais été facile. Le point culminant a été justement à la fin de mon adolescence, quand j’étais en terminale, à la période des écrits du bac: ma belle-mère me mettait la pression pour que je me trouve un job étudiant, alors que ma priorité était de passer mon bac et de m’inscrire pour les études supérieures. Pendant près d’une semaine, j’ai subi cette pression et j’ai encaissé, jusqu’à ce que je dise non et qu’elle abandonne. Suite à ça, on s’est brouillées pendant un mois, au grand dam de mon père, jusqu’à ce qu’on se réconcilie. La scène dans le film où Lady Bird demande combien elle a coûté à sa mère et craque en jetant par terre son bloc-notes m’a rappelé exactement cette triste période de ma vie.

Lady Bird, allégorie de l’adolescence?

En voyant cette scène, j’ai eu le sentiment de voir la frustration que j’ai retenue être exorcisée. Avec son franc-parler et son tempérament, Lady Bird est semblable à bon nombre d’adolescents tels que j’en ai connus. Son intervention insolente dans la scène où sa classe assiste à un séminaire sur l’avortement, son agressivité avec son frère, sa relation avec sa meilleure amie Julie, son envie de se démarquer de son entourage avec un surnom qu’elle privilégie à son nom et son prénom au point de le rappeler quand sa mère l’appelle par son prénom, désinvolte, têtue, désireuse de s’émanciper des personnes autoritaires (comme sa mère) et conflictuelles (comme son frère) dans son entourage et de quitter le nid familial et la petite ville dans laquelle elle a grandi pour étudier dans la métropole branchée, tout concorde.

Elle en fait voir des vertes et des pas mûres à sa pauvre mère, interprétée avec brio par Laurie Metcalf, qui porte à elle seule la famille McPherson. Déjà, c’est elle qui fait subsister la famille depuis que son mari, le père de Lady Bird, joué par Tracy Letts (que l’on reverra deux ans plus tard à nouveau chez Greta Gerwig aux côtés de Saoirse Ronan dans le rôle d’un éditeur new-yorkais dans Les Filles du Docteur March), est au chômage, alors qu’elle est infirmière, avec un salaire relativement maigre, donc avec le stress qu’elle accumule à force de trimer comme une mule et de s’occuper de la famille à elle seule, lorsqu’elle se confronte à sa fille, ça peut partir en prises de bec.

Lady Bird n’est pas différente de tous les adolescents occidentaux qui existent, garçons comme filles, et je ne fais pas exception. La seule différence est que je suis patiente, contrairement à Lady Bird. Comme dirait Kevin Tran du Rire Jaune, d’un côté, la force tranquille, de l’autre, le buffle!

À force de comparer les événements du film à mon vécu comme j’ai déjà fait le rapprochement entre les sœurs March et ma fratrie, j’ai eu une révélation:

Confession personnelle: Lady Bird/Saoirse Ronan, une boussole identitaire

Depuis longtemps, dans le domaine de la fiction, je m’identifie très souvent aux personnages féminins, en partie de par mon fort attrait pour la féminité. Ça pourrait s’apparenter à un simple fantasme physique et sexuel, or la personnalité d’un personnage de fiction est d’une grande importance pour moi, et ces deux facteurs sont tout à fait conciliables, ça m’a sauté aux yeux depuis que j’ai craqué pour Saoirse Ronan, au-delà de sa beauté renversante, nombreux sont ses personnages (Agent Stalker dans Coup de ThéâtreJo March dans Les Filles du Docteur MarchSusie Salmon dans Lovely BonesLady Bird dans le film éponyme et Eleanor Webb dans Byzantium, entre autres) qui m’ont marquée par leurs personnalités que je trouve proches de la mienne (Stalker est cinéphile, Susie Salmon est artiste dans l’âme, Jo March et d’une certaine façon Eleanor Webb sont auteurs,…).

Ayant toujours vécu comme un garçon, j’en suis venue à me demander si je n’étais pas dans le mauvais corps, et Lady Bird a été le déclic: c’est le cas.

Conclusion

Peu de films arrivent à me parler au point de creuser si profondément dans mon inconscient et mes souvenirs. Autant Les Filles du Docteur March me rappelle la relation que j’entretiens un peu avec mes deux frères mais surtout avec ma sœur et ce avec beaucoup de tendresse, autant Lady Bird me rappelle une partie de ma vie (et surtout de ma personnalité) avec à la fois douceur et aigreur.

J’ai beaucoup parlé de moi dans cette chronique, non? C’est que le film a parfaitement réussi son objectif, celui de raviver la flamme de la nostalgie et des souvenirs de la jeunesse et d’exorciser la personnalité du spectateur, c’est cathartique. C’est même l’objectif cardinal de Greta Gerwig dans ses longs-métrages suivants, Les Filles du Docteur March et Barbie.

Avec sa vision personnelle mais ouverte, Lady Bird est un récit touchant sur le passage à l’âge adulte qui s’adresse à tous les adultes qui se rappellent encore de leur dernière année de lycée et de leurs 18 ans, porté par une brillante Saoirse Ronan qui est le reflet parfait de la talentueuse Greta Gerwig!

Je remercie Greta Gerwig et surtout Saoirse Ronan du fond du cœur pour m’avoir permis d’en apprendre plus sur moi-même et de me découvrir grâce à ce film magnifique qu’est Lady Bird (et en partie aussi grâce aux Filles du Docteur March)!

Synopsis

Christine McPherson, dite Lady Bird (Saoirse Ronan), est une jeune fille au caractère bien trempé dans sa dernière année de lycée. À l’approche de ses 18 ans, elle ne rêve que d’une chose, quitter Sacramento pour New York pour ses études et pour s’émanciper de sa famille, en particulier sa mère (Laurie Metcalf) qui l’étouffe en lui mettant une pression peu supportable.