Nous sommes désormais en 2020 après Jésus-Christ et les cinémas sont occupés par des productions formatées. Tous les cinémas? Non! Car un cinéma peuplé d’irréductibles cinéphiles résiste encore et toujours à l’envahisseur.
Le pastiche peut faire sourire mais la situation du cinéma La Clef renvoie à une triste réalité. Au cœur du quartier latin à Paris, le dernier cinéma associatif lutte pour son indépendance.
Un combat juridique
Depuis le 20 septembre 2019, c’est un lourd combat que mènent les occupants de La Clef contre le propriétaire des murs. Cela va faire bientôt deux ans que le comité social et économique de la Caisse d’épargne d’Île-de-France souhaite vendre le lieu. Si le cinéma pouvait être rentable, le reste de l’espace ne l’est malheureusement pas assez. Le problème survient alors pour trouver un acheteur. Alors que les anciens salariés ont négocié pendant plus d’un an pour racheter ce lieu unique à Paris, l’arrêt spontané des négociations a laissé entendre un rachat par LCJ Editions. Cette solution qui ne correspond pas à l’identité de la Clef a conduit à de vives oppositions, amplifiées par l’ajout de clauses durant les négociations, dans le seul but de décourager le projet. En réponse, des associations issues des occupations précaires et artistiques, étudiants, cinéastes, projectionnistes, spectateurs, riverains et autres acteurs du milieu audiovisuel forment une association, Home Cinema, dans le but d’occuper et préserver les lieux coûte que coûte.
Forcer le rachat? Pas nécessairement nous disent-ils, leur seule volonté est de préserver l’occupation de La Clef par et pour un cinéma associatif indépendant. La différence avec un autre cinéma est majeure: l’association ne recherche pas un but lucratif et peut donc se permettre une plus grande liberté. Tant dans la programmation que le prix (libre depuis l’occupation!), La Clef est la certitude d’une séance unique, introuvable ailleurs.
Un danger pour le quartier latin
L’illégalité de cette situation a conduit le collectif au tribunal, qui a rendu un premier avis le 19 décembre. Derek -Président de Home Cinema– nous explique que depuis cette date, l’expulsion peut avoir lieu à tout moment. Mais le cinéphile ne voit pas ce verdict comme une défaite. Les rencontres, les moments de partage chaque soir depuis septembre relève déjà d’une victoire incontestable, la fougue qui motive ces révoltés n’aurait jamais été réunie sans cette décision de vendre le cinéma.
Ce vent de révolte qui souffle sur le Quartier latin ne sait pas de quoi demain sera fait. En revanche, leur cause est plus que soutenue par les acteurs politiques et culturels. Des mairies centrales et du cinquième arrondissement aux différents projectionnistes des autres cinémas du quartier, tous déplorent cette situation. Un collectif a même été fondée par les résidents du quartiers, les usagers de ce cinéma associatif. L’une des membres du collectif de défense Laissez-nous La Clef déplore l’absence d’un droit de regard sur cette vente dont les résidents du quartier seront les premiers touchés.
« On détruit des lieux de culture pour en faire des lieux de consommation »
Cette situation est préoccupante pour le quartier latin. Les cinémas sont touchés tout autant que les universités et les librairies à long terme nous expliquent les membres du collectif.
La troupe qui se réunit chaque soir craint le sort de cet arrondissement parisien. Connu pour être le lieu de rassemblement des étudiants -déjà en 1968-, La Clef se trouve à quelques rues de la Sorbonne ainsi que de nombreuses librairies. Les murs et différents commerces sont l’héritage d’une histoire, d’une émulation culturelle unique. Cette lente transformation, fruit de rachats par des producteurs attirés par le profit risque de changer fondamentalement ce quartier. L’une des personnes qui nous reçoit est catégorique: « on est en train de créer un ghetto riche dans lequel personne ne viendra plus à part les résidents, on essaye de voler l’âme du quartier latin« .
La culture en danger
Parce que le problème de La Clef n’est que le symptôme d’un constat général, agir semble impératif. C’est « un cri, un hurlement d’urgence » nous confient les occupants. Ce cinéma est le symbole d’une contre culture qui n’a pas sa place dans les multiplexes soucieux de gagner de l’argent. La Clef est complémentaire du cinéma grand public, là ou l’on chercherait à l’opposer. La résistance n’est pas radicale et sourde, elle cherche à protéger une culture qui peine à trouver sa place. Il suffit de regarder la programmation de ce lieu pour comprendre le but recherché. De Mad Max: Fury Road à Antiporno de Sono Sion, le cinéma est aimé dans son ensemble, sans diaboliser qui que ce soit.
Lecteurs résidant à Paris, si vous désirez soutenir ce projet, signez la pétition ou participez directement aux séances proposées par La Clef Revival. La culture est une richesse magnifique et fragile dont le sort appartient à tous. Chez Culturaddict, nous ne pouvons que féliciter et soutenir des actions comme celle de La Clef, celles qui sont faites au nom d’une passion commune: le cinéma.
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