Costa-Gavras, un cinéma engagé
Marqué par le positionnement antiroyaliste de son père dans sa jeunesse (qui le conduira à étudier en France, loin de sa Grèce natale), Costa-Gavras a démarré sa carrière avec Z et L’Aveu, deux thrillers politiques qui ont contribué à son ascension dans le cinéma français.
La politique est très présente dans son cinéma, dénonçant les agissements du gouvernement américain, chose très audacieuse pendant la Guerre Froide.
Mais après les US, c’est l’Union Européenne qui se retrouve dans le collimateur du réalisateur franco-grec (Ça revient presque au même, Bruxelles étant inféodé à Washington).
Aux origines de la crise économique en Grèce
Il faut savoir que la Grèce a connu une forte explosion de la dette en plus de trente ans (ce qui ne l’a pas empêchée d’entrer dans la zone Euro en 2001), passant de 22,60% du PIB en 1980 à 109,4% en 2008, l’année qui a connu l’avènement de la crise économique mondiale, et cette crise économique a frappé la Grèce de plein fouet.
Depuis 2010, les pays de la zone Euro et le Fonds Monétaire International (ou FMI) ont prêté plus de 260 millions d’euros à la Grèce avec des plans de sauvetage, dont un Memorandum of Understanding (MoU), un accord décrétant l’austérité, et malheureusement, cet accord, pouvant se résumer à un cercle vicieux, n’a fait qu’aggraver la dette et le déficit public en Grèce.
Je l’accorde, ce n’est pas très très cinéma, ce chapitre sur l’économie, mais ça reste bon à savoir pour se faire une idée du contexte.
L’Union Européenne et les ministres
Le film est basé sur le livre Conversations entre adultes: Dans les coulisses secrètes de l’Europede Yánis Varoufákis, lui-même, je suppose, inspiré d’un article que Varoufákis a rédigé pour le journal français Le Monde Diplomatique (Lisez cet article!).
Les décors des ministères et des institutions européennes, tous plus similaires les uns que les autres, donnent une idée de ce que représentent les adversaires que Yanís Varoufákis va affronter durant le film, à savoir les ministres et l’Eurogroupe.
La salle de réunion de l’Eurogroupe, au plafond très haut et donc peu éclairé passé une certaine hauteur, traduit bien l’austérité ambiante du contexte. La façade du ministère fédéral des finances symbolise bien l’attitude du ministre allemand. D’ailleurs, le bâtiment en lui-même remonte au Troisième Reich, c’est dire s’il est sinistre (Allez hop, le point Godwin, il en fallait bien un, même involontaire).
Les ministres des finances français et allemand, Michel Sapin (Vincent Nemeth) et Wolfgang Schäuble (Ulrich Tukur), ne sont pas représentés de manière flatteuse.
Sapin est montré comme hypocrite, affable et compatissant avec Varoufákis mais en fait désireux d’être remboursé par la Grèce. On voit même Emmanuel Macron pendant trente secondes.
Schäuble, lui, est clairement la bête noire de son homologue grec. Costa Gavras et Ulrich Tukur le dépeignent comme un créancier cupide, ne manquant jamais une occasion de demander le remboursement de son prêt avec le ton le plus méprisant et d’exiger la signature sans discussion du MoU.
Les fonctionnaires européens ne s’en portent pas mieux.
On a droit notamment à une courte apparition de Jean-Claude Juncker (Trevor Sellers), ancien premier ministre luxembourgeois et à l’époque des événements du film président de la Commission Européenne, qui humilie Aléxis Tsípras devant les photographes à son arrivée à la Commission Européenne à Bruxelles.
On nous présente aussi Pierre Moscovici (Aurélien Recoing), commissaire européen aux affaires économiques et financières sous Juncker. Il présente notamment les nouvelles conditions du MoU, bien plus arrangeantes vis-à-vis de Yanís Varoufákis, avant de lui présenter avec Jeroen Dijsselbloem (Daan Schuurmans) la version définitive, beaucoup plus favorable à l’Allemagne et à l’Eurogroupe en général.
Fourberie, je dis!
Et enfin Jeroen Dijsselbloem, le président néerlandais de l’Eurogroupe, impatient et intransigeant, prompt à menacer Varoufákis de fermer les banques grecques et exigeant la signature du MoU et une véritable servilité vis-à-vis de la Troïka, et ce alors que Varoufákis est une forte tête.
Le titre du film est admirablement ironique, sachant que les réunions de l’Eurogroupe ressemblent à des disputes d’enfants. À l’exception d’une Christine Lagarde calme, en retrait et conciliante avec Yanís Varoufákis, personne n’est foutu de s’entendre, notamment un Wolfgang Schäuble particulièrement insupportable dans son intransigeance vis-à-vis du MoU et des revendications des Grecs. Mais là où sa fourberie atteint son paroxysme, c’est lorsqu’il avoue en privé à son homologue grec que le MoU serait suicidaire pour le peuple grec et anti-patriotique, mais qu’il insiste lors des réunions de l’Eurogroupe pour qu’Athènes signe cet accord d’austérité.
La fin dansante
Suite au référendum sur la signature du MoU pour lequel le peuple grec a dit non, Alexís Tsípras, est convoqué au Conseil Européen à Bruxelles après un coup de fil d’Angela Merkel. Là-bas, dans une séquence irréelle et fantasque, le premier ministre grec est dévisagé, poursuivi, harcelé et brutalisé par les autres ministres européens. Cette séquence, la plus fantaisiste du film, traduit finement l’angoisse et le lâcher-prise d’Alexís Tsípras, signe de sa défaite intérieure face au système européiste, débouchant sur la signature du MoU et la démission de Yanís Varoufákis. Musique très minimaliste, chorégraphie et mouvements de danse d’une grande sobriété, on ressent la perte de repères. La très courte séquence en noir et blanc, lorsque Tsípras passe la sortie de secours, est riche de sens, comme toute la séquence en elle-même.
M’énerve, il n’y a aucune image disponible pour illustrer!
Conclusion
Loin des artifices et du grand spectacle d’Hollywood, Costa-Gavras met un coup de pied diablement percutant dans la fourmilière européiste, vêtu de la botte bien épaisse que représente le best-seller de Yanís Varoufákis, avec un pamphlet à charge contre l’Union Européenne et l’Allemagne, le tout porté par un excellent Christos Loulis dans le rôle de l’ex-ministre des finances particulièrement remonté contre Bruxelles, Francfort et Berlin.
Costa-Gavras décrit le film comme une tragédie grecque antique dans les temps modernes, et ce n’est pas faux.
Comme le dit si bien Christine Lagarde dans le film, on a besoin d’adultes dans la salle, la salle que représentent les sphères géopolitique et économique.
Faut-il envisager un Grexit, et même un Frexit pour la France, ou bien ne faudrait-il pas, tout simplement, détruire l’UE et repartir à zéro?
Synopsis
Après sept années de crise, la Grèce élit son nouveau gouvernement, mené par le premier ministre, Aléxis Tsípras, et son bras droit, le ministre des finances, Yánis Varoufákis (Chrístos Loúlis). À peine installé, ce dernier est chargé de réviser le MoU (Memorandum of Understanding), un accord signé par ses prédécesseurs avec le FMI, la BCE et la Commission Européenne, et ce afin de sortir son pays, fortement endetté, de la crise. Varoufákis va se heurter à l’attitude hautaine du ministre allemand des finances Wolfgang Schäuble et aux magouilles des hauts fonctionnaires européistes.