Une culture musicale on-ne-peut-plus solide

Todd Field, le réalisateur, scénariste et producteurs, semble transporter avec lui un bagage culturel musical conséquent, puisque sont cités des compositeurs plus ou moins connus comme Johann Sebastian Bach, Ludwig Van Beethoven ou Gustav Mahler (qui est au cœur de l’intrigue), mais aussi des chefs d’orchestre, ce qui parlera bien plus aux aficionados de musique classique, comme Claudio Abbado, Leonard Bernstein, Herbert Von Karajan, Charles Dutoit ou Gustavo Dudamel et même des interprètes comme le pianiste Glenn Gould, connu pour ses réinterprétations de Bach (The Goldberg Variations). Il est même fait mention du label Deutsche Grammophon, qui a sorti les meilleures orchestrations de concertos et de partitions musicales, de Rossini par Claudio Abbado à Mozart par Herbert Von Karajan. Je ne suis pas aussi mordu de musique classique que je suis mordu de rock, de blues et de metal, la Philharmonie de Luxembourg n’est pas autant ma salle de concert de prédilection que la Rockhal, mais j’ai beaucoup d’affinités avec le classique et ce depuis mon enfance, j’ai évidemment connu Fantasia de Disney, mais j’ai surtout beaucoup écouté L’Ouverture de Guillaume Tell de Rossini par Claudio Abbado et Les Dix Tableaux d’une Exposition de Modest Mussorgsky par Leopold Stokowski et ce depuis que j’ai 9-10 ans!

Au passage, le chef d’orchestre John Mauceri a servi de consultant pour le script, afin que le script de Todd Field soit le plus minutieux et exact possibles sur le personnage de Lydia Tár.

La musique, centrale et pourtant presque absente voire décalée

Paradoxalement, c’est la première fois que je vois un film parlant de musique où la musique est si minimaliste! Dans la mesure où c’est la compositrice islandaise Hildur Guonadóttir qui s’est collée à la partition, c’est peu étonnant, elle fait partie de ces compositeurs de films à la composition parcimonieuse, minimaliste, inexistante du point de vue des cyniques. Les seules musiques que l’on entend dans le film sont soit des sonneries comme le réveil de Lydia Tár, la sonnette de l’appartement géant où elle habite avec sa compagne et sa belle-fille ou les répétitions musicales. Le film se permet même un gros décalage sur la musique en mettant dans le générique de fin un morceau d’électro.

Lydia Tár, l’incarnation du pouvoir

Le personnage de Lydia Tár est fascinant: autoritaire, exigeant, pas très commode, et même peu supportable pour les fragiles. Que je m’explique: dans la deuxième scène du film (qui consiste en un plan-séquence impressionnant), Lydia Tár anime une masterclass au conservatoire Juilliard à New York (l’équivalent du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, c’est-à-dire une académie prestigieuse de renommée internationale, le Harvard de la musique!) et parle avec un apprenti chef-d’orchestre, Max. Cette scène est géniale parce qu’elle cloue le bec au wokisme! Max avoue à Lydia qu’il se refuse à jouer ou diriger une partition de Johann Sebastian Bach parce qu’il s’identifie comme non-binaire ou une connerie du genre et qu’il considère Bach comme misogyne. Lydia le remet bien comme il faut à sa place en le considérant comme un robot alimenté aux réseaux sociaux et que la vie sexuelle et l’identité du compositeur et de l’interprète n’ont pas la moindre importance lorsqu’il s’agit d’interpréter une partition musicale. Max range ses affaires et quitte la salle tout en traitant Lydia de garce. On appelle ça un ratio!

Cate Blanchett, la star qui s’est injustement fait voler l’Oscar

Cate Blanchett crève l’écran dans le rôle de Lydia Tár, son meilleur rôle selon moi! Même en troquant et son charme féminin pour une carrure plus masculine et autoritaire, elle conserve sa prestance et son élégance, un nouvel exemple somme toute de son talent qui n’est plus à prouver. Alors comment ça se fait que ce n’est pas elle qui a eu l’Oscar de la meilleure actrice?! Elle le méritait bieeeeeen plus que Michelle Yeoh, mais bon, les Oscars préfèrent faire du favoritisme communautariste (c’est pour ça que The Fabelmans est reparti bredouille)! Ne soyons pas dupes, Michelle Yeoh, avec tout le respect que j’ai pour elle, est loin d’être excellente dans Everything Everwhere All At Once. Cate Blanchett, elle, est transcendante!

Le contrecoup du pouvoir

Comme je le disais, Lydia Tár est un personnage autoritaire, ce qui constitue le point élémentaire de l’intrigue: le pouvoir. Lydia Tár est, sans être toxique, une femme de pouvoir, en étant déjà une célébrité mondiale et un membre très haut placé de l’orchestre de Berlin (et pas seulement en tant que chef d’orchestre). Au contraire de plusieurs récits illustrant un schéma de progression (tel le monomythe de Joseph Campbell), où un personnage accède à une haute position, une position supérieure, Tár choisit plutôt comme structure et comme enjeu le revers du pouvoir et la dégringolade, la descente aux enfers menant à la perte de ce pouvoir. Au début du film, Lydia Tár est introduite directement en tant que célébrité de renommée mondiale à son apogée. Le plan-séquence à Juilliard est la parfaite illustration de la démonstration du pouvoir de Lydia Tár, pouvoir qui se révèlera effrité lorsque cette séquence sera partagée, tronquée et remontée, sur les réseaux sociaux.

Il en va également du statut de Lydia Tár, qui menait une vie de superstar et de chef d’orchestre en Europe occidentale pour enregistrer un concerto de Gustav Mahler et qui se retrouve à la fin à diriger un ciné-concert du film Monster Hunter aux Philippines. Cette descente aux enfers se traduit également dans sa psyché, elle est poursuivie tout au long du film par un genre de motif dessiné ressemblant à un motif de lanyrinthe hexagonal mystérieux, malheureusement inexpliqué et laissé tel quel sans éclaircissement, et par une casserole lié à une ancienne relation de Lydia Tár (une affaire assez sordide qui la conduira à se faire évoncer de son orchestre et de son concerto). Ces sempiternels démons dépossèderont Lydia de sa position et de son pouvoir, jusqu’à la pousser à la folie, littéralement, comme dans un film fantastique ou d’épouvante (vers la fin, Lydia Tár, dans son appartement secondaire, reçoit la visite de voisins qui lui demandent de lésiner sur la musique pour ne pas « effrayer » les acheteurs potentiels pour leur appartement qu’ils ont mis en vente. Suite à cela, à bouts de nerfs, elle se met à brailler en jouant de l’accordéon).

En somme, le récit de Lydia Tár se rapproche de celui d’une tragédie. Si aucun personnage ne meurt dans le film, en revanche la réputation de Lydia Tár est la victime de ce destin tragique. Le personnage en elle-même ne meurt pas, c’est la superstar qui est morte, détruite par la fatalité d’un pouvoir instable.

Conclusion

Une fable tragique puissante sur le pouvoir à l’orchestration pharaonique et millimétrée portée par une Cate Blanchett au sommet de son art, Tár est à l’image de sa protagoniste et de son travail! Et en Fortississimo!

Synopsis

Lydia Tár (Cate Blanchett), chef avant-gardiste d’un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et de sa carrière. Le lancement de son livre approche et elle prépare un concerto très attendu de la célèbre Symphonie n°5 de Gustav Mahler. Mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va se désagréger d’une façon singulièrement actuelle. (Synopsis par Allociné)