Je me suis récemment lancé dans la lecture enfiévrée d’un magazine évoquant l’époque pas si lointaine où le rock quittait ses habits de lumière pour tomber dans l’obscurité. L’arrivée de Lou Reed et du Velvet Underground marquait le passage d’un récit joyeux au cérébral macabre. Ce ne sont plus des histoire d’adolescents cherchant à séduire des demoiselles que racontent les chansons, mais des récits de drogue, de prostitution et d’amours transversales. Le magazine est un hors série Rock & Folk et je l’ai lu du premier au dernier mot, histoire d’en savoir plus sur le personnage Lou Reed et son œuvre. J’ai lu, j’ai avancé dans sa discographie et son œuvre mais j’avoue qu’après la fin de l’époque Velvet Underground, tout semblait déjà dit. Les contours du personnage étaient définis, sombre, acariâtre, terrorisant les journalistes sans un sourire, avec des disques désincarnés. Après 1974, il a répété la formule, sûr d’attirer à lui l’attention. Je préfère donc évoquer la genèse du personnage avec son grand œuvre, les différents albums composés avec le Velvet Underground.

Une œuvre noire et sublime

Le premier album du Velvet s’est créée une vraie légende tenace. Selon Brian Eno, il ne s’est vendu qu’à 30 000 exemplaires la première années, mais chaque acheteur a créé son groupe de rock à son écoute. Loin de faire preuve de maestria et d’élégance, le groupe cherche surtout à imposer une ambiance, celle de rues sordides et d’avenues jonchées de junkies. Personne ou presque n’avait osé aborder des sujets aussi peu ragoutants, le fix d’héroïne, l’attente du dealer, la perversion sexuelle. Une chanson comme Venus in Furs n’est pas faite pour danser ou chanter ses paroles en chœur, elle plaque au mur et fait s’écarquiller les yeux. La vie serait-elle plus compliquée qu’une simple suite de jours qui passent les uns après les autres dans une inadvertance ravie? Le premier album du Velvet a été produit par Andy Warhol, grand démiurge de l’art moderne chercheur en concepts novateurs et perturbants. En rassemblant une femme jouant de la batterie debout, un multi-instrumentiste versé dans la musique moderne, un guitariste aux tendances masochistes victime d’électrochocs pour soigner son homosexualité refoulée et un guitariste bourru, il savait ce qu’il faisait. Il cherchait des sonorités inédites pour bousculer les auditeurs et tétaniser littéralement les spectateurs devant un spectacle qui ne laissait personne indifférent, engendrant le dégout ou la fascination. Car la musique du Velvet ne cherche pas la facilité, les sonorités empilent des graves profonds et des aigus qui crissent, les couplets montent souvent en gradation incendiaire avec des refrains acérés comme des lames de rasoir. Si le premier album débute avec un Sunday Morning à la mélancolie affectée, il faut savoir que le producteur Warhol l’a fait rajouter expressément et Lou Reed a fait de son mieux pour composer un morceau le plus insipide possible. Et il a réussi. Mais ce n’est pas l’essence véritable du groupe et ses intentions étaient beaucoup moins angéliques. L’expérimentateur John Cale recherchait des ambiances déconcertantes avec des sonorités qui vont bien au-delà de ce qu’un auditeur lambda voudrait écouter. La noirceur devient brillante, le malaise fait toucher les étoiles avec de telles intentions.

4 albums et puis s’en va

SI le premier album à la banane a contribué à faire connaitre le groupe, les 4 acolytes n’en avaient pas fini avec leurs expérimentations, ce que démontre bien le deuxième album White Light / White heat. Si le morceau titre ressemble à un bon rock des familles, les sonorités déraillent dès le deuxième titre. The Gift ressemble à un bad trip avec une rythmique dans l’oreille gauche et une voix qui raconte une histoire dans l’oreille droite, Lady Godiva’s Operation fait penser à un calypso qui déraille après une soirée trop arrosée, here she comes now n’est pas qu’une douce mélopée et ressemble plutôt à une incantation tout sauf joyeuse, I heard her call my name fait mal aux oreilles comme une impro mal maitrisée, Sister Ray agresse dès les premières notes et enchaine les grésillements tout du long. Alors pourquoi accepter une telle souffrance? Peut être parce que l’auditeur sait qu’il y a autre chose derrière, une intention artistique voire sociale. Secouer, ne pas être sage, sortir de sa case pour expérimenter ce qui se trouve au delà des frontières établies. Une vraie attitude de sale gosse, en somme.

Après un tel déchainement de décibels, l’album suivant ressemble à un apaisement. Lou Reed a viré John Cale, il a fait rentrer Doug Yule, le troisième album est beaucoup plus facilement écoutable, les mélodies reprennent le dessus. Le calme après la tempête. Pale Blue Eyes ressemble presque à une berceuse, Jesus continue sur la même tendance apaisante, les morceaux manquent de la morgue des débuts. Il faut The Murder Mistery pour retrouver l’ambiance foutraque des origines avec ses deux voix dissonantes qui semblent chacune chanter sans faire attention à l’autre. C’est un quasi adieu pour un Lou Reed qui ne le sait pas encore. Le dernier album est plus l’œuvre de Doug Yule, tout à fait écoutable avec son classique des classiques Oh! Sweet Nuthin‘.

Beaucoup considèrent cet album comme une abomination car les frères ennemis Lou Cain et John Abel sont partis. Pourtant l’album contient des morceaux de bravoure et ne sonne pas comme un chant du signe, au contraire. Il aurait pu ouvrir un nouveau cycle, qui n’aboutira pas. Car les intentions des débuts sont depuis longtemps enterrées, et Lou Reed est parti vers de nouveaux cieux avec l’aide d’un David Bowie fasciné.

Transformer, la confirmation Lou Reed

Lou Reed signe avec Transformer son grand œuvre, il ne parviendra que rarement à l’égaler. Walk on the wild side, Perfect day, satellite of love, les morceaux inoubliables se succèdent tout au long de l’écoute. Les connaisseurs de David Bowie reconnaitront d’ailleurs sa voix dans de nombreux chœurs, signe irréfutable de sa fascination pour le bad boy new yorkais. Si le chanteur Lou Reed ressemble à un panda sur la pochette, l’écoute marque pour longtemps. Et à la fin de l’album, la question se pose. Quoi après? Lou Reed semble avoir trouvé et fait fructifié une formule. Le reste de sa carrière ne sera que répétition de ce concept, avec toujours sa voix légèrement cabotine, ses paroles extrêmes et ses riffs de guitare. De bons moments mais rien d’aussi fascinant qu’à ses débuts. Et mêmes quelques moments étranges comme ce Metal Machine Music complètement inécoutable du début à la fin.

Voilà, il ne vous reste plus qu’à écouter les albums mentionnés pour vous imprégner d’une ambiance. Lou Reed a imposé un ton, sa voix et ses compositions, pour marquer son époque et graver son nom dans le marbre de l’histoire du rock.