Oscarisé pour « Little Miss Sunshine », Michael Arndt a su se distinguer dans le domaine des œuvres grand public hollywoodiennes avec une patte reconnaissable. Pourtant, ce scénariste de talent se distingue par une grande modestie et ses interrogations, n’hésitant pas à discuter avant l’entretien sur l’importance du dialogue à l’écriture. En cela, ce fut un plaisir de discuter avec une personne aussi passionnante à l’occasion de sa venue au festival Anima.

Comment l’écriture pour un film d’animation diffère-t-elle de celle pour un film live ?

C’est drôle car on m’a souvent posé la question auparavant et j’avais toujours l’habitude de dire que c’était la même chose. Les histoires fonctionnent toujours de la même manière et une bonne histoire reste une bonne histoire, qu’importe le format. Un début et une fin restent bons, il n’y a pas de différence à faire. Mais juste avant de m’envoler ici, j’y ai réfléchi en repensant à mes films d’animation préférés : « Mon voisin Totoro » d’Hayao Miyazaki, « Wall-E », « Le tombeau des lucioles », … Ces films tendent à être plus lyriques, plus visuels. Cela m’a fait comprendre, alors que j’étais en chemin pour discuter avec un public fan de cinéma d’animation, que je pense que l’animation, parce qu’elle a une plasticité visuelle, est plus à même pour des histoires avec moins de dialogues, des histoires se reposant plus sur les visuels. Je crois que l’animation est assez fongible pour qu’elle puisse traiter de n’importe quel type d’histoire mais je pense qu’elle convient mieux à celles purement visuelles, plus que les films live. Je crois que les moments les plus beaux dans les films d’animation sont ceux muets, exempts de dialogues, quand on se repose seulement sur les visuels. J’ai donc changé d’opinion et je crois qu’il y a une légère différence. Ce n’est pas une différence intrinsèque mais plutôt sur la manière dont le storytelling visuel convient mieux à l’animation.

C’est drôle car j’ai repensé immédiatement à cette scène dans « Toy Story 3 » où ils se tiennent la main et où je pleure à chaque fois ! (rires)

(rires) Je me souviens avoir écrit cette scène dans l’incinérateur quand ils se rapprochent des flammes. C’est une leçon intéressante car il y a une manière dont chaque dialogue peut se mettre entre le public et les personnages et tout ce qu’ils auraient pu dire vous aurait éloigné de la scène. Le silence est ce qui vous attire à l’intérieur. C’est une décision risquée quand on écrit car on se repose sur les animateurs qui devront créer cette séquence ou sur les acteurs si c’est en live action. Il y a toujours une tentation en tant que scénariste de sur-expliquer, c’est toujours ressenti comme un risque de jouer la carte du silence mais c’est souvent le choix le plus solide. Dans « Little Miss Sunshine », quand Dwayne apprend qu’il ne peut pas devenir pilote, qu’il pète un câble et descend de la camionnette, je me rappelle que je m’interrogeais sur ce que je pouvais faire dire aux personnages, et la réponse était rien. C’est tellement mieux d’avoir sa sœur qui s’assied à ses côtés et pose son bras sur ses épaules. C’est toujours un choix risqué quand on écrit de laisser la feuille blanche et de compter sur les animateurs ou les acteurs pour gérer cela mais c’est bien souvent la meilleure option.

Cela fait repenser également aux fins pour « Hunger Games : l’embrasement » et « Star Wars : le Réveil de la Force ». C’est drôle parce que, pour le premier, le livre se conclut sur une phrase choc mais dans le film, le fait de prolonger cette réplique par ce silence conserve la puissance littéraire du moment en l’adaptant au mieux au format cinéma.

C’est une véritable leçon de confiance envers les acteurs car je me souviens avoir vu le film pour la première fois et, lorsque Jennifer Lawrence change subtilement de visage vers quelque chose de plus marqué par la rage et la détermination avant de couper, on veut juste voir le film suivant ! Je ne peux pas prendre de crédit pour cela en tant que scénariste, c’est vraiment le réalisateur qui a pensé à ce moment. Ça fonctionne si bien. Ça montre aussi la puissance que peut avoir le cinéma quand on raconte son histoire visuellement.

Vous avez travaillé sur des films fortement liés à la pop culture. Comment gérer avec ces sagas qui sont très attendues et travailler avec ce matériel préexistant tout en conservant votre marque ?

C’est très intimidant de s’attaquer à un projet comme « Toy Story 3 » car les deux autres films étaient si biens et, vu que j’étais le nouveau, si quelque chose ne se passait pas correctement, je serais celui à blâmer. Le luxe est que ces personnages sont facilement trouvables, on les connaît déjà. Les gens pensent que l’écriture est surtout liée à la recherche de l’histoire mais la moitié du travail consiste à trouver qui sont vos personnages. Vous ne savez pas qui sont vos personnages quand vous commencez à rédiger, vous les découvrez au fur et à mesure. Quand vous savez qui sont vos personnages au début du travail de scénario, vous êtes déjà sur la moitié du chemin. Je dirais qu’il y a une légère différence avec « L’embrasement » car Suzanne Collins avait déjà écrit tous les personnages et leurs histoires. Tout ce que j’essayais de faire à ce niveau était de distiller le tout pour que cela puisse rentrer dans un film mais conserver l’esprit du livre et des personnages. J’ai fait quelques ajustements pour rendre le tout plus net et je pense que Suzanne a écrit une excellente fin, ce qui aide beaucoup. Avec « Toy Story 3 », on avait un peu plus de liberté car on connaissait nos personnages mais quand je suis arrivé chez Pixar, je n’étais pas sûr de ce qu’allait être l’histoire. On a eu plus de latitude pour que je puisse mettre ma touche. Quand j’ai commencé à travailler sur le projet, j’ai pensé que le plus grand danger était de la jouer trop sûr et faire ce qui était attendu. J’ai pensé que ce que je voulais faire ici était d’offrir un film réellement drôle mais également étrange. Sur un projet comme ça, le véritable danger est de rendre quelque chose insipide et prévisible, il faut vraiment aller dans le bizarre et l’étrange pour que le film puisse tenir par lui-même, que chaque opus ait sa propre identité.

Ce n’est pas trop difficile de travailler avec certains studios ?

Ce qui est incroyable, c’est que beaucoup de gens pensent que les studios interfèrent avec votre vision créative. Je pense personnellement que c’est un mythe. Je me souviens que lorsque j’étais chez Pixar pour travailler sur « Toy Story 3 », ce n’était que moi, le réalisateur Lee Unkrich, la productrice Darla Anderson et le responsable de l’histoire Jason Katz. On a passé 6 mois ensemble dans la même pièce à travailler cette histoire et après ce laps de temps, je me suis demandé s’il ne devait pas y avoir des adultes dans la pièce, censés nous dire qu’on devait faire ci ou ça. Personne ne l’a fait. Au contraire, on m’a dit de me laisser emporter par mon imagination et ils nous ont laissés entre nous, comme pour « Star Wars ». J’avais reçu un traitement par George mais il était très généreux pour dire qu’il fallait faire ce film pour une nouvelle génération et qu’on devait pleinement se réapproprier l’histoire pour faire qu’elle soit la nôtre. J’ai pensé que la seule façon dont les studios interférent dans le processus créatif est en en disant qu’ils n’ont pas le budget pour monter sur le film mais sur des titres comme « Star Wars » et « Toy Story », ils ont les moyens ! (rires) Mais je crois que le moyen principal pour interférer est en rushant le processus. C’est une chose que j’ai trouvée géniale avec Pixar : ils sont très patients pour le storytelling. Ils ne vont pas donner un temps infini pour tout écrire mais j’ai pu travailler trois ans sur « Toy Story 3 », de juin 2006 à juin 2009. C’était trois années à travailler le scénario d’un film qui dure 93 minutes. Mais j’ai eu besoin de chaque jour de ces trois années pour créer ce film tel qu’il est aujourd’hui.

J’ai revu « Little Miss Sunshine » et j’avais oublié comment les personnages étaient aussi solides dès l’ouverture de l’histoire. Comment les avez-vous travaillés pour avoir à la fois cette énergie singulière et distincte pour chacun d’entre eux mais également une énergie commune ?

Je pense qu’une des choses les plus dangereuses durant l’écriture est de créer des personnages fades, trop ordinaires. Je me souviens qu’une de mes inspirations était que je voulais écrire une comédie et que l’une des choses les plus drôles avec les familles est que ces personnes ne peuvent pas avoir beaucoup de points communs à part le fait qu’ils soient liés les uns aux autres. J’ai donc voulu créer une famille où chacun était aussi différent des autres qu’ils pouvaient l’être avant de les enfermer dans un bus dans une quête improbable. J’ai donc voulu les rendre, en restant évidemment dans quelque chose de crédible, les plus extrêmes possibles. Le public aime les méchants extrêmes mais également les héros qui le sont. Ce sont en tout cas les personnages que j’aime voir sur grand écran, encore plus dans le cadre d’une comédie. Je pense que « Little Miss Sunshine » a ses racines dans les comédies screwball des années 30 comme « Mon homme Godfrey » qui a cette famille excentrique. J’aime ces vieilles comédies qui parlent de grandes familles bien excentriques. Ils ne s’entendent pas vraiment entre eux mais ils se conviennent ensemble. C’était mon inspiration sur le film en tout cas.

Vous avez reçu l’Oscar pour ce film. Comment cela il influencé votre carrière ?

Je pense que je parle tout le temps et que les gens ne prêtaient pas attention à ce que je racontais (rires). Je crois que ça a aidé à ce qu’on m’écoute un peu plus. Voilà une chose intéressante à raconter : quand je travaillais chez Pixar, « Little Miss Sunshine » était encore en cours de tournage puis de montage. Les dirigeants ont lu mon scénario et l’ont aimé mais le film n’était pas encore passé à Sundance. Ils m’ont engagé puis, quand le film est sorti, les gens l’ont apprécié et il est allé aux Oscars. Quand j’ai remporté ce prix, les gens s’attendaient à ce que je quitte Pixar pour faire autre chose ailleurs mais j’étais en plein milieu de Toy Story 3 et je ne voulais pas partir. Je me sentais très chanceux d’être là et d’être protégé de la pression extérieure. J’ai tellement eu de chance dans ma carrière de travailler avec des personnes intelligentes et talentueuses qui ont su rendre mes scénarios réussis. Je pense que la réponse la plus courte à votre réponse serait que les gens prennent parfois au sérieux ce que je raconte ! (rires)

Est-ce qu’il y a un conseil que vous aimeriez donner à des scénaristes débutants ?

C’est une très bonne question ! Les gens me disaient souvent quelque chose à mes débuts en sortant de mon école cinéma : si tu veux être un scénariste professionnel, cela va te prendre dix ans. Je me disais que j’étais bien plus intelligent que tout le monde donc ça n’allait me prendre que cinq ans. Je ne me suis mis à écrire sérieusement que lorsque j’avais 24, 25 ans et j’ai vendu « Little Miss Sunshine » quand j’avais 35 ans donc ça m’a bien pris dix ans exactement. J’ai écrit onze scénarios avant de pouvoir vendre mon premier. Les gens croient qu’il suffit de s’asseoir pour écrire un scénario en six semaines avant de le vendre et ce n’est pas réaliste. Si tu veux être bon en tant que pianiste, athlète, chef ou n’importe quoi, ça prend au moins dix ans pour atteindre un niveau professionnel. Donc je conseillerais de garder une certaine patience. On pense que les histoires nous viennent naturellement mais les histoires sont en fait un langage en elles-mêmes et découvrir comment raconter une histoire et apprendre ce langage narratif prend du temps. Je fais cela depuis 30 ans et j’ai seulement l’impression de découvrir comment raconter correctement une histoire. Je me souviens avoir commencé avec un livre qui comprenait les détails de tous les scénaristes de l’époque avec leurs scénarios qui n’ont pas été réalisés. Un grand scénariste comme William Goldman, qui a fait « Butch Cassidy et le Kid », « Les hommes du président » et « Princess Bride » … Ce sont trois grands scénarios, de quoi avoir déjà une grande carrière rien qu’à eux. Il a eu quelques scénarios qui ont été tournés qui étaient bons sans plus mais il a eu également un grand nombre de scripts qui ne se sont jamais réalisés. C’était bien de savoir qu’un grand scénariste comme lui pouvait passer 6 mois ou un an à travailler sur un scénario et qu’il ne se fasse pas. Quand j’ai commencé, je m’attendais à un taux d’échec de 90% : si j’écris dix scénarios, un seul sera fait. Je me suis dit que si je voulais être scénariste pour le restant de ma vie, je devais faire une cinquantaine de scénarios pour que cinq puissent être réalisés et que peut-être parmi ceux-ci, un scénario donnerait un grand film (rires). Je me sens donc très chanceux d’avoir pu écrire quelques films qui se sont bien déroulés. Cela reste un engagement pour la vie.

Quel sentiment cela vous procure-t-il de présenter une Masterclass à Anima ?

Appeler cela une masterclass met bien trop de poids sur mes épaules ! (rires) Comme je vous l’ai dit, je n’ai que depuis peu la sensation de savoir raconter correctement les histoires, comment les relations entre les personnages et le monde créé autour d’eux ne sont que deux facettes de la même pièce. Je n’ai pas l’impression de donner une masterclass car j’ai le sentiment d’être encore un étudiant et que j’apprends toujours des choses sur les histoires. Le travail de narration des histoires vous rend humble. Les personnes qui pensent sincèrement que c’est facile sont invitées à s’asseoir et essayer par elles-mêmes. Écrire un grand scénario transformé en film que tout le monde aime est bien plus difficile qu’il n’y paraît. Personne n’a toutes les réponses mais, quand on travaille dans ce domaine depuis aussi longtemps que moi, on a quelques idées, non pas de ce qui fonctionne, mais de ce qui ne fonctionne pas. J’espère que les gens trouveront cela utile mais appeler cette rencontre une masterclass me met trop de pression ! (rires)

Merci à l’équipe d’Anima, plus précisément Kévin Giraud-Busseniers et Barbara Van Lombeek, pour cet entretien.