À l’occasion de leur venue au BIFFF pour présenter leur nouveau film, « Le mangeur d’âmes », nous avons pu discuter avec les réalisateurs Julien Maury et Alexandre Bustillo. De quoi plonger un peu dans la vision de metteurs en scène au style reconnaissable dans le paysage cinématographique français avec une filmographie riche en films de genre particuliers.
Vos films sont toujours marqués par des décors du quotidien qui finissent par devenir uniques. Comment gérer cela sur « Le mangeur d’âmes » ?
Julien Maury : C’est marrant comme question car c’est un postulat assez classique dans le cinéma fantastique de partir d’une mise en place très classique, une banlieue sans histoire, un petit quartier ou une maison avec une famille et que d’un coup, les éléments fantastiques ou horrifiques commencent à faire leur entrée et dérégler ce quotidien très identifiable. Nous, c’est quelque chose qui nous parle. On aime beaucoup ça, surtout retranscrire une réalité tangible et crédible. Le fait que le roman se passe dans les Vosges, ça nous a tout de suite inspiré parce qu’on connaît un peu la région, on vient au festival de Gérardmer depuis très très très longtemps et on s’est toujours fait la réflexion que les paysages sont hyper inspirants. La prédominance de la nature sur la vie humaine est incroyable. Il y a des vallées encaissées avec des villages où la lumière du soleil ne vient que la moitié de la journée. Il y a des endroits comme ça où on se dit que c’est extrêmement propice à la naissance de croyances et de légendes ancestrales. Donc pour nous, c’est rapidement devenu un élément central de l’histoire et un personnage à part entière. C’est-à-dire que cette forêt impénétrable, cette présence de la nature, devait être à la fois une menace et un terreau pour le fantastique. Après, la manière dont on le gère, c’est assez instinctif. On fait beaucoup de repérages, on s’imprègne des lieux et on découvre ce qui correspond le plus à notre sensibilité, notre vision. Franchement, on a été gâté dans cette région-là. Il y a tellement d’endroits qui sont faits pour être filmés, c’est incroyable. On a des endroits à la fois naturels avec des forêts presque primaires, des arbres à flanc de montagne et des rochers partout où on se dit que c’est impénétrable, qu’on ne peut pas y faire de promenade car l’environnement est trop dur, et des villages, des villes où on sent que la vie est passée. Les maisons sont à l’abandon ou à vendre. Ça donne une vraie mélancolie, une vraie tristesse. C’est cette ambiance-là qu’on a voulu garder.
Comment garder une ambiance francophone dans le cadre du genre quand on voit qu’il faut plus régulièrement exporter ces productions pour leur assurer une certaine visibilité ?
Alexandre Bustillo : En assumant justement ce côté francophone. En ce qui concerne « Le mangeur d’âmes », on s’est inscrit dans une sorte de réalité. À titre d’exemple, sur notre troisième film, « Aux yeux des vivants », qui était censé se passer en France, on fantasmait même nos flics. L’estafette de flics, on l’avait construite nous-même car c’était impossible qu’une estafette de flics existe comme ça. Alors que là, on était plus ancré dans la réalité avec un vrai côté « police du terroir » mais comme celle dans les petits bleds. On a vraiment assumé nos racines en se dédouanant justement du côté un peu « cinéma américain » que pouvait avoir le film sans se soucier si cela sera facile à exporter après. C’est un côté aussi dépaysant pour les spectateurs étrangers, mine de rien, de voir un film qui n’essaie pas de singer le cinéma américain, même dans ses décors, ses protagonistes, leurs actions et leur métier. C’est vrai que sur le papier, la police municipale, ça ne fait pas rêver. Après, c’est aussi la réalité. On voulait donc l’assumer totalement en s’ancrant dans ce côté assez réaliste. Si on l’assume, ça passe. Alors que sur « Aux yeux des vivants », on voulait presque s’en dédouaner, faire une sorte de pays imaginaire, même si c’était la France, où les flics seraient à peu près comme chez nous mais plus cinématographiques.
C’est assez intéressant car j’avais envie de parler justement d’« Aux yeux des vivants ». Il y a un côté très Stephen King assez marqué. Je voulais en reparler car vous aviez dit en interview qu’une des bases du film était votre réaction au « manque de fantastique » dans « The Secret » de Pascal Laugier, sans être méchant avec le film qui est très bien, soit dit en passant.
Alexandre Bustillo : « Aux yeux des vivants », c’était tiré d’une idée qu’on avait eue avec Julien pour en faire un film américain, faire un épisode fictif de la jeunesse de Stephen King. On rêvait de faire un « Stand by me », qu’on adore, avec un Stephen King jeune en protagoniste. Il a 12 ans dans le Maine avec ses copains dans les années 50 et on suivait l’été où il se créait une passion pour l’horreur en vivant une aventure incroyable qui était globalement ce qu’on racontait dans le film. On comprenait après qu’il allait devenir écrivain suite à cet été où il allait bousculer de l’enfance à l’âge adulte. Ça ne s’est pas fait pour plein de raisons, comme le fait d’utiliser le nom de Stephen King, donc on l’a réécrit entre nous en le transposant totalement dans la France en oubliant un peu le côté Stephen King tout en gardant les racines de l’histoire. C’était totalement assumé en tout cas ce côté Stephen King, on est des fous de son travail. D’ailleurs, on rêverait d’avoir l’opportunité d’adapter un de ses écrits, ce qu’aucun français n’a fait. Après, c’était totalement un hommage pur et dur à lui.
Il y a aussi cet aspect de famille derrière, un côté familial perpétuellement brisé, comme dans tous vos autres films. À quel point était-ce important pour vous d’avoir comme moteurs narratifs ces traumas familiaux ?
Julien Maury : C’est marrant car on ne se pose pas la question en ces termes-là. Ça vient assez naturellement, ce n’est pas une obsession où on se dit qu’il faut une famille brisée dans notre film (rires).
Alexandre Bustillo : Le pire, c’est qu’on a toujours droit à une famille brisée ! Merde, tu as raison ! (rires)
Julien Maury : Après, je pense qu’instinctivement, c’est une thématique assez universelle. D’avoir un postulat de départ sur un dysfonctionnement familial nous amène plus facilement à avoir des personnages un peu plus intéressants, avec des failles et des blessures. Ça nous facilite aussi la tâche pour amener le film vers des univers qui nous touchent, où la mélancolie est assez présente. On parlait de Stephen King, c’est beaucoup le cas dans sa littérature. Nous, c’est en tout cas un sentiment qu’on aime travailler. Là, tu mets le doigt dessus et c’est ce qui est intéressant, de discuter avec des gens qui ont du recul par rapport à nos films, ce qui n’est pas du tout notre cas. Ça nous permet de mettre le doigt sur des correspondances, des ponts entre nos films. Même s’ils nous paraissent très cohérents, parfois on ne sait pas expliquer pourquoi. C’est intéressant mais ça ne part pas d’un trauma qu’on a pu avoir et qui ressort systématiquement puisque là, c’est un scénario qui nous a été apporté. Après, c’est peut-être pour ça qu’on va vers ce genre d’histoires. En tout cas, je pense que, pour nous, c’est une manière d’avoir des personnages plus ambigus. C’est-à-dire que ce qui nous intéresse souvent chez nos personnages, c’est la zone grise, ne pas avoir des personnages trop manichéens jusqu’au « Mangeur d’âmes ». Tu peux regarder : depuis « À l’intérieur », on a souvent des personnages qui sont peu aimables au début des histoires et demandent aux spectateurs un effort. Très souvent, dans les films, on a un personnage central qui suscite l’empathie immédiate. Il faut que le spectateur soit avec le protagoniste pour s’impliquer émotionnellement. Nous, très souvent, on a développé des personnages un peu plus durs d’approche, détestables ou en tout cas pas très aimables avec leur environnement mais qu’on apprend à aimer par contre au fur et à mesure de l’histoire. On crée l’empathie de façon un petit peu plus organique, on apprend à connaître leurs faiblesses, leurs failles, et comprendre pourquoi ils sont durs, un peu revêches et fermés aux autres. Pour nous, en tout cas, ça les rend encore plus attachants. Au moment où tu comprends leurs traumas, tu es encore plus dans leur côté.
Merci à l’équipe du BIFFF pour cet entretien.