Requiem for a dream fut pour moi un véritable choc cinématographique. Je me souviens très bien l’avoir vu en seconde partie de soirée en 2001 après un Le Centre du Monde plus languissant, de Wayne Wang avec Peter Sarsgaard et Molly Parker. Rien ne me préparait à un tel cataclysme, autant cinématographique que philosophique. En adaptant à la lettre l’ouvrage culte d’Hubert Selby Jr Retour à Brooklyn (Requiem for a dream en VO), le réalisateur réalisait un véritable tour de force. Accepter de descendre à la mine pour sonder les tréfonds obscurs de l’âme humaine. Les rêves des 4 personnages se brisent sur le parpaing de la réalité et leur souffrance sera sans limite. Filmé sans complaisance ni humanité par un réalisateur qui accepte leur souffrance et la scénarise. Pour des cauchemars incrustés à jamais dans l’esprit des spectateurs.

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Un deuxième film cataclysmique

C’est un Darren Aronofsky tout auréolé du succès critique de son premier film Pi sorti en 1998 (l’histoire d’un mathématicien qui a mal à la tête, comme aime à le souligner mon beau-frère caustique) qui s’attaque à l’adaptation du roman d’un des plus grands auteurs américains contemporains, Hubert Selby Jr. Pour qui a lu Le Démon, Le Saule et surtout Last Exit to Brooklyn, il n’y a aucun doute à avoir. L’auteur aime à placer ses héros face à leurs malaises intérieurs et à la cruauté du monde. Les couleurs de l’existence sont grises et noires, la joie d’un instant cache la dégringolade du suivant, l’argent manque inéluctablement et le misérabilisme est permanent. Le réalisateur devait avoir un sens de l’humour bien particulier en demandant à ses acteurs d’interpréter les 4 héros malheureux d’une histoire triste comme la nuit.

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4 interminables chutes en enfer

Harry Goldfarb (Jared Leto) et Tyrone C. Love (Marlon Wayans) vivent de petits trafics et se défoncent quotidiennement. Pérpetuellement à cours d’argent, il décident de frapper un grand coup en acquérant une grosse quantité de drogue pour la revendre et faire la culbute. Harry a des rêves, il veut être heureux avec Marion Silver (Jennifer Connely), sa charmante petite amie et sortir enfin de la panade. Tandis que son fils trafique, Sara Goldfarb (Elen Burstyn) préfère détourner les yeux. Lorsqu’elle apprend qu’elle va participer à son show télé préféré. Elle débute un régime draconien pour enfin pouvoir enfiler la robe rouge de ses rêves. 4 personnages avec des rêves, 4 existences qui peuvent s’éclairer si le destin leur est un tant soit peu favorable pour 4 désillusions…

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Le choix de l’adaptation pure et dure

Autant le dire tout de suite, la dernière demi-heure du film est juste insoutenable. Tandis que les rêves s’effondrent, Hubert Selby Jr prend ses héros par la couenne et plonge leurs têtes dans la boue la plus putride. Si avoir des rêves fait partie du quotidien de chacun, l’écrivain indique qu’un rêve n’est rien sans les actions appropriées pour les réaliser. En gros, rien ne tombe tout cru dans le bec sans le labeur qui va avec. Il aurait pu se contenter de bêtes désenchantements tristes, il préfère faire payer ses personnages pour leur outrecuidance. Sans être des êtres foncièrement mauvais, les héros ne savent pas se faire réaliser leur destin. Par paresse ou courte vue, ils tentent d’accéder à leurs rêves via des raccourcis qu’ils estiment préférables à des investissements couteux en temps et en argent. Ils méprisent la valeur travail, ce que la société va leur faire chèrement payer. Les dieux antiques sont remplacés par les garde fous capitalistes… et ils seront sans pitié.

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Une transposition moderne des mythes classiques

Comme une punition divine, les 4 personnages vont payer. Comme un Prométhée au foie éternellement dévoré par un aigle pour avoir voulu dérober le feu aux dieux, un Jésus crucifié sur la croix, un Sisyphe condamné à pousser la même pierre pour la voir retomber du haut de la montagne, chacun va connaitre son chemin de croix. Les héros sont tragiques au pur sens du terme. La fatalité est indissociable de leur destin. Ils commettent tous la faute tragique pour un dénouement à la hauteur du courroux du dieu dollar. Les deux premiers tiers du film les voient vivre dans l’illusion de la réussite. Sourires, rires, divertissement, les héros sont dupes, en toute bonne foi. Ils sont incapables de s’élever et de prendre leur destin en main. Il attendent un petit coup de pouce pour réussir. De coup de pouce, il n’en sera pas question, bien au contraire. Les dieux n’aident que les héros qui en sont dignes. Ces Thésée, Hercule, Persée capables de renverser des montagnes par la force de leur volonté.

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Du rêve au cauchemar

Chacun des 4 dénouements rapproche les mythes américains des pires cauchemars humains (Attention Spoilers). La vieille dame rêvait d’apparaitre dans toute sa splendeur à la télévision, dans ses plus beaux atours, rajeunie et comme ressuscitée. Elle finira démente et elecrochoquée. Ignorant ses propos confus, le personnel médical se substitue aux dieux pour la faire s’écrouler mentalement. En proie aux hallucinations suite à l’ingestion forcenée de pilules amaigrissantes, elle perd la raison. Un premier mythe américain s’écroule, la société ne vous veut pas du bien et le système de santé peut autant vous guérir que vous faire sombrer. La petite amie rêvait de longue vie d’amour avec son junkie de petit ami, elle se prostituera pour obtenir sa dose. En perdant sa dignité et en s’offrant à un quorum de vieux libidineux, elle perd son humanité en succombant au plaisir des paradis artificiels, forcément illusoires. Quant au duo de junkies, il connaitra l’enfer de la prison et la mutilation pour l’un d’eux.

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Un film jusque boutiste

La mise en scène de Darren Aronofsky alterne entre effets visuels clinquants (cette fameuse prise de shoot, de la préparation de la substance à l’oeil qui se dilate) et scènes d’un banal digne des séries américaines. Il inscrit la tragédie dans le réel et ne se permet l’apport de la technologie que pour les scènes de drogue ou les chutes finales. Pour un effet boeuf sur le spectateur. Ce dernier aimerait crier que cela cesse, que les calvaires s’achèvent enfin. Mais rien n’arrête la fatalité tragique du destin. L’ajout de bruits crissants et irritants fonctionne à merveille en parallèle de la musique du Kronos Quartet, qui joue l’irrémédiabilité du destin. Violons et cordes interprètent le caractère inéluctable de la fatalité. Les angles de vue innovants du réalisateur approfondissent la narration.

Des héros sacrifiés sur l’autel de la raison commune

Martyrisés, humiliés, abandonnés, les 4 héros voient leurs rêves de réussite se changer en cauchemar. Le film ne cache rien et si le réalisateur semble se délecter de ses parcours tortueux, ils ne fait qu’adapter fidèlement les visions apocalyptiques de l’auteur. Si fidèlement qu’il aboutit à un film inoubliable, que je ne recommanderais pas forcément à tout le monde. Si les films d’horreurs proposent des tueurs fantasmés à la cruauté sans limite avec du gore superfétatoire, ce Requiem for a dream s’inscrit dans le réel le plus morbide. Bien plus terrifiant que n’importe quelle vision de serial killer, le film propose une descente en enfer plus que pesante. Horrible.

Des acteurs de feu

Beaucoup ne connaissaient pas Jared Leto avant ce film. Si son apparition en blond peroxydé dans Fight Club en avait marqué beaucoup en 1999, c’est dans ce film qu’il explosera vraiment. Marlon Wayans était marqué du sceau Scary Movie, trublion comique, farceur impénitent, il change ici de registre pour une performance grandiose. Jennifer Connelly a été l’héroïne de mon enfance avec son apparition remarquée dans Laryrinth aux côtés du regretté David Bowie. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle change ici radicalement de registre. Quant à Elen Burstyn, elle méritait au moins l’Oscar pour sa prestation de femme martyrisée. Mais les américains n’ont pas voulu se confronter à cette vision apocalyptique de la société de consommation et de divertissement.

Beaucoup à dire sur Requiem for a dream… un film radical qui ne peut pas laisser indifférent. Réalisation grandiose, musique inoubliable, acteurs manipulés avec délectation par un réalisateur vicieux, le film multiplie les qualités. Maintenant, si cet article ne vous a pas dégouté du film, vous pouvez tenter un visionnage. Je vous aurai prévenu…