Dès le début du film, le contexte est posé. Un écran noir avec une musique sépulcrale suivie d’une scène familiale bucolique. Une famille se repose le long d’une rivière, le soleil brille, tout semble normal. Ce que les images montrent, le son le nie. Des bruits de détonation, des cris épars entendus dans le lointain, les spectateurs le savent bien, le film se déroule à Auschwitz, là où vit la gentille petite famille du chef de camp, tout ou presque de la grande histoire se déroule en arrière plan. La solution finale n’est qu’un détail pour une femme comblée et des enfants épanouis. Sauf que le détail est d’importance.
Un film sur la force du déni
La zone d’intérêt est le nom du roman de Martin Amis sorti en 2014. L’expression désigne le périmètre de 40 kilomètres carrés entourant le camp de concentration d’Auschwitz. Le réalisateur Jonathan Glazer adapte le roman en gardant son ton volontairement rempli d’euphémisme létal, englobant autant la zone géographique que la zone psychique des habitants de la zone. Le film permet d’observer la vie quotidienne des habitants, ils discutent, se restaurent, dorment dans une langueur plaisante alors qu’à proximité d’eux, par delà les murs et les barbelés, des centaines de milliers d’autres humains se font gazer et éliminer dans un plan soigneusement préparé et agréé par les hautes instances nazies. Le contraste est saisissant, le réalisateur aurait pu utiliser des images de caméra de surveillance si elles avaient existé en 1943. Le film rappelle évidemment un autre opus récent puissant sur cette sombre période du XXe siècle, Le Fils de Saul où un gardien juif déambule dans la pièce adjacente des douches où retentissent les bruits de coup sur les portes de ceux qui inhalent le gaz mortel et cherchent à obtenir de l’aide extérieure. La zone d’intérêt ne fait jamais dans l’empathie, les habitants de la zone récupèrent les manteaux de vison, les dents en or, ils savent parfaitement ce qui se joue et n’en font aucun cauchemar. Ils vivent dans leur zone de confort et rien en dehors ne peut les toucher. Par instinct de survie? Par embrigadement idéologique? Facile à comprendre, c’est un peu comme dormir bien au chaud chez soi quand d’autres doivent survivre dans le froid du dehors. Le réalisateur s’est documenté avant de réaliser son film, visitant notamment le Mémorial et le Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau. Il a ainsi pu retrouver des documents précis sur le commandant du camp Rudolf Höss, sa femme Hedwig et leurs enfants. Il s’est inspiré des photographies de la villa des Höss, notamment une avec Hedwig et ses enfants se tenant debout devant un toboggan en bois. Changement de décor pour Sandra Hüller après Anatomie d’une chute, elle interprète Hedwig, incarnant l’inhumain avec un calme ne laissant aucune place au doute, sûre de sa force et de sa légitimité. Les cadres parfaitement géométriques de la caméra sont parfaitement dénués d’émotion, ne générant ni empathie ni antipathie dans l’esprit des spectateurs, c’est chirurgical, aucune esthétique ne vient perturber un récit froid et objectif. Ce n’est que quand des images actuelles des valises empilées dans le musée sont montrées que les spectateurs prennent un grand shoot de réalité. Fini l’angélisme des Höss, bienvenue dans ce qu’étaient véritablement les camps de la mort.
The Zone of Interest a obtenu le Grand Prix au Festival de Cannes 2023. Le film est une expérience qui bouscule, scrupuleuse, détaillée, pour tout dire impressionnante.
Synopsis:
Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.