Les conflits armés sont un terrain idéal pour le cinéma. Quelle meilleure aire de jeu pour explorer les émotions les plus enfouies sous plusieurs couches de psyché humaine, consciente ou inconsciente? Dans des conditions extrêmes, les félures les plus dissimulées prennent vie et modifient les comportements d’êtres humains normaux confrontés à l’horreur. Deux conflits inondent d’images tortueuses les pupilles des spectateurs du monde entier: le Vietnam et l’Irak. Deux conflits absurdes, inhumains, aux victimes innombrables et aux impacts gigantesques. Des défaites pour nos amis les ricains…
Le Vietnam a inspiré au moins 10 films légendaires. Full Metal Jacket, The Deer Hunter (Voyage au bout de l’enfer), Platoon, Johnny got his gun (à moins que ce ne soit la Corée), Mash, Outrages, Rambo, Good morning Vietnam, Né un 4 juillet, Apocalypse now. Voilà, 10, et j’en oublie. Des films qui ne se contentent pas d’aborder le conflit dans sa cruauté quotidienne et ses conséquences sur les populations et les soldats, ils évoquent également des parcours individuels faits de cassures et d’évènements dramatiques. Le choix de se comporter en enflure ou en brave pion est une décision individuelle, l’ensemble de ces films conclue sur un simple constat: la guerre est irrémédiablement moche, il n’y a pas de belle guerre. Qu’il est loin l’esprit du Jour le plus long…
Je garde à l’esprit le personnage de Christopher Walken dans The Deer Hunter. Cabossé par son expérience du conflit vietnamien, sa logique personnelle fait un twist complet, ses repères sont anéantis, il tombe dans la folie. Ce regard sur la photo ci-jointe est empreint de détermination et de vide. Le pour et le contre n’existent plus, il n’écoute pas son ami joué par Robert de Niro l’enjoignant de cesser ce jeu stupide, une roulette russe qui pourrait l’emporter par mégarde. Il est parti, Christopher. Son esprit est resté prostré quelque part dans la jungle. Exemple romanesque des impacts du conflit, illustrant parfaitement le voyage intérieur que doit réaliser chaque protagoniste.
Il est aussi facile de forcer le trait et de tomber dans la caricature. C’est le sergent instructeur de Full Metal Jacket qui s’acharne sur les blancs becs pour les endurcir avant leur passage sur le terrain. Lui sait qu’il leur rend service. Il leur fait oublier la peur, la gentillesse, la naiveté. Il les prépare, pour le plus grand plaisir des spectateurs. Mais ne soyons pas naifs: lui sait que la plupart mourreront, une quelconque pitié pourrait les faire tuer, il s’acharne tout autant qu’il souhaite tous les sauver. C’est ça la guerre, un moment pénible.
Plus près de nous, il y a la guerre en Irak. Ou plutôt les guerres. Pour déloger un dictateur, puis pour faire régner l’ordre, puis pour que tout ne pète pas à la gueule. Le type même de la guerre poudrière. D’ailleurs, les boys partis, rien n’est résolu, voire ça empire. Les points de vue sont critiques, cérébraux. Comment a t on pu en arriver là? Mais où sont cachées les armes chimiques de Saddam Hussein?
Là aussi, abondance de films. Les rois du désert, Jarhead, Démineurs, American Sniper, Green zone. Et je ne parle même pas de l’Afghanistan. Mêmes erreurs, mêmes résultats. Là où le Vietnam ouvrait la voie à des récits hallucinés, avec des personnages barrés aux esprits fracassés, l’Irak montre la souricière, la peur, le traquenard. Toujours une population entière levée contre l’envahisseur, mais les soldats ne sont plus en plein trip. Ils ressentent la chaleur, le sable, la poussière. Leurs uniformes sont des étaus qui les étouffent.
Derrière tout ça, c’est sous-entendu, il y a toujours le complexe militaro-industriel. On m’en parlait déjà au collège pour expliquer la première guerre mondiale. Les soldats sont de la chaire à canon, les enjeux géopolitiques ne sont que des prétextes sans vraie valeur marchande. Les populations sont des victimes collatérales. Le récent Good Kill montre même que des ennemis peuvent être neutralisés à distance, sans contact, par la grâce de drones télécommandés. Comme dans un jeu vidéo.
Au final, la liste des films de guerre au Vietnam ou en Irak contient de vrais bijoux. J’avoue une tendresse particulière pour Jarhead concernant l’Irak et Apocalypse Now concernant le Vietnam. Le premier se fracasse contre le parpaing de la réalité, le second vogue dans des volutes hallucinées. Et les réalisateurs enfoncent le clou. La guerre n’est pas un jeu et ne peut pas laisser indifférent. Restent des films, importants, parfois funs, toujours violents. La guerre est un terreau fertile pour édifier des monuments cinématographiques.