Aujourd’hui sort sur les écrans A Beautiful Day, le nouveau film de Lynne Ramsay, avec Joaquin Phoenix. Les premières images annonçaient un film pariculièrement sombre et violent. Ce dernier étant habitué à des rôles hors normes, la question était de savoir s’il serait à la hauteur. La réponse est un grand oui !

A Beautiful Day

A Beautiful Day

Témoin de la violence

Le ton est donné dès les premières images du film. La violence est désignée comme l’un des personnages principaux, grâce aux montage. Les plans se succèdent, rapidement, sans que l’on voit le visage de Joe, l’autre personnage principal. Cette violence personnifiée en un homme ne la rend que plus effrayante. Avis aux lecteurs, celles et ceux qui ont lu le synopsis peuvent penser que les « méchants » de l’histoire sont ceux qui ont enlevé la fille du gouverneur, que Joe part sauver. Détrompez-vous, ce sont des personnages secondaires. La confrontation interne entre Joe et la violence s’étend sur toute la durée du film, sans que ça soit monotone. Ce n’est jamais exagéré, et la violence externe arrive toujours à point nommé.

Le spectateur est également acteur du film, il est directement impliqué comme témoin de la violence, de façon un peu voyeuriste, sans qu’il ne puisse rien faire. Le plus bel exemple est très certainement cette scène filmée par des caméras de surveillance, où la violence est à la fois banalisée et rendue extraordianire, comme si c’était un triste spectacle du quotidien où l’ont vit de façon inhabituelle la rage du personnage. Sa peur constante de faire du mal aux autres se ressent dans son quotidien, dans le paysage où il vit. La photographie le place directement au coeur de l’image, à la fois maître et victime de lui-même, où son environnement n’est qu’obscurité, où la lumière est pâle.

Une mise en scène de la solitude

En lien avec l’action du spectateur, le film nous montre toute l’étendue de la solitude du personnage, de la 1ère à la dernière minute. C’est un homme névrosé, instable psychologiquement, cela se ressent dans l’écriture, dans la musique, dans chaque plan. Le scénario fait le choix de conclure le synopsis au milieu du film, mais l’intérêt se trouve dans la suite, là où l’on voit les séquelles de ce qui s’est passé. Malgré la solitude et la violence pouvant rendre ce personnage antipathique, on prend le temps de s’attacher à lui, mais aussi en avoir peur, se demandant jusqu’où peut l’emmener sa névrose. On retiendra cette scène où il prend la main de celui qui finira par mourir de la blessure de Joe, et où ils chantent tous les 2.

En guise de remerciement, pour ne pas avoir fait souffrir la personne que Joe aimait le plus en choisissant de la tuer. Par ailleurs, la scène suivante, à savoir l’enterrement de cette personne, est sans aucun doute le pilier central du film. Moment tout en poésie, ayant un certain lyrisme dans les images et dans la musique. On assiste là à un enterrement peu habituel : l’homme emmène la personne au fond d’un lac, comme pour marquer un retour au commencement, où le foetus vit dans le liquide du ventre de sa mère. C’est à la fois une chute, dans les profondeurs du lac, où la personne va reposer, et une renaissance, dans la tentative de Joe de remonter à la surface du lac. Parlons un peu de la musique, qui est elle aussi actrice du film. Elle arrive toujours à point nommé, elle est l’extériorisation de l’angoisse du personnage. Pour comparer avec un autre film sorti cette année, elle rappelle un peu l’utilisation des bruitages dans Dunkerque, l’ancrage dans la réalité. C’est une musique concrète, c’est ce qu’entend le personnage, c’est ce que nous entendons. On vit l’angoisse du personnage et la musique à la fois, on est placé au coeur de l’action encore une fois. L’utilisation de clusters et de musique concrète dans les scènes les plus dures à regarder peut paraître classique et sans originalité, mais elle a tout son intérêt, c’est la représentation d’une multitude de sentiments contrariés qui s’enchaînent. A contrario, l’utilisation de musique extérieure vient souligner la dualité du personnage. En témoigne la scène filmée par les caméras de surveillance (encore une fois), où la musique pop vient atténuer (ou renforcer) la douceur et la violence du personnage. Toujours en parallèle, mais on peut très facilement faire le lien avec les musiques utilisées par Quentin Tarantino, mais en bien plus sombre ici.

Un point légèrement regrettable est l’utilisation d’une musique de synthwave au début, ce qui donne un effet de copié-collé avec la scène d’intro de Drive de Nicolas Winding Refn. C’est d’ailleurs ce que disait la promotion : « Entre Taxi Driver et Drive ». Quant aux plans et au montage, même en compagnie de personnages secondaires, parfois hors-champs, c’est un homme qui ne peut plus compter que sur lui-même, qui n’a plus rien à perdre. L’entrée en matière, où on le voit se promenant seul dans la rue, de dos, nous montre le personnage tel qu’il doit être vu. Pareillement, dans la séquence suivante, seul dans la voiture, les lumières de fond l’enveloppent et le rejettent à le fois, il baigne dans ces lumières chaudes que sont les éclairages de nuit, mais ce ne sont que de simples toiles de fond aussi, comme s’il sortait du tableau. La solitude peut aussi être présentée comme un personnage un peu ambivalent, on ne sait pas si elle est là pour aider Joe ou au contraire l’empêcher de vivre tel qu’il le voudrait.

Un ange de la mort

En dehors de la solitude ou de la violence, on peut déceler tout au long du film l’apparation progressive d’une autre personnification : celle de la mort. Pas forcément évidente au début, elle prend de l’ampleur tout au long du film, jusqu’à la scène finale. Le personnage ne parle pas (ou peu), c’est quelqu’un qui est mort de l’intérieur. L’exemple choisi est une scène quasiment sans dialogues, où Joe vient récupérer son dû auprès de celui qui le paie. Le silence est oppressant, les visages sont pâles, à la fois expressifs et inexpressifs.

C’est un homme qui n’a plus de sentiments à l’intérieur mais qui veut toujours en avoir en apparence. Certaines visions du réel semblent irréelles (toujours grâce à la musique et au montage). Les scènes où il souhaite se donner la mort démontrent à quel point il est torturé, entre sa tentative de rester debout, pour accomplir sa mission, et se laisser aller à la déchéance. Le point culminant est la scène finale, où l’hallucination a tout ce qu’il y a de plus réel, alors que c’était juste un rêve. Le moment où l’on voit sa tête se relever, lorsqu’il sort de son sommeil, représente à elle seule l’objectif de Joe : se relever, tout simplement.

Conclusion

Une odyssée entre ténèbres et lumières, voilà le ressenti que l’on peut se faire à la sortie du film. La densité de ce film repose dans un tout, où tout est fait pour que le spectateur soit un compagnon de voyage de Joe, du début à la fin. On pourra reprocher quelques longueurs, mais jamais perturbantes ou ennuyantes. Malgré la noirceur, on se dit que le film a été, grâce à son final, « une belle journée ».