Parce que rien ne vaut en été un bon blockbuster des années 80, revenons en duo sur Les aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin de John Carpenter.
Tout commence en chemin connu : un héros incarné par l’un des rois de l’action, Kurt Russell, des compagnons à l’écriture que l’on imagine prévisible, … Bref, on s’installe confortablement dans son siège, attendant avec impatience le spectacle quand le film retourne nos attentes en nous balançant, comme nos protagonistes, en terrain inconnu. Il suffit de voir les réactions de Jack pour comprendre que nous ne serons pas dans l’actioner lambda mais dans un univers au fantastique largement assumé. Comme Jack, nous sommes complètement déstabilisés, mais n’est-ce pas ce pourquoi on regarde un film : être déstabilisé, ne pas prévoir les événements à venir ?
Carpenter se réapproprie les codes du cinéma asiatique avec amour, loin de l’opportunisme financier qui mine certains films à gros budgets (*tousse* Transformers 4 *tousse*). Tout son aspect mythologique est dépeint avec un grand respect de cette culture, tout en la transposant dans un spectacle destiné à tous les publics. Il est amusant dès lors de constater que le repère du spectateur, Jack Burton, soit un personnage assez grossier et rude aux aptitudes minimes mais directement icônisé par Russell qui livre une interprétation pleine de second degré mais également d’amour pous son personnage.
Certes, quelques effets spéciaux ont moyennement vieilli mais cela ne dérange en rien le visionnage d’une bande remplie d’autodérision mais également d’amour pour ses inspirations, son support mais aussi son public. Loin du spectacle lambda, Big trouble in little China propose ainsi un spectacle d’aventures imprévisibles qui ravira tout spectateur qui cherche à se rappeler ce qu’étaient les films de divertissement popcorn généreux mais loin d’être infantilisant ou soumis à une charte financière. Le métrage connaîtra d’ailleurs un gros échec au box-office avant de voir sa réputation croître lors de sa sortie en vidéo. Comme quoi, certaines œuvres ont besoin de temps pour être appréciées…
Faye Fanel, co créatrice de L’amicale du geek, animatrice de Geeks en série et membre de l’équipe de ComicsDiscovery
John Carpenter, un nom qui me donne la chair de poule, un nom quasi mystique qui a marqué mon esprit d’une tonne d’images cultes. Lorsque je l’entends, je vois apparaître Snake Plissken et son charisme fou, et surtout toute une galerie de créatures plus folles les unes que les autres avec en tête : The Thing, une vraie prouesse technique.
Carpenter, ce sont aussi des bandes originales qui restent gravées en vous et qui commencent à se faire entendre dès que l’on évoque le titre d’un film.
Si je vous dis Halloween, je sais que vous entendrez immédiatement le thème.
Pour moi c’est un conteur de génie capable de vous divertir avec intelligence mais aussi de vous amener à réfléchir sur des sujets graves sans même vous en rendre compte.
Quand Liam m’a proposé de parler avec lui d’un film que j’avais aimé, j’ai de suite pensé à John Carpenter car il fait partie de ces cinéastes qui m’ont appris qu’avec de la passion, on pouvait faire de grandes choses.
J’aurais pu choisir de partager avec vous mon sentiment sur The Thing, mon film préféré du maître, mais c’est des Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin, premier film que j’ai vu de Carpenter, dont je vais vous parler.
J’espère vous donner envie de voir ou de revoir ce film souvent mal compris mais qui a su trouver son public au fil des années.
Jack Burton, un film trop en avance sur son temps ?
En 1986, après des succès publics et critiques, La Fox finance le nouveau projet de John Carpenter : Big Trouble in Little China, connu en France sous le nom de Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin.
Il s’agit d’un gros délire de la part de son réalisateur qui retrouve ici un de ses acteurs fétiches, Kurt Russell, pour nous conter une histoire de demoiselle en détresse sous fond d’action, de kung fu et de comédie notamment.
Si ce mélange de genres n’a rien d’exceptionnel à notre époque, dans les années 80 ce projet fut qualifié de farfelu par ses producteurs.
Comme on l’apprend dans le documentaire Big John, La Fox, ne comprenant pas où voulait en venir le réalisateur, dépêcha sur le tournage les fameux chiens de garde toujours là pour demander à couper une scène ou bien encore un changement dans le script… bref, vous connaissez le manège.
Cette expérience fut très dure pour Carpenter qui, lors de la sortie du film, fit face à de mauvaises critiques et un flop au box-office pour couronner le tout. Il décida de s’éloigner des grands studios afin d’être libre de ses actes. La suite sera l’excellent Prince des ténèbres, une autre perle que je vous conseille également.
Ce film est-il aussi raté que le studio, les critiques et le public de l’époque le laissaient entendre ? Vous vous en doutez, pour moi la réponse est non. Le film est juste arrivé trop tôt sur les écrans. En 86, les histoires qui attiraient le public étaient du genre Top Gun ou bien encore Alien, alors forcément l’histoire d’un camionneur tendance boulet qui doit aider son ami à sauver sa fiancée des griffes d’un vieux sorcier chinois, tout ça sous fond de guerre entre gangs dans Chinatown, ça avait de quoi déstabiliser.
Jack Burton est un film fou qui transpire la passion et le plaisir pris par son réalisateur et son équipe. C’est fun, frais et bourré de bonnes idées. Il est à la fois en avance sur son époque, mais aussi ancré dans les années 80 grâce à son esthétique très vidéo clip avec l’utilisation de brouillard et de lumière flashy.
Jack Burton, c’est comme le bon vin : il a besoin de prendre de l’âge pour que le public puisse prendre toute la mesure de son intérêt.
Mais pourquoi c’est aussi bien ?
Comme je vous l’expliquais plus tôt, le film est un vrai mélange : on a de la comédie, de l’action, de la sorcellerie, des créatures, des scènes d’arts martiaux, des hommages au western, etc.
Tout ceci pourrait paraître totalement indigeste et n’avoir ni queue ni tête, mais c’est faux, tout s’imbrique parfaitement, représentant l’illustration de l’esprit d’un passionné.
Carpenter a réussi à faire la synthèse des films vus dans son enfance et durant ses études. Il ne les ressort pas juste bêtement pour montrer qu’il a de la technique ou de la culture, non, ici ses références ont été digérées et font partie intégrante de l’imaginaire et du style du réalisateur.
A l’image d’un Assaut rendant hommage au western à la John Wayne avec ce commissariat attaqué tel un Fort-Alamo, Carpenter est habitué à utiliser des références au cinéma ainsi qu’à la pop culture comme outil narratif.
Jack Burton, c’est l’envie d’un cinéaste de sortir d’un état de frustration, de se retrouver lui et son univers après avoir dû faire un film de commande comme Christine et un film sans grande ambition, Starman, comme pénitence pour avoir échoué à imposer au box Office The Thing.
Avec ce film, Carpenter marquait donc sa rébellion et son désir de ne plus laisser son inspiration être contrôlée par un studio dont le seul intérêt est l’argent qu’il pourra tirer de lui.
Il s’amuse sur ce film et cela se ressent dans chaque plan et dans chaque décision.
Tout d’abord dans le personnage de Jack, interprété par Kurt Russell, la Grande Star. Habituellement, lorsqu’une affiche impose un nom dans un film d’action, on s’attend à découvrir un héros à la Rambo, un homme badass qui ne craint rien, le tout dans un look qui dégage un charisme fou par tous les pores.
Non, ici notre personnage est un camionneur lourd et un peu idiot qui gaffe toutes les 5 minutes. C’est un peu le boulet qui, lorsqu’il réussit une action spectaculaire, ne le fait pas exprès. En plus, pour rajouter encore au palmarès de cet antihéros, il a un look très marqué années 80 : pantalon moulant, bottes, le brushing donnant un joli effet mulet, sans oublier le marcel, l’indispensable dans la panoplie de l’homme d’action qui finira d’être popularisé en 88 avec la sortie de Die Hard.
Le vrai héros du film est celui que généralement l’on qualifie de second rôle, l’acteur inconnu qui doit mettre en valeur le grand nom. Ici c’est donc l’inverse ! Kurt Russell est au service de Dennis Dun dans le rôle de Wang Chi, le jeune premier qui doit sauver sa fiancée enlevée par un sorcier désirant l’utiliser dans un rituel.
On découvre un héros noble qui accomplit sa quête contre le mal guidé par le pouvoir de l’amour.
Une histoire qui pourrait sortir tout droit d’une légende asiatique ou de ces films asiatiques qui mélangent arts martiaux et légendes, à l’image de l’œuvre de Tsui Hark. Dennis Dun est très efficace dans les scènes d’action et son duo avec Russell fonctionne très bien, il crève l’écran et c’est bien dommage qu’il n’ait pas fait une plus grande carrière, il l’aurait mérité.
Comme nous l’avons dit précédemment, le film, par sa fusion des genres, est un vrai bouleversement des codes du film d’action et d’aventure. Ce type de film est habituellement assez sérieux, avec un accent mis sur les scènes d’action toujours dans la surenchère. Ici on rit mais pas seulement, le film a beaucoup de moments marquants, comme lorsque Jack et Wang se retrouvent en plein milieu d’un combat entre deux gangs. C’est filmé comme une scène de bataille et nos deux héros nous donnent ainsi l’impression d’être totalement déplacés, comme si le Doc et Marty arrivaient avec leur Delorean en pleine scène de guerre. Cela apporte d’abord de l’humour puis une tension, nous ne savons pas ce qui va arriver à nos deux héros, la scène est ensuite transformée en tout autre chose avec l’arrivée de mystérieux guerriers entourés de foudre avec un look qui a sûrement inspiré le personnage interprété par Christophe Lambert dans Mortal Kombat. Encore une fois, le public se retrouve déstabilisé, partagé entre tension, incompréhension ainsi qu’envie d’en apprendre plus.
Jack Burton, une inspiration ?
Réussir ce parfait mélange entre moments de bravoure (telle la scène où nos personnages tentent de fuir la flopée de sbires à leurs trousses), et moments de pure comédie (comme celle où Jack Burton essaye de tirer avec un fusil), n’est pas donné à tous. Pour l’époque, c’était assez inédit.
Ce film a marqué les esprits. Cela ne s’est peut-être pas fait sur le grand écran, mais le film, grâce à ses multiples diffusions à la télé et les vidéos-clubs, a marqué doucement les générations. Lorsque je vois les films d’Edgar Wright et ceux de James Gunn, je me dis que, forcément, ils doivent avoir un peu de Jack Burton en eux.
D’ailleurs, prenons en exemple les Gardiens de la Galaxie dont le volume 2 est sorti dernièrement. Le personnage de Starlord est un digne héritier de Jack, un peu égoïste, drôle, maladroit et homme d’action. Sans son équipe, il ne serait peut-être pas le héros que l’on aime tant. Ce n’est pas par hasard si l’acteur engagé dans le rôle de son père est Kurt Russell, comme une sorte d’hommage ultime à un film qui a tant apporté dans le monde du divertissement.
Au final, les Aventures de Jack Burton est un excellent divertissement mais surtout un film qui m’inspire et me donne envie d’affirmer ma personnalité dans un monde castrateur.
Pour survivre dans ce monde formaté, Carpenter a trouvé la meilleure solution : faire ce qui lui plaît et nous offrir ainsi une œuvre personnelle, une bouffée de fraîcheur en dehors des critères imposés par une société qui n’aime pas qu’on sorte du moule qu’elle nous a créé. Être soi-même est encore de nos jours un moyen de se rebeller.
John Carpenter est un génie, un artiste à part entière qui, en nous divertissant, véhicule des valeurs et des thématiques qui sont toujours d’actualité, devenant même ironiquement une normalisation dans le monde du cinéma.