Un chef-d’œuvre! Peut-être mon rôle préféré de Gene Hackman, un des meilleurs rôles de Willem Dafoe, Frances McDormand et Brad Dourif, et peut-être le meilleur film d’Alan Parker (Quoique Midnight Express et Angel Heart tiennent bien la compétition).
L’étouffante moiteur du Sud
Au cinéma, le Sud des États-Unis est un décor assez spécial, souvent. Le plus souvent, il sert de décor pour le fantastique, via le genre du Southern Gothic, comme pour les films Tideland de Terry Gilliam et Big Fish de Tim Burton.
Ici, le Mississippi, au-delà du contexte socio-politique, plonge le film dans une atmosphère bien à lui, cette moiteur, cet « exotisme », on sent un je-ne-sais-quoi de particulier. Ce ne sont pas tous les polars qui se déroulent dans le Sud des États-Unis, et encore moins dans le Mississippi, alors un sujet comme celui-là fait que le film, intrinsèquement, est unique. Après tout, le contexte a son rôle à jouer. Cinématographiquement parlant, les plans sur les églises incendiées par le Ku Klux Klan et les croix en feu ne laissent pas indifférents.
La séquence d’ouverture: Un aperçu bref mais édifiant du contexte
1-Le plan d’ouverture
Ce petit plan-séquence, le tout premier plan du film, en moins d’une minute, nous donne le ton et le contexte du film, et ce sans avoir à recourir à une voix off ou une scène d’exposition. On a juste un plan fixe sur deux fontaines d’eau pour boire, l’une à gauche, réservée aux Blancs, qui semble neuve, grande et posée au sol et avec un robinet qu’on peut fermer, et l’autre à droite, réservée aux Noirs, avec un aspect vieillot, en céramique, on dirait presque un urinoir, et avec de l’eau qui coule en continu. Les deux fontaines sont séparées par un long conduit d’eau vertical au centre. Ce même conduit dessert différemment chacune des deux fontaines. Pour la fontaine de gauche, c’est une ligne directe qui la relie au tuyau central. Pour celle de droite, le conduit fait un petit détour. D’ailleurs, la fontaine de gauche a également deux autres conduits, ce qui induit qu’il reçoit plus d’eau que la fontaine de droite.
Un homme blanc se désaltère dans la fontaine de gauche et se barre. Juste après, c’est un enfant noir qui boit dans la fontaine de droite et s’en va. On notera aussi que les deux personnages apparaissent seuls, l’un apparaissant après que l’autre est sorti du champ. En un plan fixe et avec une mise en scène on-ne-peut-plus simple, Alan Parker a résumé la ségrégation raciale.
ÇA, c’est du cinéma!
2-Le générique
Le générique d’ouverture du film, suivant le plan des fontaines, montre une église afro-américaine sombrant dans les flammes. Le plan commence par montrer des pierres tombales, avant de montrer par la suite l’église en feu. Ça illustre le caractère mortifère de la condition des Afro-Américains dans le Mississippi sous la menace du Ku Klux Klan à l’époque.
La scène finale: Walk on by Faith
Le film se termine sur cette magnifique chanson interprétée par Lannie McBride, Walk on by Faith, accompagnée d’une chorale composée de Noirs et de Blancs. Vous vous rendez compte? Pour la première fois, Noirs et Blancs sont réunis ensemble pour communier et chanter. Tandis qu’Alan Ward et Rupert Anderson repartent de leur côté, la chorale continue de chanter. Le plan final montre un panorama du cimetière et s’arrête sur une pierre tombale partiellement détruite. Le nom n’est plus. Seules subsistent l’année du décès et l’épitaphe « Not Forgotten ».
Que signifie cette scène ? Déjà, on peut supposer que, dans la mesure où c’est une tombe isolée et que la majorité des gens présents est composée de personnes de couleur, c’est la tombe de l’activiste assassiné noir.
C’est symbolique! Il s’agit tout de même de rendre justice aux Afro-Américains du Sud des États-Unis. On voit pour la première fois dans le film des Noirs et des Blancs réunis, en pleine période ségrégationniste. On les voit sur un pied d’égalité. Les gens n’ont plus peur. Les Afro-Américains n’ont plus peur du Klan, les Blancs envoient bouler la ségrégation et sa vacuité, ils ont carrément la foi. Après tout, c’est cet été de la liberté (Freedom Summer) qui a facilité la promulgation du Civil Rights Act de 1964 et du Voting Rights Act de 1965 qui a mis fin à toute discrimination raciale pour le droit de vote. Nous n’oublierons pas l’année 1964.
Le gospel
Le film s’ouvre et se conclut sur du gospel. La première chanson, qu’on entend dès le tout début, est Take My Hand, Precious Lord de Mahalia Jackson, et la seconde, qu’on entend dès la scène finale, est, bah si vous êtes pas trop teubé, vous avez lu le chapitre précédent, Walk on by Faith, chanté par Lannie McBride et la chorale.
Le gospel est un genre musical qui trouve ses racines dans les chorales d’église (et qui inspirera beaucoup la musique soul, comme James Brown, Aretha Franklin et Chaka Khan), et par extension dans le christianisme, le mot en lui-même signifiant « évangile », et les Afro-Américains sont dans leur grande majorité chrétiens, notamment méthodistes. Ils vont très souvent à l’église, en général pour des messes de quatre heures, et ça chante.
C’est pour cette raison que le deuxième plan du film, dans le générique d’ouverture, montre une église en feu. Les églises étaient souvent dans le collimateur du Ku Klux Klan. Dans une autre scène, des fidèles sont embusqués à la sortie d’un sermon par les membres du Klan de la ville et se font lyncher, même un gosse se fait tabasser!
Pour en revenir au gospel, dans la mesure où c’est un genre musical chrétien, les paroles sont très marquées par la foi, la piété, Dieu et le Christ. D’une certaine façon, le fait d’entendre ces deux chansons de gospel, Take My Hand, Precious Lord et Walk on by Faith, illustre, en cette année 1964, la foi des Afro-Américains en un avenir meilleur, un avenir à l’image du rêve de Martin Luther King (Paix à son âme) et de son discours de Washington l’année précédente (c’était en 1963).
Ça fait écho à ce que je dis plus haut au sujet de la scène finale. En chantant Walk on by Faith, l’assemblée dans le cimetière a la foi.
Polémique: Un film de sauveur blanc?
À la sortie du film, Alan Parker s’est pris une avalanche de reproches de la part d’antiracistes. La raison: Les héros sont blancs et les Noirs sont représentés uniquement comme des victimes et des martyrs. Spike Lee, alors en pleine promotion de son long-métrage Do the Right Thing, dit avoir détesté le film, les familles des trois activistes ont renié le film (voire l’auraient taxé de film raciste, paraît-il), ainsi que la veuve de Martin Luther King, bien qu’elle ait reconnu qu’elle n’a pas regardé le film (Difficile de prendre cet avis au sérieux, suite à cet aveu, vous en conviendrez).
Les deux agents du FBI qui ont réellement enquêté sur cette affaire (Il y a bientôt 60 ans), John Proctor et Joseph Sullivan, étaient blancs. Alan Parker a créé spécialement pour le film le personnage de Monk, agent spécial du FBI afro-américain interprété par Badja Djola, qui capture et fait extorquer des aveux au maire Tilman, complice du Klan, joué par R. Lee Ermey.
Seulement 24 ans après les faits, quelqu’un a eu le cran de réaliser tout un film sur toute cette affaire, une affaire tellement sordide qu’elle a bouleversé toute l’Amérique du Nord et mis en lumière la complicité de l’autorité de tout un comté et de presque tout un État dans des meurtres, des lynchages et des attentats provoqués par une organisation tentaculaire aussi influente (à l’époque) et corruptrice qu’était le Ku Klux Klan!
Je dis bien à l’époque, parce qu’aujourd’hui, le Klan est complètement éparpillé et disparate, voire plus vraiment existant, ses membres ou sympathisants ayant fondé ou rejoint des groupuscules néonazis (The Knights of the Ku Klux Klan, White Power Skinheads, Aryan Nations, Knights of the White Camelia, et j’en passe), comme David Duke.
BREF! Il n’y a pas 36 films qui osent parler de la ségrégation raciale dans le Sud des USA et d’un racisme endémique dans un long-métrage, fait par un grand réalisateur (On parle du réalisateur de Midnight Express, The Wall et Angel Heart!), avec deux acteurs de renom (Willem Dafoe et surtout Gene Hackman, qui gagnera l’ours d’argent à la Berlinale en 1989 pour le rôle d’Anderson), et produit par un studio hollywoodien, c’est énorme! L’objectif n’est pas non plus de faire culpabiliser les Blancs, mais au moins de faire regarder l’histoire en face aux Américains, et d’adresser un plaidoyer contre le racisme au monde entier! Fustiger un film qui se donne à fond pour faire passer un message parce que, oh là là, les protagonistes sont des « sauveurs blancs », c’est de la chicanerie de bas étage!
La suite des faits réels: Edgar Ray Killen, le Kleagle
Définition: Le Kleagle est un officier du Ku Klux Klan dont le rôle est de recruter les nouveaux membres et de maintenir trois principes: le recrutement, le maintien du contrôle et la sauvegarde.
En 1998, soit 34 ans après les faits, Edgar Ray Killen, un pasteur très haut placé au sein du Ku Klux Klan et jusque-là pas inquiété, est mis en cause par un des sept condamnés de l’époque, ce qui a conduit à une réouverture du dossier. Les témoignages sont accablants et valent à Killen une inculpation avec un procès à la clef.
En 2005, soit 41 ans après les faits, Edgar Ray Killen est reconnu coupable d’avoir commandité chacun des trois meurtres et est condamné à 60 ans de prison (20 ans par meurtre), alors qu’il est âgé de 80 ans. Il décède en 2018, à l’âge de 92 ans.
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on ne le regrettera pas.
Conclusion
Sans faire un documentaire, mais avec tellement de précision, de minutie et d’exactitude sur base d’une affaire véridique liée à un épisode obscur des droits civiques, l’été de la liberté, Alan Parker, bien qu’anglais et blanc, met le public face à une page très sombre et sanglante de l’histoire du Sud des États-Unis, une page difficile à regarder en face et à lire.
Synopsis
Deux agents du FBI, Rupert Anderson et Alan Ward (Gene Hackman et Willem Dafoe), enquêtent sur le meurtre et la disparition de trois miliants des droits civiques, deux Blancs juifs et un Noir, dans un patelin du comté de Jessup, dans le Mississippi. Les deux agents fédéraux vont se frotter à la violence faite aux Afro-Américains et la corruption et la complicité des autorités locales avec le Ku Klux Klan dans cette affaire. Inspiré de faits réels.