Chronique : Dans « Mon crime », un personnage s’énervait lors d’un procès qu’un tribunal était transformé en scène de théâtre par l’accusée, introduisant une métaphore drôle dans le cadre de cette adaptation de François Ozon mais pourtant intéressante par le pouvoir des mots au sein du cadre judiciaire. Une affaire peut ainsi devenir la cour d’un combat verbal, rappelant le pouvoir de la parole ainsi que l’interrogation permanente sur le sens adopté par la personne l’exprimant et celle qui la reçoit. L’analogie peut paraître arbitraire mais elle nous semble pertinente concernant « Saint Omer », premier long-métrage de fiction d’Alice Diop, déjà active dans le documentaire.

On imagine à quel point cette expérience a pu lui être favorable au vu de sa mise en scène, appelant à faire respirer le verbe dans le cadre du tribunal. C’est là la grande force du film : sa réflexion sur l’expression mais surtout la perception du mot au travers d’une affaire qui ne peut que passionner par ce qu’elle raconte sur le regard envers la femme, encore plus quand elle ne correspond pas aux mœurs d’une France académique comme l’exprimera, avec une violence trop banalisée, un témoin durant le procès. Le mot est centre, vecteur d’une vérité et ce même lorsqu’il s’essaie au mensonge, et la réalisatrice capte cela avec une fausse discrétion qui ne fait qu’éclater encore son enjeu.

Alors la cour ne devient qu’une forme de théâtre en soi où tout est exprimé et ressenti, en particulier par le passionnant regard de Rama. C’est sa perception qui nous permet de développer notre propre questionnement, laissant le jugement de côté pour mieux tenter de comprendre, aller au-delà du geste et tenter de décrypter ce qui peut l’être, au sein d’un cadre qui renferme le corps mais laisse respirer le mot. Voilà une bien belle façon d’aborder la notion d’un verbal qui parasite bien trop souvent de nombreux longs-métrages par son omniprésence surexplicative. Ici, on parle beaucoup mais c’est au-delà du sens qu’il faut regarder, observer et espérer comprendre.

C’est donc un beau film que « Saint-Omer », appelant à l’interrogation et au jeu du mot pour bien analyser, dans ce cadre froid qu’est l’espace judiciaire, les notions que l’on rattache aux êtres présents, tout en sachant pertinemment que ce que l’on observe est institué et surobservé. C’est la pertinence du mot qui se dessine au sein de plans qui renferme des douleurs par la discrétion apparente d’une caméra pourtant passionnante dans ce qu’elle scrute d’infime.

Résumé : Rama, jeune romancière, assiste au procès de Laurence Coly à la cour d’assises de Saint-Omer. Cette dernière est accusée d’avoir tué sa fille de quinze mois en l’abandonnant à la marée montante sur une plage du nord de la France. Mais au cours du procès, la parole de l’accusée, l’écoute des témoignages font vaciller les certitudes de Rama et interrogent notre jugement.