Venu au festival de Gand pour présenter « Enzo le croco », qu’il a coréalisé avec son partenaire de toujours Will Speck, Josh Gordon nous a parlé de Shawn Mendes, de crocodiles et de musique, c’est-à-dire des termes que l’on ne pensait jamais mettre en commun dans un même film.
Quel est votre rapport avec les livres « Lyle, Lyle, Crocodile » ?
Will, mon partenaire de réalisation, et moi avons grandi avec ceux-ci, on les a toujours aimés et nous avions déjà discuté de comment on les adapterait. Nous avons chacun des enfants avec qui on a lu ces livres. C’était donc un projet qui nous était cher. Nous avons donc eu la chance d’obtenir les droits et d’avoir pu proposer le film à Sony, qui a accepté de nous suivre dans cette adaptation.
Comment est venue l’idée de faire du film une comédie musicale ?
C’est drôle en fait : dans le livre original, il y a une référence au fait qu’Enzo chante et qu’Hector, le personnage incarné par Javier Bardem, est un féru de chant et de danse. Donc on a pris ça et on est allé au bout de cette idée. Nous nous sommes dit que vu qu’Enzo ne parle pas, cela serait incroyable qu’il s’exprime par le biais de chansons. Tout cela nous a amenés à nous orienter vers une comédie musicale, tout en se sentant chanceux d’avoir Benj Pasek et Justin Paul pour écrire les chansons.
Justement, comment avez-vous travaillé avec eux, sachant que les chansons marquent toujours une forme de libération émotionnelle pour les personnages et sont donc centrales dans la narration ?
On savait que les chansons devaient être en effet excellentes, pas seulement mémorables et entraînantes. Comme vous l’avez dit, dans les comédies musicales, les personnages évoluent par le biais des chansons. Nous savions donc qu’il nous faudrait d’excellents collaborateurs. Heureusement, nous avons été très chanceux sur ce film car on a toujours eu droit à nos premiers choix à tous les niveaux, notamment avec Pasek et Paul. Évidemment, nous connaissions leur travail sur « La La Land », « The Greatest Showman » et « Dear Evan Hansen », mais ça a été incroyable d’avoir pu compter sur eux.
En ce sens, est-ce que Shawn Mendes était également votre premier choix pour incarner vocalement Enzo ?
Will et moi savions que nous voulions une voix extraordinaire pour le personnage, de sorte que l’on croie vraiment à son statut de prodige et de talent indéniable dès qu’il ouvrait la bouche. Nous savions également qu’il devait faire jeune. En tant que fan de la musique de Shawn, nous l’avons approché et avons été surpris de la façon dont il se sentait proche du personnage. Lors de notre première conversation, nous avions discuté de son sentiment d’être bizarre par rapport aux autres à certains moments ainsi que des quelques moments de trac intense qu’il a déjà connus avant de monter sur scène comme Enzo. Il nous a également parlé de la façon dont certains thèmes des livres l’ont touché, comme l’amour, l’acceptation de soi, ne pas avoir peur des autres et les aimer comme ils sont. Je pense qu’il s’est donc senti lié de façon profonde avec le contenu du film et c’est ce qu’on espère d’un acteur. On souhaite avoir quelqu’un qui se sente totalement connecté avec le contenu donc on a senti directement au premier entretien qu’il était la personne idéale pour ce rôle.
Comment avez-vous travaillé avec Javier Bardem son personnage ? On craint quelque chose de sur-joué mais cela cache une façade plus dramatique.
Une nouvelle fois, Javier était notre premier choix. Nous savions qu’il était aussi charmant que drôle. Il est évidemment connu pour ses rôles plus sérieux mais quand vous le rencontrez, c’est une personne extrêmement amusante. Nous trouvions cela cool de montrer une façade de lui qu’on ne voit pas régulièrement. Nous savions qu’il avait effectué des prestations dansantes et chantantes durant sa carrière mais ce n’est encore une fois pas une chose qui vient directement en tête quand on parle de Javier. Il a répété pendant plus de quatre mois et demi pour pouvoir effectuer ses numéros de manière convaincante et il est arrivé sur le plateau tout à fait préparé. Nous étions prêts à « tricher » si besoin en utilisant des doublures mais il a tout refusé. Nous avons ainsi trouvé en Javier un partenaire incroyable pour offrir ce personnage tel qu’on l’avait imaginé.
Le premier plan introduit d’ailleurs très bien son énergie, avec ce plan séquence dynamique qui le suit tout du long. Est-ce que le film a toujours été pensé avec cette ouverture ?
Oui, c’est quelque chose qui a été directement abordé pendant que nous préparions la production. Cela a été très dur à préparer car, comme vous le savez avec les plans séquences, le moindre détail peut les ruiner. Tout cela a en fait été tourné sur deux jours à différents endroits avant d’être rattaché numériquement. Cela a donc été très compliqué à mettre en place. Je pense même qu’on a passé plus de temps sur cette séquence que sur n’importe quelle autre.
Lyle est sur le fil du photoréalisme et du cartoonesque. Comment avez-vous envisagé ce personnage dans sa conception ?
Pour Will et moi, il était très important que ce personnage semble accessible, adorable et plein d’âme. Dans la vraie vie, les crocodiles sont plutôt inexpressifs et effrayants. Après avoir étudié des crocodiles pendant un mois ou deux, vous vous rendez compte qu’ils n’ont pas vraiment de muscles au visage et qu’ils ont de vrais yeux de prédateurs. Nous savions donc que nous devions trouver le bon équilibre, en sachant qu’on ne pourrait jamais aller dans le photoréalisme pur tout en faisant sentir qu’il était vraiment dans cet espace physiquement. Le faire prendre vie nous a pris au moins un an. Cela a été un très long processus de développement et ce que nous avons fini par décider, c’est que ses yeux avaient besoin d’être le plus expressifs possible. C’est par les yeux que l’on arrive à se connecter émotionnellement. La dernière chose que nous voulions était que les enfants aient peur de lui. C’était un long travail avec de nombreuses versions de lui avant que nous ayons pu nous fixer sur le choix idéal à nos yeux.
Vous coréalisez avec Will Speck depuis des années. Comment travaillez-vous ensemble et comment conservez-vous cette dynamique ?
Will et moi avons travaillé ensemble depuis le début de notre carrière. Nous avons commencé par écrire ensemble avant de se mettre à la réalisation, notamment avec des publicités. Nous avons travaillé sur de nombreux projets au fur et à mesure des années. Je pense que cela est lié à notre confiance l’un envers l’autre. Je suis enfant unique donc il est comme mon frère. Nous savons toujours que l’autre couvre nos arrières quoi qu’il arrive. Concernant la façon dont nous travaillons réellement sur le plateau, nous avons des intérêts différents durant la préparation de nos films. Will a commencé en tant qu’acteur, moi en tant que scénariste. Je me dirige plus vers le travail de caméra et ce qui en ressortira tandis que Will s’intéresse plus à la partie de design. Sur le plateau, nous collaborons ensemble et alternons les tâches, tandis qu’en préparation, on aime se concentrer sur différentes parties.
Aviez-vous des craintes sur les scènes chorégraphiées ?
C’est drôle car notre premier film, « Les rois du patin », était une forme de comédie musicale à sa manière, notamment dans la planification de ses numéros. Nous nous sommes également essayés à cet exercice par le biais de diverses publicités. Mais ici, c’était de loin le film musical le plus compliqué auquel nous nous sommes attaqués. Quand vous vous lancez dans un film de ce genre, il est important de travailler cet aspect 4 ou 5 mois avant le tournage. Tout était donc une question de planning et de répétitions. La chose la plus compliquée sur ce film était l’absence de notre élément principal, Lyle. Nous avons eu parfois besoin de prévisualisations sur ordinateur pour préparer certaines séquences, à l’instar du gros numéro de danse sur le toit. Nous savions qu’il fallait construire ce plateau pour que Lyle puisse y sauter, danser et faire toutes ces choses. Donc nous avons dû l’animer, pré-visualiser la scène et bâtir le décor pour bien répéter tout cela, ce qui fut un processus très compliqué.
En quoi la dynamique familiale et sociale était importante pour vous ?
C’est là toute la beauté du livre, cet agent de changement qui arrive dans cette famille et libère vraiment le potentiel de chacun. C’était le thème central de ce livre que l’on aime, se dire de ne pas avoir peur des gens ou des animaux par leur façon d’être vus et que si vous laissez les gens entrer dans votre vie, ils vous changeront d’une façon que vous ne pouvez pas imaginer. C’était un moteur essentiel dans notre film avec cette façon dont Enzo essaie de se connecter avec les gens et de faire ressortir le meilleur d’eux-mêmes.
Merci à Maxime Luypaert pour l’entretien.