Les multiples confinements que nous avons connus ces dernières années auront au moins eu cette vertu: c’est durant cette période compliquée pour tout le monde que Luc Mouret, auteur, metteur en scène et comédien improvisateur, a trouvé le temps d’écrire et de monter Système d’exploitation. Une tragi-comédie dystopique férocement d’actualité, à la fois drôle et anxiogène, que nous avons pu voir À la Folie Théâtre dans le 11ème arrondissement de Paris. La dernière représentation s’est tenue le 15 avril, espérons pourquoi pas une prolongation!

Une société dystopique déjà si tangible

Dans un futur proche (et à peine extrapolé) où les écrans et les programmes informatiques sont en train de noyer l’humanité, le mégalomane chef d’entreprise Midas est pratiquement tout puissant: sa société multinationale (sorte de synthèse monstrueuse des GAFAM) et ses nombreuses filiales contrôlent la plupart des secteurs économiques les plus stratégiques: banque, commerce en ligne, entreprises de livraison… Même la CAN (Caisse d’Allocation Nationale) est désormais privatisée et gérée à l’aide d’un système informatique kafkaïen mis au point par Midas. Un peu comme si Pôle Emploi ou la CAF passait chez Google ou Amazon

Dans l’une des agences de la CAN, des coups de feu retentissent. Cinq individus au bord de la rupture se trouvaient sur les lieux: Dédale, une cadre en quasi burn-out qui se débat quotidiennement avec son logiciel rigide et ses objectifs de rentabilité; Cassandre, une jeune lanceuse d’alerte écologiste que personne n’écoute jamais; Morphée, un chômeur insomniaque qui passe ses nuits à se perdre dans l’information permanente d’internet; Gaïa, une mère célibataire en plein surmenage qui se bat pour obtenir ses allocations et conserver la garde de ses enfants; et Hermès, un livreur de repas exploité qui se prend pour un grand entrepreneur indépendant. Qui a tiré? Que s’est-il passé exactement? Comment tout ce monde s’est-il retrouvé au même moment dans cette agence? L’intelligence artificielle Minotaure, fleuron du génie technologique de Midas, est chargée de l’enquête interne et de l’analyse des données…

Le divertissement au service de la réflexion

Système d’exploitation réussit le tour de force d’être souvent drôle alors même qu’il traite de la plupart des sujets les plus angoissants de notre époque: l’informatisation croissante et la violence psychologique qui peut en découler, l’omniprésence des écrans dans nos vies, la raréfaction des véritables rapports humains, le développement exponentiel de l’intelligence artificielle, le flot ininterrompu de l’information en temps réel, la déshumanisation du monde du travail, le démantèlement du service public, le déclassement dramatique de certaines professions, ou encore la crise écologique et la disparition des espèces. Revendiquant l’influence de Bertolt Brecht, la pièce fait le pari de chercher à amuser pour mieux pointer du doigt les questions qui fâchent. Avec sa narration non linéaire et un décor très minimaliste, Système d’exploitation questionne notre rapport à la technologie et à l’évolution du monde avec beaucoup d’intelligence et de pertinence.

La mise en scène, simple mais souvent astucieuse, joue notamment sur l’alternance entre les scènes dialoguées conventionnelles et d’inventifs numéros de danse contemporaine; ces derniers, rythmés par la musique industrielle du groupe Clones, sont particulièrement efficaces pour illustrer visuellement les émotions des personnages ou pour appuyer le propos sans passer par de longs discours. Les comédiens (Adeline Belloc, Tom Bérenger, Karine Bocobza, Emma Ceya, Nathalie Charade, Emma Debroise, Amira Hadzic, Xavier Kutalian, Pierre Lemel Lucas de La Loge, en alternance) mettent leurs corps au service de cette scénographie et donnent sans compter pour rendre crédible cette société cauchemardesque, qui emprunte aussi bien à George Orwell qu’à la série à succès Black Mirror.

En sortant de Système d’exploitation, on est partagé entre la tentation de sortir son téléphone pour inviter ses amis à aller voir la pièce, et la conscience ravivée qu’il est urgent de prendre du recul sur nos outils technologiques. On retiendra également un superbe masque de singe, qui n’est pas sans évoquer le visage de Johnny Hallyday


Synopsis: Comment ne pas devenir fou quand les écrans sont partout ? L’intelligence artificielle « Minotaure » mène l’enquête. Dans un futur proche, alors que la crise écologique et économique s’accélère, les citoyens restent scotchés à leur smartphone. Deux coups de feu résonnent dans une « agence sociale » récemment privatisée. Cassandre une militante éco-anxieuse, Morphée un chômeur insomniaque, Hermès un livreur ubérisé, Gaïa une mère isolée et Dédale une cadre en burn-out, étaient sur place. Que s’est-il passé ?

Leurs méta-données vont être croisées et analysées sous nos yeux. Système d’exploitation est une tragi-comédie dystopique entre Brecht et Black Mirror.

Détails:

Du jeudi 2 février au samedi 15 avril 2023.

Du jeudi au samedi à 21h30

Tarifs:

Plein : 24€

Réduit : 18€