Prélude: De la série au film

Dans la deuxième moitié des années soixante, la série télévisée de Bruce Geller Mission: Impossible offrait déjà un nouveau visage au genre de l’espionnage, alors que James Bond en avait déjà, si l’on peut dire, le monopole, avec déjà quatre films (Dr. No, Bons baisers de Russie, Golfinger et Opération Tonnerre). La série présentait déjà une équipe employée en secret par la CIA avec un attirail dernier cri (dont les masques, intrinsèques à la franchise). Cependant, la série, aussi culte soit-elle, manquait de suspense, de piquant. Toutes les missions se déroulaient sans problème, aucun imprévu, aucun faux pas, tout se déroulait comme prévu, l’intrigue était lisse. Aujourd’hui, la série serait vue comme ringarde.


Après un bref retour de la série en deux saisons vingt ans plus tard, à la fin des années 80, Tom Cruise, Brian de Palma et David Koepp ont pris les devants dans les années 90 en ramenant la franchise au cinéma en 1996, à temps pour le 30ème anniversaire de la série.

Un premier opus orienté thriller plutôt qu’action

Lorsque l’on confie la réalisation d’un film à quelqu’un comme Brian De Palma, il ne faut pas espérer voir un film d’action dans la trempe de la saga depuis le 2. Des balles comme s’il en pleuvait, de nombreuses courses-poursuites, des cascades pharaoniques, oubliez tout ça. Le scénario de Mission: Impossible repose sur suspense, faux semblants et paranoïa. C’est le genre de film qui aurait pu être réalisé par Alfred Hitchcock dans les années 50-60, d’ailleurs la saga entière n’est pas très différente de l’excellent thriller d’Hitchcock La Mort aux Trousses. Ce n’est pas pour rien si les rênes du film ont été confiés à son disciple spirituel, le très talentueux réalisateur de Carrie Au Bal Du Diable, Scarface, Les Incorruptibles, Le Bûcher des Vanités ou L’Impasse, Brian De Palma.

Brian De Palma, le maître du suspense, digne héritier d’Hitchcock

Par sa maîtrise du suspense et sa capacité à maintenir le spectateur en haleine, Brian De Palma prend le contrepied de la série de Bruce Geller en apportant ce qui manquait à cette dernière: des obstacles. La mission à Prague menée par Ethan Hunt tourne au vinaigre avec la mort de toute l’équipe (Jack Harmon qui se fait empaler au plafond de l’ascenseur, Jim Phelps qui se fait tirer dessus et tombe dans le fleuve, la voiture de Claire Phelps qui explose et Hannah Williams qui ne donne pas signe de vie) ; Hunt est piégé au café par Eugene Kittridge ; l’opération disquette dans les bureaux de la CIA a manqué d’échouer trois fois. De ce fait, De Palma, malmenant le spectateur, en particulier le fan de la première heure habitué au déroulement sans encombre des missions du MIF (Mission Impossible Force), offre une seconde jeunesse à la franchise en la réinventant.

De toutes les scènes à suspense du film, l’une d’entre elles ont ma préférence. J’aurais pu choisir la scène où Ethan Hunt est suspendu dans les locaux de la CIA, mais celle-ci, bien que courte, est d’autant plus intéressante:

Le café à Prague

Dans cette scène, au début du film, Ethan Hunt, désormais seul après la perte de son équipe, retrouve son directeur, Eugene Kittridge, dans un café, toujours à Prague, après lui avoir passé un coup de fil. Ce dernier lui assure une exfiltration et un retour sûr aux États-Unis, avec des papiers en règle. Seulement voilà, Ethan remarque des visages familiers. Sa confiance envers Kittridge s’amenuise, de même que Kittridge l’accuse d’avoir tué l’équipe, dans la mesure où il est le seul survivant. Cette scène est un excellent exemple de suspense. La caméra, d’abord stable, carrée et en plans américain et d’ensemble, s’incline et passe en gros plan.

La montée de tension et la paranoïa d’Ethan Hunt sont palpables dans les gros plans montrant Ethan et Kittridge en gros plan et en angle penché. C’est lorsqu’Ethan énumère les agents de Kittridge qui étaient présents à la soirée à l’ambassade et qui sont présents dans le café que les angles et les plans de caméra s’inclinent et se rapprochent d’Ethan et Kittridge, une idée de mise en scène que Terry Gilliam n’aurait pas reniée! En effet, la caméra penchée, appelée à tort dans le jargon cinématographique l’angle néerlandais (terme né d’une confusion entre les Hollandais et les Allemands), est un effet de mise en scène très présent dans les genres du thriller et de l’horreur, car il sert à illustrer la folie, le lâcher-prise, d’un protagoniste. Quant aux gros plans, ils donnent une sensation de prise à la gorge, le cadre se resserre sur les personnages, les rendant soit plus menaçants comme Kittridge, soit plus menacés comme Ethan. La musique, signée Danny Elfman, par sa tonalité expressive et proche de Bernard Herrmann (le compositeur attitré d’Hitchcock, les grands esprits se rencontrent), retranscrit brillamment la tension grandissante et palpable d’Ethan face à un Kittridge prêt à le faire coincer par ses hommes.

Si Ethan Hunt est un espion remarquable et rusé, en revanche je lui ai toujours préféré son prédécesseur, incarné dans la série par Peter Graves et dans le film par Jon Voight.

Jim Phelps, le vrai héros de Mission : Impossible

À la sortie du film en 1996, les vieux de la vieille, les fans de la série, se sont fâchés avec Brian De Palma et Tom Cruise. La raison de cette hostilité? Jim Phelps, héros de la série, devient le traître. Un revirement qui a de quoi rendre chafouin. Voir celui qui était le héros depuis exactement 30 ans passer à l’ennemi, c’est une forme de trahison. C’est évidemment ce qui fait la force du scénario du film. Toutefois, Phelps ne devient pas le méchant bêtement, on ne peut même pas dire qu’il devient méchant. Ce qu’il dit à Ethan Hunt lorsqu’il le retrouve à Londres est on-ne-peut-plus parlant:

« Quand tu y réfléchis, c’était inévitable. Plus de guerre froide, plus de secret trop lourd à garder, et à défaut, plus de mission dont tu es seul juge et responsable. Et voilà qu’un jour, tu te réveilles et le président des États-Unis dirige le pays sans ta permission. Quel fumier, il a un sacré culot. Et tu te rends compte que tu es fini, tu es un matériel périmé qui ne vaut même pas la peine d’être révisé, tu as une vie de couple merdique et 60 000 dollars par an. »

Jim Phelps est un espion désabusé. Après trente ans de missions consistant en général à intervenir dans des situations de conflits géopolitiques en Amérique Latine et en Europe de l’Est pendant la Guerre Froide, le temps passe et la lassitude avec. De plus, Phelps fait croire à Ethan que c’est Kittridge qui est le cerveau de l’opération et a tué l’équipe. Ainsi, Jim Phelps critique à demi-mot la CIA et leurs opérations hors du sol américain. On a là une réflexion politique non négligeable et pertinente. C’est ce qui me fait penser que Jim Phelps n’est pas un vrai méchant (bien qu’il semble en vouloir à Ethan de tourner un peu trop autour de Claire), mais quelqu’un de brisé, trahi par sa propre nation, c’est d’ailleurs pour cette raison (en plus d’une certaine forme de nostalgie, de mon désamour pour Tom Cruise et du le fait qu’il soit incarné par Jon Voight et doublé par Claude Giraud) que ma préférence pour le véritable héros de Mission : Impossible va et ira toujours à Jim Phelps.

Conclusion

En s’éloignant le plus possible du matériau de base, sous la houlette de Brian De Palma; Mission : Impossible révolutionne le cinéma d’espionnage en proposant un thriller efficace et haletant.

Synopsis

Ethan Hunt (Tom Cruise), agent de la Force Mission Impossible, mène une opération avec ses coéquipiers et son mentor Jim Phelps (Jon Voight) pour récupérer une liste de plusieurs agents de la CIA qui pourrait menacer leur sécurité si elle tombait entre de mauvaises mains. Malheureusement, l’opération tourne à la catastrophe et Ethan, seul survivant, devient la cible de son patron Eugene Kittridge (Henry Czerny).