Autrefois connu pour ses comédies déjantées et outrancières avec son frère Bobby, Peter Farrelly s’essaie maintenant au film adulte avec un certain succès. Son humour gras se transforme en satire de la société américaine, à fleurets mouchetés, sans gros sabots mais avec une subtilité bienvenue à l’aide de deux acteurs qui livrent des prestations rien de moins qu’éblouissantes. Un Viggo Mortensen alourdi et italien rappelle la transformation déjà éblouissante pour le personnage mafieux russe des Promesses de l’ombre mais tout aussi dans la retenue avant de se déchainer. Quant à Mahershala Ali, il est ce pianiste coupé du monde que son garde du corps accompagne. Le résultat mérite des applaudissements, rien de moins.

Deux personnages que tout oppose

Le réalisateur utilise un procédé bien connu dans l’histoire du cinéma : le buddy movie avec un couple mal assorti qui finit ou chacun finit par découvrir les fêlures cachées de l’autre. Certains se rappelleront notamment de Gérard Depardieu et Pierre Richard dans Les Compères ou La Chèvre, de Ryan Gosling et Russell Crowe dans Nice Guys ou même la paire de flics de la série L’arme fatale. Le chauffeur interprété par Viggo Mortensen est un italien rustre mais droit dans ses bottes, sanguin quand la moutarde lui monte au nez tout en étant résolu à faire vivre correctement sa famille qu’importe le job. Le convoyé le surprend d’abord sous les traits d’un Mahershala Ali d’un pianiste de génie, immensément riche grâce aux émoluments de ses prestations scéniques, au langage châtié voire un tantinet snob mais un peu hors de toutes considérations pratiques. Après quelques péripéties initiales croquignolettes, ils se retrouvent à partager une Cadillac pour traverser les Etats-Unis pendant deux mois vers des états du sud pas encore remis des lois ségrégationnistes. Au fur et à mesure de pérégrinations plus tumultueuses qu’escomptées, les liens se resserrent entre le fils d’italien à cheval sur des principes séculaires comprenant un fort communautarisme, une xénophobie contre la communauté noire et une manière très musclée de régler les problèmes, et le pianiste précieux et enfermé dans sa bulle. Le premier parviendra à ouvrir le second à des réalités qu’il connaissait en partie sans savoir apporter des solutions, vis-à-vis du racisme auquel il était perpétuellement confronté. Ils se découvrent et se transforment, pour le meilleur et pour la vie.

Une belle fable moderne du XXe siècle

Le film se suit comme un road movie rythmé voire nerveux entre deux êtres que tout oppose d’abord mais que leur voyage en commun va finir par inéluctablement rapprocher. Le jeu des deux acteurs est fait de multiples petites nuances qui apportent une vraie profondeur à ce film qui dépasse allègrement l’habitacle du véhicule. Car ce fameux Green Book est en fait une sorte de Guide du Routard pour les voyageurs noirs désireux de trouver des établissements adaptés et ne pas finir sous les verrous pour cause d’erreur de réservation. C’était ainsi à une certaine époque et le film prend le soin de ne rien passer sous silence du sort peu enviable réservé à la communauté noire à cette époque. Et comme le film manie aussi bien l’humour que le réalisme le plus cru, il se suit comme une odyssée ultra réaliste, au milieu des paysages verdoyants de l’Amérique profonde et des comportements insupportables de ceux qui croient vivre toujours au XIXe siècle pour s’arroger tous les droits. C’était pourtant cela, les années 60 au Etats-Unis, un mélange d’élans libertaires et de traditions irrespectueuses d’une communauté en pleine mutation. Le film le montre bien et si les deux personnages flirtent parfois avec la caricature, il ne faut pas oublier que c’est l’adaptation d’une histoire vraie, donc avec des personnages aux parcours singuliers et loin de tout standard lambda.

Green Book est un film aussi drôle qu’émouvant, ouvrant une lucarne particulière sur cette époque ségrégationniste si souvent dépeinte dans le cinéma outre-Atlantique. Et comme les acteurs sont au sommet, ça donne un film à ne pas manquer, encore actuellement dans de nombreuses salles.