Nous sommes dans une période où le caméo devient moins une surprise pour les spectateurs qu’un argument promotionnel, à l’instar d’un « Multiverse of Madness » vilipendé pour ne pas avoir assez de personnalités apparaissant dans son récit alors que les teasers annonçaient déjà des personnages « surprises ». Pourtant, on oublie que cela peut également devenir un vrai apport thématique à son récit, à l’instar des caméos d’Alfred Hitchcock dans ses propres films. En plus d’appuyer la malice de ses films, le réalisateur de « Psychose » faisait de ses apparitions un vrai apport à la réflexion de ses histoires. Pour prendre l’exemple de « Fenêtre sur cour », son caméo survient alors que le héros observe les fenêtres et tombe sur son voisin musicien, accompagné d’un autre homme, en l’occurrence Hitchcock. Quand Grace Kelly vient rejoindre James Stewart, elle l’interroge alors sur la source de la musique. De là, cette musique intégrée dans la diégèse du film devient quasiment extradiégétique par la façon de s’intégrer au récit et d’appuyer la porosité entre réel et fiction par le regard du spectateur. Ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres et a déjà été abordé avec plus de profondeur mais il rappelle que le caméo peut être significatif.

En ce sens, un autre réalisateur est devenu spécialiste dans le domaine : M. Night Shyamalan. Connu pour sa façon de jouer de ses narrations, le metteur en scène est habitué à se présenter également dans ses films, notamment par des apparitions éclairs ou des vrais petits rôles. Cela le lui avait été reproché à l’époque de « La jeune fille de l’eau », son personnage étant censé influer le monde par son œuvre artistique, mais ce serait mettre de côté toute l’interrogation sur le rapport aux histoires, à la manière de les raconter et leur héritage qui se retrouve dans sa filmographie et notamment dans ce titre décrié. Comme Hitchcock, les apparitions de Shyamalan apportent alors un nouveau regard sur le récit tout en adoptant ici une part plus active. On peut ainsi penser à « Signes », où il est aussi bien responsable de la perte du héros que des indices permettant à celui-ci de sauver sa famille, représentant alors une forme de signe par son personnage. Il y a également « Old », où le réalisateur installe les personnages sur la fameuse plage du film tout en les observant de loin par la suite, rappelant à la mise en scène évidente des événements. Cela rendait les explications sur cette affaire moins évocatrices que cette simple recréation de vies accélérées et l’impossibilité apparente d’échapper à certaines étapes dans pareil microcosme.

Nous pourrions appuyer plus longuement cette liste mais, avec la sortie de « Knock at the Cabin » en édition physique, il nous paraissait intéressant de nous appuyer sur la façon dont cette apparition appuie les thématiques de ce film ainsi que celles qui tissent la filmographie du réalisateur. Cette apparition semble ici plus anodine au vu de sa place plutôt incongrue. Alors que les personnages ont enfermé la famille au sein du film dans leur cabane de vacances, leur chef décide de changer les chaînes à la télévision pour laisser place à une émission de télé-achat présentée par M. Night Shyamalan. Ce dernier vante alors les capacités d’une friteuse pour des ailes de poulet avant qu’un bulletin télévisé ne l’interrompe. À priori, on revient à quelque chose d’assez trivial au vu de la situation mais cela relève déjà de plusieurs points cohérents avec le récit même. Au vu de l’enfermement imposé aux personnages, la télévision sert d’unique point de vue extérieur au récit, mis à part quelques flash-back épars. Là, l’écran oblige à une croyance aux images retransmises, appuyées par les kidnappeurs comme la vérité ainsi que comme un appui de l’importance de leur mission. Ce relais est donc objet de croyance pour les uns mais également de méfiance pour nos héros, remettant en question cette transmission de différentes façons, notamment le moment de diffusion. L’écran revient alors à un abord fictionnel introduit par le rapport de la jeune Wen avec ses dessins animés puis à l’incertitude sur la pertinence de l’information avec cette courte séquence de télé-achat. Le fait même de reconnaître le metteur en scène dans cette séquence nous fait également sortir de notre propre cadre (celui du cinéma ou de la télévision) pour mieux appuyer la fiction du récit, le fait de nous sortir du film nous rappelant qu’on fait face à une œuvre imaginaire et non à une réalité.

Mais si voir le réalisateur apparaître dans cette séquence met en lumière une forme de scepticisme sur l’objet télévisuel, cela permet également de remettre au centre la foi envers l’image. Le rapport fictionnel est notamment désamorcé par le chef des kidnappeurs, Leonard, qui souligne l’intérêt du dessin animé regardé par Wen par rapport à ses thématiques. Il y a une foi envers l’image fictionnelle qui va se relayer peu à peu vers l’image télévisuelle par la transition amenée par cette séquence de télé-achat. Le public de pareilles émissions croit ainsi à l’efficacité de l’objet mis en avant, croyance sur laquelle se reposent les présentateurs. Ici, le goût du poulet est souligné mais également son rapport calorique avec quelques mots anodins du réalisateur, « a lot less guilt », une culpabilité moindre. C’est une notion qui revient justement beaucoup dans le long-métrage, que ce soit celle des kidnappeurs par rapport à leur tâche (ils ne voulaient pas enfermer cette famille et tentent de se rassurer par l’impact de leur action sur le monde) et celle du couple formé par Éric et Andrew (si leurs kidnappeurs ont raison, ils provoquent la mort de millions de personnes par leur inaction). Le rapport à la culpabilité est l’un des moteurs du long-métrage et fait d’ailleurs avancer les personnages dans une certaine direction. Ce simple petit mot induit dans l’émission par le réalisateur même permet d’expliciter un des enjeux, rapport habituel adopté par la télévision pour mieux décrypter certaines de ses images, le tout en l’introduisant dans le flou de confiance qu’est le téléshopping où tout semble préfabriqué.

Néanmoins, le côté « factice » de ces quelques secondes permet encore mieux d’amener un brouillard réflexif sur les personnages et les spectateurs par rapport aux enjeux du long-métrage, encore plus quand il y agite la présence visible de son metteur en scène. Par ce caméo à priori inutile, M. Night Shyamalan permet alors d’appuyer l’interrogation sur le rapport à l’image (il faudra que les événements sortent du cadre télévisuel pour confirmer définitivement le potentiel irréel des événements), la notion de culpabilité en tant que moteur narratif mais surtout une foi en la narration même, dans ce flou constant existant entre la publicité et l’informatif, le réel et le fictionnel, qui peut se développer par le biais d’un écran. De quoi appuyer définitivement l’intérêt du caméo en tant qu’appui thématique dans une période où l’on ne souligne que trop son aspect commercial qui nous sort de l’écran sans jamais réussir à nous y remettre convenablement. Quand le cadre fictionnel se brouille alors, cette porosité est alors plus réjouissante d’un point de vue artistique qu’une simple apparition de personnage secondaire ou de célébrité. Remettre le réalisateur dans sa fiction devient alors un recentrement sur les capacités de celle-ci à mieux nous interroger en tant qu’audience passive dans l’action mais active dans l’exercice intellectuel.