Critique : Si la trilogie que Christopher Nolan a faite du plus fameux super-héros DC est souvent résumée à « The Dark Knight », on en oublie trop vite l’opus initial. Pourtant, si le succès de sa suite a drastiquement changé l’approche de certains mythes cinématographiques, c’est la réussite financière et critique de « Batman Begins » qui a permis d’instaurer un souffle de réalisme dans les productions grand public. Pourtant, on pouvait s’interroger sur la façon dont l’homme chauve-souris allait renaître après les retours désastreux presque 10 ans plus tôt de « Batman et Robin », notamment par la présence d’un jeune réalisateur anglais qui était loin à l’époque du statut de réalisateur renommé qu’il a actuellement. Cependant, malgré les diverses craintes, ce « Batman Begins » fut accueilli de manière bien plus positive et relancera le personnage au cinéma, tout en mettant les projecteurs sur Christopher Nolan. 17 ans après sa sortie (oui, nous sommes vieux), que reste-t-il de ce film ?
On peut déjà constater quelques faiblesses dans la mise en scène, notamment au niveau de certaines séquences d’action. Le coupage un peu brut affecte les scènes de bagarres et rendent celles-ci plutôt confuses, bien que l’on puisse parler de choix volontaire pour certains moments, comme la première vraie apparition de Batman. Le récit se voit également affecté par quelques choix de surexplication narrative, notamment dans le climax avec ces employés de Wayne Entreprise obligés d’expliciter les conséquences qu’auraient la destruction de la tour Wayne. Mais pourtant, si l’on excepte ces quelques points, on peut apprécier la nature plutôt solide du divertissement qui nous est proposé.
En effet, bien loin d’un simple aspect dark véhiculé par certaines critiques, la réorientation stylistique de ce Batman lui réussit bien. Après un gothique exacerbé chez Burton puis une overdose visuelle avec plus ou moins de réussite chez Schumacher, Nolan perpétue l’influence expressionniste sur le héros en se concentrant sur une certaine urbanité des décors. L’aspect imposant de Gotham qui rappelle les grandes villes américaines se voit contrebalancé par d’autres décors extérieurs jouant plus l’écrasement par le naturel que par l’architecturel. La cité s’en trouve encore plus marquée, instaurant une certaine proximité tout en y trouvant quelques fulgurances au niveau du décorum, à l’instar du métro aérien qui servira pour la conclusion du récit. On conserve donc cette vivacité dans l’urbanisme tout en accentuant cet aspect vers quelque chose de drastiquement différent mais toujours pertinent stylistiquement au personnage.
Concernant ce dernier, Christian Bale propose une interprétation intéressante du héros, plus posée que ses prédécesseurs. On sait l’acteur fortement impliqué dans ses rôles, que ce soit dans ses transformations physiques ou l’ancrage émotionnel, et cela sert à apporter un peu plus de dualité dans sa prestation en tant que Bruce Wayne/Batman. Si cette absence d’équilibre entre ces deux facettes est récurrente -et pas uniquement dans la trilogie Nolan-, il faut bien admettre que Bale amène un peu plus de profondeur en faisant de son visage un autre masque peut-être plus prégnant dans l’analyse du personnage que celui de l’homme chauve-souris. Que cela ne pousse pas à diminuer son impact physique en costume car il conserve une certaine corporalité musclée, tout en jouant sur cet art de la représentation telle qu’enseignée par la Ligue des Ombres.
Cette dernière a un rôle influent dans l’élaboration psychologique de cette version, notamment dans sa conception de justice. Il faut dire que la nature de « vigilante » du personnage peut amener un certain flou moral quant à ce qui relève de ses actions. La réappropriation de son apprentissage physique tout en apprenant à mieux appréhender la nature sociale derrière certains actes de criminel amène un meilleur équilibre dans ses actions, tout en apportant quelque chose de plus concret dans ses convictions. On peut évidemment réfuter certains aspects de cette foi en la justice (c’est d’ailleurs ce que cherchera à faire sa suite) mais on sent cette volonté de cohérence jusqu’à l’idéologie du personnage. Il en ressort une envie de maîtrise sur tous les aspects du long-métrage, envie qui servira à imposer le statut de Christopher Nolan comme réalisateur reconnu dans le domaine du divertissement américain.
Malgré le statut dit réaliste du film et la manière dont cela influera l’imagerie visuelle des blockbusters qui suivront, on ressent quand même dans ce « Batman Begins » un amour du comics, que ce soit par la présence de certains personnages ou le traitement du héros, proche notamment du « Batman : year one » de Frank Miller. On peut y lire alors l’envie de réappropriation du médium original pour mieux y imposer un style différent, tout en gardant ce respect que beaucoup de critiques nieront pas la suite. C’est pourtant cette approche qui mérite d’être louée au vu de la façon dont nombreuses productions super-héroïques qui suivront préféreront diminuer la personnalité de l’auteur derrière pour privilégier une uniformité visuelle rarement intéressante. De quoi mieux apprécier cette orientation, sans nécessairement cautionner la tournure prise par Nolan.
Il y a quand même quelque chose de réjouissant à redécouvrir le cinéma du réalisateur dans cette bascule blockbusteresque étant donné les quelques idées qui se trouvent çà et là. On peut penser à ce climax où la ville se rapproche presque du film d’infectés, ancrant définitivement celui-ci vers du PG 13. Le traitement de Gotham vers un expressionnisme urbain se voit renforcé par l’usage de maquettes, apportant cette tangibilité que tentera de maintenir le réalisateur tout au long de sa carrière. L’approche symbolique, que ce soit par la scène de l’opéra ou le rappel constant de la mise en scène dans la constitution de Batman, permettrait presque une analyse métatextuelle du super-héros, voire post-moderne dans cette interrogation d’un héroïsme possible dans une Amérique meurtrie par les attentats du 11 septembre.
On a l’impression d’être resté en surface de ce qu’on peut aborder par rapport au film mais on vous laisse également vous (re)faire votre avis sur ce blockbuster mésestimé dans sa propre trilogie. « Batman Begins » pose en effet des bases intéressantes, aussi bien dans sa saga que dans le genre super-héroïque, voire le domaine même du divertissement grand public américain. Alors même s’il n’est pas le meilleur film Batman et encore moins le meilleur titre de la filmographie de Christopher Nolan, le long-métrage vaut la peine d’être revu pour se rappeler cette étape intéressante du cinéma hollywoodien récent.
Synopsis : Comment un homme seul peut-il changer le monde ? Telle est la question qui hante Bruce Wayne depuis cette nuit tragique où ses parents furent abattus sous ses yeux, dans une ruelle de Gotham City. Torturé par un profond sentiment de colère et de culpabilité, le jeune héritier de cette richissime famille fuit Gotham pour un long et discret voyage à travers le monde. Le but de ses pérégrinations : sublimer sa soif de vengeance en trouvant de nouveaux moyens de lutter contre l’injustice.