Sorti en décembre 2018, Assassination Nation a été complètement blacklisté par la critique parisienne paresseuse et incapable de voir au-delà du Teen Movie sans ampleur. Grave erreur, car si le film débute bien en multipliant les scènes caricaturales mettant en scène les pires poncifs d’une jeunesse délurée dans une ville américaine typique, le film part doucement mais sûrement en live avec une cabale qui prend à partie 4 filles transformées en victimes sacrificielles. Avec des procédés visuels grandioses qui soulignent bien les intentions réelles du réalisateur, le film finit en apothéose avec notamment un plan séquence de toute beauté.

Du cinéma très actuel à l’heure d’Internet

Société du voyeurisme, exposition permanente sur les réseaux sociaux, crucifixions immédiates par une horde de followers qui ne vous connaissent même pas, Assassination Nation souligne les pires tourments d’une société qui a sacrifié la pudeur sur l’autel de la célébrité, ce fameux Quart d’heure de gloire anticipé par Andy Warhol il y a déjà une éternité. Avec le risque du double tranchant, la célébrité ou la condamnation avec ses hordes de haters qui aiment à se défouler sans preuves pour justifier leur déferlement soudain de rage. Le principe du film est ancré dans notre époque avec 4 demoiselles qui exhibent leur plastique de rêve au lycée et sur la toile. Mini-jupes et décolletés plongeants s’affichent en permanence dans la couloirs de leur high school, dans des mini-films sans retenue et des photos qui ne cachent rien. Sam Levinson pousse la logique à son maximum avec un mystérieux hacker qui révèle les secrets les mieux cachés des habitants de Salem, partant du principe qu’une société qui n’a rien à cacher doit tout montrer, même les cachoteries les plus inavouables, voire les plus scabreuses. Et la petite ville sereine connue pour le procès et les meurtres de femmes accusées de sorcellerie au XVIIe siècle se transforme en poudrière quand une des 4 demoiselles, Lilly (Odessa Young), devient la cible de la vindicte populaire pour des motifs… qui ne représentent pas grand chose finalement hors de la vie virtuelle, la foule n’a pas besoin de motifs plus tangibles pour se défouler et lâcher les chiens. Et là, la petite bluette trash se transforme en Survivor movie avec des scènes techniquement incroyables. Parce que les américains sont surarmés, alors ils n’hésitent pas à s’en servir de leurs armes si besoin, la preuve.

Un plan séquence d’anthologie

La population ulcérée cherche à apaiser son envie de sang. Elle se dirige vers la maison où les 4 demoiselles sont retranchées. Commencent plusieurs minutes de plan séquence filmées de l’extérieur où les intrus et les assiégées apparaissent tout à tour au fur et à mesure que la caméra gravite le long des murs et des fenêtres. L’effet anxiogène est garanti, on imagine la somme de préparation et de répétitions nécessaire pour aboutir à une telle fluidité. Le Teen Movie est loin, le massacre n’est plus très loin, le spectateur se demande qui va survivre à la tension ambiante et conclut sur les intentions fort louables du réalisateur. Derrière le trash movie étudiant se cache un film à thèse qui utiliser les codes pour mieux les détourner. Et le résultat est étourdissant. Car si le film finit en bain de sang rappelant pêle-mêle Carrie, John Carpenter, La poursuite impitoyable ou Godard, cet Assassination Nation se réclame d’une illustre lignée et confirme ma phobie de la foule hostile. Un peu comme dans Mother où la paisible maison se transformait en fourmilière féroce. Et puis ce titre de film, tout est dit et pourtant le film parvient à surprendre, et dans les grandes largeurs. C’est le coup de cœur de la semaine, voire du mois!

Le spectateur a l’impression d’assister au Teen Movie ultime. Avec l’actrice transgenre Hari Nef, le film atteint son ambition de passer en revue les poncifs d’une société foncièrement raciste, mysogine, hyper sexualisée, homophobe et surtout violente. Rien de mieux que de faire croire à un film simple pour se retrouver devant une thèse sociologique complexe. Et c’est bon. Et ça fait peur, parce que le film évoque la réalité crue.