Qu’il est difficile à appréhender ce film russe! Aussi bien film d’action (au départ) que réflexion philosophique sur la vanité de l’être humain (à la fin), il brouille les pistes et happe les spectateurs pour ne plus les lâcher. Un capitaine membre des forces oppressives du dictateur Staline en 1938 vit une véritable crise de conscience l’obligeant à s’échapper pour obtenir le pardon des proches de ses victimes. La métaphore est bluffante, le parallèle avec l’époque actuelle également.

Un film coup de poing

Le Capitaine Volkonogov s’est échappé commence sur les chapeaux de roue. Une milice se charge des basses besognes pour faire avouer les traitres et les exécuter, sur la base d’aveux obtenus par la torture. Le capitaine est l’un d’eux, dans un look bien peu historique. Crâne rasé, pantalon de jogging rouge, bomber sur le dos, il ressemble plus à un skinhead qu’à un soldat soviétique, appelant ainsi à brouiller les cartes et à élargir le contexte. Le film part du principe que ce type de politique répressive a lieu partout et tout le temps dans le monde et pas seulement pendant le joug stalinien. Les plus férus de musique feront certainement le rapprochement avec la tenue du groupe Kraftwerk époque The Man Machine. Scènes de torture, flots de sang, la première demi-heure n’y va pas par le dos de la cuillère. Les réalisateurs Natalysa Merkulova et Aleksey Chupov placent très tôt le curseur de la violence et de la peur au maximum. Les hommes en rouge font peur et sont craints, ils n’ont aucune pitié et appliquent les ordres sans discuter. Alors quand le capitaine sent le vent tourner, il fuit. Le régime applique une répression sévère et se retourne contre son bras armé. Personnage violent et cruel, sans presque une once d’humanité, il est d’abord un vrai anti-héros. Son physique entier appelle à le détester. Mais voilà que ce qui ressemble à une intervention divine va le faire basculer, et le film vire dans une tonalité très proche des films de Tarkovski. L’homme se remet en cause, il cherche à sauver son âme et prend la mesure de ses méfaits. Alors il recherche les proches de ses victimes pour obtenir leur pardon, leur absolution et garantir sa vie dans l’au-delà. Le revirement est lourd de sens et appelle à se poser la question de la porté de nos actes, sur terre et après la mort. Le contexte de la grande terreur située entre août 1937 et novembre 1938 fait froid dans le dos. Arrestation d’un million et demi de personnes, 750 000 exécutions et pas mal de déportations dans les goulags sibériens. La plus grande organisation de mort en temps de paix au XXe siècle. Mais ce contexte est mis à distance avec toutes ces fantaisies vestimentaires pour laisser toute la place à la métaphore sur la lâcheté de l’humain et sa capacité à appliquer des ordres inhumains.

Le film n’est pas sorti en Russie et les réalisateurs ont été contraints de s’exiler dans un autre pays. Les temps de Poutine seraient-ils similaires à ceux de Staline, c’est toute la question.

Synopsis: URSS, 1938. Au pic de la Grande Terreur, Staline purge ses propres rangs. Les hommes qui mettent en œuvre la répression sont eux-mêmes arrêtés et exécutés. Se sachant à son tour condamné, le capitaine Volkonogov s’échappe. Dans sa fuite, il est frappé d’une vision : pour sauver son âme, il devra se confronter aux familles de ses victimes et obtenir leur pardon.