Révélée par sa prestation bouillonnante dans « Adoration », Fantine Harduin trouve une prestation douce dans « Colocs de choc », l’histoire d’une jeune femme qui se découvre par le biais des souvenirs d’une grand-mère atteinte de la maladie d’Alzeihmer.

Qu’est-ce qui t’a motivée à te lancer dans ce projet ?

Il faut savoir que c’est un projet qui a mis énormément de temps à se faire. Je pense que j’ai commencé à être sur le projet quand j’avais 13 ans. Ça fait des années que je suis sur le projet, j’y étais deux ans avant qu’il ne se fasse, j’ai vu plusieurs versions du scénario, j’ai réécrit mes répliques avec Élodie Lélu pendant tout le processus du film. C’est un film qui me tenait beaucoup à cœur. J’ai été appelée dessus, je n’ai pas vraiment fait de casting car j’étais dans la série « Ennemi Public », où je jouais avec Pauline Étienne. C’est une bonne amie d’Élodie Lélu et elle devait jouer de base mon rôle. Comme le film a mis du temps à se faire, elle était trop âgée pour le faire et m’a donc recommandée. J’ai rencontré Élodie Lélu et Hélène Vincent, qui avait déjà été engagée pour jouer ma grand-mère, dans un café avec mon père parce que j’étais très jeune. Ça a été tout de suite un coup de cœur entre nous. J’ai tout de suite aimé le personnage, l’idée du scénario, et j’ai décidé de la suivre comme ça sur le projet. Je l’ai suivie pendant hyper longtemps (rires) car ça a mis 2, 3 ans à se faire. Le tournage a été rapide mais le montage a duré encore 2 ans donc ça fait hyper longtemps que j’attendais que le film sorte et je suis hyper contente que ce soit enfin le cas ! (rires)

Le film parle de thématiques importantes dans un registre comique. Comment ces sujets, comme le rapport générationnel au féminisme et la maladie sans tomber dans un jugement de la personne atteinte, te touchent personnellement ?

Le féminisme est quelque chose qui me touche énormément et qui est très important pour moi. J’ai eu ma période où j’ai eu une montée dans le féminisme, vers à peu près 14, 15 ans, où j’ai vraiment commencé à me renseigner sur le sujet donc ça me tient énormément à cœur. Je suis contente de pouvoir porter ce message-là à travers Manon car j’ai eu le même parcours qu’elle. Quand j’ai joué son personnage, j’avais le même âge, je devenais aussi « une femme », donc j’ai grandi aussi à travers elle. J’ai appris des choses sur le féminisme à travers elle et cela m’a permis de découvrir d’autres choses parce que j’avais une idée très conçue sur ce qu’était le féminisme. Entre temps, j’ai été aux États-Unis, ce qui m’a permis d’ouvrir mon esprit sur d’autres choses. Le féminisme est un sujet qui est très important pour moi et qu’on voit de plus en plus au cinéma mais qu’il faut continuer à partager et aborder. La maladie, c’est quelque chose qui me touche moins personnellement parce que j’ai eu la chance de ne pas avoir quelqu’un de malade dans ma famille. Mais je trouvais que c’était tellement bien amené dans le scénario, on en parlait si facilement. La manière dont c’est abordé dans le film est intéressante et passionnante, je suis touchée de pouvoir en parler. J’ai aussi appris énormément de choses sur ce film par rapport à la maladie d’Alzeimer et je suis très contente de l’avoir fait par ce biais.

Il y a une alchimie qui fonctionne très bien avec Hélène Vincent, aussi bien dans un registre comique que dramatique. Quelles ont été les conversations entre vous ?

Comme j’ai dit, j’ai rencontré Hélène 2, 3 ans avant le tournage. Elle m’impressionnait énormément car c’est une grande actrice avec un caractère impressionnant. J’étais toute timide au début, je le suis depuis toute petite, mais ça a très vite cliqué facilement entre Élodie, Hélène et moi. Il y a eu un truc assez facile, on s’est très vite entendues et on rigolait ensemble pendant le tournage. Avec l’autre jeune, Rita, qui joue ma meilleure amie, on formait une sorte de trio. Ça s’est très bien passé et on s’amusait comme si on était trois potes alors que pas du tout ! (rires) Je trouve que c’est une immense actrice, une immense personne, et c’est un bonheur de jouer avec quelqu’un qui joue bien en face de soi. Tu ne peux pas être un bon acteur si tu n’as pas un bon acteur en face de toi. C’était un plaisir et, en plus par le comique, car c’est quelque chose que je n’avais jamais appréhendé auparavant. C’était un peu le grand pas pour moi car je n’ai quasiment fait que des drames durant toute ma carrière. Je viens d’une famille et d’une ville où les gens sont plus versés dans le comique donc on me demandait régulièrement quand j’allais passer le cap de la comédie. Du coup, c’était mon moment, celui où je pouvais entrer dans cet univers. C’est un exercice qui est très compliqué car il y a des timings qu’il faut apprendre, des choses qu’on a ou qu’on n’a pas. Réussir à faire rire est plus difficile pour moi que réussir à faire pleurer. C’est très pointilleux, ça ne se fait pas si naturellement que ça. J’ai énormément travaillé avec Hélène, avec Élodie et Rita. On a fait beaucoup de répétitions pour travailler ce timing-là pour que ce soit assez fluide. J’ai aussi beaucoup appris avec elle à comment créer l’humour, car elle est hilarante dans le film, et à jouer la comédie.

Comment tu décrirais le travail d’Élodie en tant que metteuse en scène ?

Il y a plusieurs parties. Avant tournage, on a réécrit les répliques avec elle car elle voulait que ce soit très naturel dans ma bouche, que ce soit un langage jeune. J’ai réécrit avec elle tout le scénario, on se voyait souvent pour parler des scènes, on a fait beaucoup de répétitions. J’ai fait les castings pour Rita et Emerick. Du coup, il y a eu un long travail en amont du tournage. Elle m’a fait aussi le journal de Manon, où elle mettait ses pensées par rapport à des lieux de sa vie pour que je puisse me nourrir de ça vu que c’est quelque chose qui est aussi très proche d’elle. J’ai pu énormément travailler le personnage en amont du tournage, ce qui est extraordinaire pour un acteur pour rentrer dans la peau du personnage. J’ai aussi rencontré Olivier Gourmet qui est un immense acteur. On a dû préparer un couscous ensemble ! (rires) Vu qu’il faisait de la cuisine dans le film, Élodie s’est dit que préparer quelque chose d’aussi complexe qu’un couscous avec une personne crée des liens. On a mangé un couscous ensemble et c’était vraiment incroyable. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré le personnage d’Olivier Gourmet. C’est devenu mon papa dans le film, je l’adore de tout mon cœur. Ça, c’était avant le tournage. Pendant le tournage, elle a une manière de travailler qui est très spécifique. On va chercher plusieurs manières de voir une scène. On peut faire 3 directions dans une scène : une plus dans l’humour, très léger, puis une où elle est très colérique et une où elle est très triste. On a 3 directions dans la même scène, en faisant plusieurs prises pour chacune, et au montage, c’est elle qui va jouer au montage sur le traitement. J’ai vraiment découvert le film au moment de le voir car je ne savais pas quelle émotion elle allait prendre et quel curseur choisir. Par exemple, pour la scène où mon père voit que j’ai les cheveux blonds, il y a un curseur qui était doux, un autre où je le défonçais, … Il y avait une énorme marge de la direction de la scène et j’ai découvert cela avec le film. C’est assez intéressant de travailler comme ça. Tu ne peux pas t’ennuyer, tu ne fais que redécouvrir la scène, des nouvelles émotions, tu pousses ton personnage dans toutes les directions. C’est un cadeau pour un acteur de jouer de différentes manières car il y a ce risque de devenir un peu robot à force de refaire la scène d’une certaine manière. On essaie de ne pas tomber là-dedans mais, du coup, pouvoir aller totalement dans un autre endroit est un cadeau.

Comment sens-tu ton propre parcours en tant qu’actrice, au-delà de cette capacité comique et d’avoir fait un couscous avec Olivier Gourmet ?

(rires) J’ai du mal car on parle toujours de carrière et de parcours mais j’ai commencé très jeune en fait. Je n’ai jamais vraiment pris des décisions pour ma carrière, c’était plus quelque chose que j’aimais faire, un hobby, et je décidais quel film j’avais envie de défendre, quel personnage j’avais envie de jouer. Ça a été beaucoup de chance, de hasard et de là où la vie m’a emmenée. Je suis vraiment contente de là où je suis aujourd’hui, des endroits par lesquels je suis passée. Je ne changerais rien mais je suis vraiment contente d’avoir pu défendre le personnage de Manon entourée de comédiens extraordinaires. J’ai beaucoup de chance et je ne changerais rien du parcours, même si j’ai commencé très jeune, à 7 ans. J’ai donc des souvenirs très flous de mes débuts d’actrice. Je suis contente aussi de là où je vais.

Est-ce qu’il y a moyen de revenir sur tes rôles dans « Adoration » et « À la limite » ?

« Adoration », j’ai fait ce tournage quand j’avais 13 ans. C’était pour moi mon premier rôle d’ado, adulte, car je faisais avant des rôles d’enfant. Ici, je devais vraiment aller dans mes retranchements, pousser des choses. Pour moi, Gloria, c’est un rôle qui est resté avec moi et m’a énormément fait grandir. J’ai encore un peu d’elle en moi, même si je ne tue pas des gens. (rires) C’est vraiment un rôle qui m’a changée en tant que personne. Fabrice (Du Welz), c’est devenu un peu mon papa de cinéma, je l’adore. Il m’a appris à aimer le cinéma aussi car il m’a fait voir des films que j’aime maintenant, du cinéma de genre. Il m’a ouvert à tellement de choses, comme le film. Je pense que j’aurais été une femme totalement différente si je n’avais pas eu la chance de jouer ce personnage. C’est vraiment un point très important de ma carrière, si pas le plus important. C’est un des films dont je suis le plus fière et j’aime beaucoup ma prestation comme les films de Fabrice Du Welz, même si j’étais trop petite avant pour regarder ses films. (rires) Je suis très fière de faire partie de ça et ça m’a fait énormément grandir dans mon jeu car il fallait aller loin. Fabrice pousse fort dans les retranchements et j’adore cette manière de travailler maintenant, quand le réalisateur ou la réalisatrice t’emmène à un point auquel tu ne te pensais pas capable d’aller. J’adore travailler avec ce genre de personnes. « À la limite » est beaucoup plus récent. J’ai fait le casting avant de partir aux États-Unis et je suis rentrée, notamment pour faire ce tournage-là, parce que cela me tenait énormément à cœur. Je trouvais le scénario incroyable, le personnage est très proche de moi car j’ai toujours été très timide avec une certaine anxiété sociale. Maintenant que je suis un peu plus sortie de ça, je trouvais ça hyper intéressant de retomber dedans et d’en parler. C’était parlé de façon intelligente, j’ai adoré le scénario et j’aime beaucoup la manière dont Clotilde en parlait. Je suis très fière du film et de faire partie de ce projet. Je trouve toujours que les courts-métrages sont une expérience incroyable car c’est tellement la merde que tout le monde veut que quelque chose se crée, que ce soit la meilleure chose possible. Tout le monde se donne à fond, ce n’est pas grave si on fait des heures supp, on dort dans des trucs de merde à dix allongés sur un matelas. Il y a tellement d’amour pour le projet, pour le cinéma, que je trouve toujours intéressant de faire des courts-métrages et être lancée dans un mouvement de foule, de plateau où tout le monde se donne à fond pour créer un vrai truc. C’est du cinéma à l’arrache et j’adore ça. C’est rare que je voie des propositions comme celle-là donc je suis très contente du projet.

S’il y a un point du film que tu aurais voulu aborder plus longuement, ce serait lequel ?

Je pense que ce serait le tournage car c’est ce que j’aime dans le cinéma : le moment où on crée, où on rencontre des personnes absolument incroyables. C’était une petite équipe, très rapide, tout le monde croyait au film. C’est un tournage qui m’a marqué. C’était mon premier rôle « principal » car dans « Adoration », on est deux. Là, c’est mon premier rôle où je suis dans toutes les scènes, où je devais être là tout le temps, ce qui était épuisant aussi. J’étais une des premières à venir au matin car je faisais des répétitions avant le maquillage. C’était un tournage éprouvant que j’ai vécu jusqu’à la moelle. C’est là aussi que je me suis rendu compte que, ce que j’aimais avec le cinéma, ce sont les personnes, le tournage, vivre quelque chose avec une équipe incroyable pendant 2 mois, découvrir un personnage et me découvrir par moi-même à travers elle. Je crois que je me suis rendu compte que j’aimais le cinéma à ce moment-là. Avant, j’étais plus jeune, c’était un hobby, un peu comme une colo de vacances que je kiffais. C’est là que je me suis dit que je voulais faire ça. Je veux continuer et je ne peux pas faire autre chose que du cinéma, que ce soit en tant qu’actrice, réalisatrice ou productrice. Je pense qu’une partie de moi s’est dit à ce moment-là que c’est là que je devrais être. Merci à Maud Nicolas de Distri 7 pour cette interview.