Très peu de Tchaïkovski à l’écran (sous les traits néanmoins convaincants de
Odin Lund Biron), encore moins de musique à entendre au delà d’airs des Saisons joués au piano et du passage le plus connu du Lac des cygnes susurré, le réalisateur prodige des fabuleux Leto et La Fièvre de Petrov,
Kirill Serebrennikov, laisse toute la place à Antonina Miliukova (fascinante Alyona Mikhailova), jeune épouse aisée mais contrariée par la constante distance mise en place par son époux homosexuel et renfermé. Le film est un long cauchemar pour cette femme victime des mœurs de son temps et l’impassibilité contrite de son mari.

Le triste destin d’une femme sans talent

Le film La femme de Tchaïkosvski fait rapidement penser à d’autres films à l’intrigue similaire, l’amour déçu, l’amour absent, les sentiments à sens unique. Paul Javal (Michel Piccoli) dit dans Le Mépris qu’il est amoureux d’une femme qui ne l’aime pas, soit l’exact inverse de la situation d’Antonina. Il rappelle évidemment un autre biographie de Tchaïkovski, The Music Lovers, beaucoup plus baroque et encore plus musical. Car La Femme de Tchaïkovski évoque avant tout une lente descente aux enfers. Sans connaitre ni l’homme ni le génie, Antonina est tombée instantanément amoureuse. Le spectateur est amené à se demander si cet amour n’est pas le fruit d’un pur hasard, elle regarde avec insistance un jeune facteur, c’est du compositeur que la demande en mariage provient en premier, voilà tout. La ténacité jusqu’à l’aveuglement obstiné de la femme jeune, jamais embrassée ni jamais touchée et en attente de contact physique laisse présager une inéluctable folie. La reconstitution historique est juste évocatrice, intérieurs bourgeois, présence permanente de militaires, populace crassement pauvre jonchant les rues bondées, le réalisateur ravive un autre siècle où les chances d’ascension dépendent avant tout de la naissance et de la classe sociale. Ou du génie, car Tchaïkovski commence à se faire un nom. Le mariage tombe sur eux comme une malédiction, elle cherche désespérément l’amour, lui préfère sa solitude studieuse, la composition à outrance et le secret sur ses préférences intimes. Au cœur d’un XIXe siècle à sens unique, Antonina dépérit et cela ne cessera pas jusqu’à sa mort en 1917 dans un asile de fou. La pudeur sur les attributs féminins tranche avec l’exposition maintes fois renouvelée sur des organes masculins puissants. Le réalisateur enferme la jeune femme dans une case de laquelle elle cherche désespérément à sortir. Peine perdue, le compositeur n’accèdera jamais à ses requêtes, demandant même à ne jamais la revoir. Fâcheux destin…

Moins révolutionnaire et haletant que Leto et La fièvre de Petrov, La Femme de Tchaïkovsky souffre d’un classicisme un peu trop présent, d’une inutile longueur et d’une omniprésente langueur. De quoi faire quitter la salle aux plus faibles, signe qu’il manque quelque chose à ce film pourtant parti sur de très bonnes bases!

Synopsis: Russie, 19ème siècle. Antonina Miliukova, jeune femme aisée et apprentie pianiste, épouse le compositeur Piotr Tchaïkovski. Mais l’amour qu’elle lui porte n’est pas réciproque et la jeune femme est violemment rejetée. Consumée par ses sentiments, Antonina accepte de tout endurer pour rester auprès de lui.