Le réalisateur et scénariste Paul Schrader aime à analyser des destins d’outsiders broyés par la machine américaine. Oscar Isaac interprète ici un joueur de poker et de black jack mutique dont l’histoire est dévoilée petit à petit. Est-il malade ou supporte-t-il le poids de traumatismes anciens, le film prend le temps pour répondre, sans se presser, peut-être trop, d’où quelques moments inutilement longs…
Un cinéma des déclassés
The Card Counter trouve parfaitement sa place dans l’oeuvre de Paul Schrader. A 75 ans, le réalisateur de The Canyons et scénariste de Taxi Driver rugit encore et se concentre sur les victimes du système US. Le calme apparent perpétuel du protagoniste principal ressemble longtemps à un masque, ce que le film va dévoiler petit à petit. Son calme cache un désespoir personnel d’un homme solitaire revenu des camps de torture américains en Irak, de ceux dont sont parus des images scandaleuses qui ont fait le tour du monde. Sa rencontre avec un adolescent dont le père militaire de carrière s’est suicidé après son expérience irakienne l’interpelle et va influer sur son destin tout tracé. Comme toujours, le réalisateur se concentre sur un individu et élargit petit à petit le scope en y incluant les rares personnes de son environnement avec à chaque fois des obstacles à surmonter pour continuer de vivre. Pour ce film très taiseux qui fonctionne sur le principe de flashbacks, Willem Dafoe prête ses traits à un expert en torture, rôle qui lui correspond bizarrement fort bien. Le film insiste sur la difficulté de trouver la rédemption dans une société qui vous a utilisé avant de vous condamner et de vous laisser sur le bord de la route. La question de la responsabilité morale du pays envers ses soldats se pose avec une gravité toujours plus pertinente. Le réalisateur inclue une parabole sur le monde du poker, en décrivant sa monotonie, la solitude des joueurs et le show perpétuel qui se déroule autour des tables regroupant des joueurs qui se scrutent pour identifier les faiblesses des adversaires jusqu’à les cerner et les faire dévisser. Le héros sillonne les casinos sans joie, il manie les cartes et les jetons en attendant d’avoir la bonne main, le jeu consiste à attendre et à faire preuve de patience. Pour ce film, le grand Martin Scorsese est producteur, lui et Paul Schrader se connaissent depuis longtemps car ils ont travaillé ensemble pour Taxi Driver, Raging Bull, La Dernière Tentation du Christ et À tombeau ouvert. Si le film est quelque peu long et étiré en longueur dans des scènes de tension intérieure soigneusement maintenue, des scènes de torture peuvent choquer avec la description des procédés utilisés par l’armée américaine en Irak, de quoi faire frissonner d’effroi. Des scènes semblent utiliser des procédés de réalité virtuelle comme dans les jeux vidéos pour que les spectateurs pensent s’immerger dans les couloirs de la célèbre prison d’Abu ghraib et ressentir les émotions des soldats et des prisonniers, rien de moins. Côté petits détails croustillants, le tournage du film a été interrompu en mars 2020 pour raisons sanitaires alors qu’il ne restait qu’une semaine de tournage. Pour la musique, le réalisateur a fait appel au chanteur Robert Levon Been groupe de rock Black Rebel Motorcycle Club.
Un film assez puissant mais assez décousu que ce Card Counter. La réflexion sur ces marginaux issus de l’armée américaine reste complètement sidérante de réalisme pour un film qui propose quelques scènes choc très réussies.
Synopsis: Mutique et solitaire, William Tell, ancien militaire devenu joueur de poker, sillonne les casinos, fuyant un passé qui le hante. Il croise alors la route de Cirk, jeune homme instable obsédé par l’idée de se venger d’un haut gradé avec qui Tell a eu autrefois des démêlés. Alors qu’il prépare un tournoi décisif, Tell prend Cirk sous son aile, bien décidé à le détourner des chemins de la violence, qu’il a jadis trop bien connus…