Précédé par une cohorte de récompenses (2 Golden Globes, Lion d’or au Festival de Venise 2023) avant un possible triomphe aux prochains Oscars face à Oppenheimer, Pauvres Créatures marque un palier dans la filmographie de Yorgos Lanthimos. The Lobster, Mise à mort du Cerf Sacré et La Favorite fascinaient là où le dernier film laisse sceptique par les choix du réalisateur. Cette héroïne interprétée par Emma Stone ne convainc pas avec les trop nombreuses scènes de nu frontal et son évolution biscornue. Le destin de cette sorte de Frankenstein au féminin n’intéresse pas vraiment par les choix esthétiques et scénaristiques trop orientés vers la surprise sans vraiment jamais désarçonner le spectateur. Entre ridicule et téléphoné, le scénario s’enfonce souvent dans le commun.

Un film bancal

Pauvres créatures est l’adaptation du roman du même nom d’Alasdair Gray, paru en 1992. Le réalisateur Yorgos Lanthimos a souhaité en faire un film rempli d’humour avec des personnages complexes. Dans un contexte très steampunk (XIXe siècle futuriste avec ses machines volantes fonctionnant à la vapeur), le film a tout de l’uchronie de science-fiction. Le Dr Godwin Baxter (Willem Dafoe) fait revivre une créature assemblée de 2 êtres humains, forcément maladroite car Bella (Emma Stone) doit réapprendre toutes les manières de se comporter en société. La créature ressemble à un enfant qui apprend les subtilités sociales, en lutte permanente avec les exigences édictées par les hommes, d’où un ton très féministe. La créature aime ce qui est agréable et rejette ce qui ne lui plait pas, cette femme d’abord en devenir (problèmes de langage, équilibre instable, marche hésitante, manières d’enfant) puis accomplie met en avant la frontière entre l’être et le paraitre. Sujet intéressant, sauf que le réalisateur et son scénariste insistent beaucoup, vraiment beaucoup, évidemment trop sur l’aspect sexuel de la découverte de la vie par Bella. Elle découvre le plaisir qui devient une boussole dans sa vie, de quoi amoindrir considérablement la portée du film. Emma Stone est souvent nue, en position d’accouplement, est-ce vraiment intéressant? Quand la proportion de scènes de rapports sexuels dépasse un certain niveau, le film perd forcément en pertinence et en intensité. Le passage à l’âge adulte d’une créature en perpétuelle évolution en devient simplifié, vidé de son sens, le grand voyage perd de sa portée mythologique et en devient même assez commun. Cette 3e collaboration entre Emma Stone et Lanthimos n’atteint pas la force dramatique de La Favorite, même si le film se transforme à l’occasion en une belle satire sur les avanies masculines à travers notamment le personnage ubuesque de Duncan Wedderburn interprété par Mark Ruffalo. Le personnage de Willem Dafoe au visage à la Francis Bacon est un créateur tourmenté, manipulé par son père qui en a fait un docteur froid et dénué de sentiments car uniquement concentré sur la portée scientifique de ses travaux. Les péripéties du film passent par Londres, Lisbonne, Athènes, Paris pour un tour d’Europe steampunk original.

L’absence de pudeur d’une Bella qui n’a jamais ni honte, ni passé, ni traumatisme d’enfance, passe difficilement à l’écran sans en ressentir rapidement une certaine lassitude. Pauvres Créatures a des intentions et de l’ambition mais le film ne s’envole jamais vraiment en restant plaqué au sol. Il rappelle la reconnaissance reçue par Jacques Audiart avec le moyen Dheepan là où il aurait mérité plus de louanges pour Un Prophète et De Rouille et d’Os. Un réalisateur doit laisser le temps de la reconnaissance et ce n’est souvent pas le bon film qui le permet. Exemple parfait avec Pauvres Créatures, la critique a souvent un temps de retard…

Synopsis:
Bella est une jeune femme ramenée à la vie par le brillant et peu orthodoxe Dr Godwin Baxter. Sous sa protection, elle a soif d’apprendre. Avide de découvrir le monde dont elle ignore tout, elle s’enfuit avec Duncan Wedderburn, un avocat habile et débauché, et embarque pour une odyssée étourdissante à travers les continents. Imperméable aux préjugés de son époque, Bella est résolue à ne rien céder sur les principes d’égalité et de libération.